Silicon Valley (2) Mon amie chinoise de Los Gatos

Il m’est arrivé d’avoir une petite amie chinoise, je le confesse, et je l’ai revue récemment à Los Gatos, dans la Silicon Valley. Quand je l’ai rencontrée pour la première fois, dans la province du Jiangsu, elle avait 21 ans. Elle doit en avoir 30 aujourd’hui. Nous n’avons jamais rompu, donc techniquement, j’allais voir une amoureuse.

Malheureusement, elle est mariée avec un ingénieur d’origine iranienne, et elle dit être enceinte. Mon voyage fut l’occasion de lui rendre visite. En un sens, en se mariant avec cet ingénieur, elle me trompait. Le sage précaire venait récupérer son bien, pour ainsi dire. Débonnaire, mais le couteau entre les dents.

A la décharge de mon amie, nous n’avions jamais formé un couple très officiel. Notre histoire avait plutôt consisté en une série de rencontres, de voyages, de petits séjours. De découvertes et de retrouvailles. Nous n’avions donc pas de raison fondamentale de rompre formellement.

Elle m’a donné rendez-vous à la bibliothèque publique de Los Gatos. Octobre, lumière estivale, belle voiture de location, conduite modérée. Un beau corps m’attendait, parfaitement proportionné et habillé avec beaucoup de sobriété, une tête étonnamment ronde et les pieds dans des bottes fourrées. Moi, j’avais mis un costume noir rayé et une chemise blanche.

Nous nous prenons dans les bras, heureux de nous retrouver. Nous avons vieilli, surtout moi. Elle n’a pas beaucoup changé, mais son visage est moins rayonnant, et sa tête a comme enflé. Ayant, de plus, opté pour une coupe de cheveux volumineuse, elle présente le spectacle d’une montgolfière sur un corps de poupée.

Dans ses courriers, le long de ces années, elle s’était plaint du climat de la Silicon Valley. Elle disait que sa peau n’était pas adaptée à ce soleil et à cette sècheresse. Elle disait qu’elle s’ennuyait en Amérique, que la nourriture n’était pas bonne, qu’elle n’arrivait pas à se faire d’amis, et qu’elle traversait de nombreuses crises avec son mari. Ses mails ne rendaient compte d’aucune satisfaction. Pourtant, elle avait réussi ce qu’elle désirait le plus : trouver un homme stable pour former un foyer stable. Le mot de stabilité revenait constamment dans sa conversation.

Pour moi, sa réussite est ailleurs : s’être débrouillé pour s’installer durablement en Californie. Elle ne se rend pas compte qu’elle vit dans l’endroit le plus désirable du monde.

Nous nous promenons dans la bibliothèque, à ma demande. J’imaginais qu’elle chérissait ce lieu, qu’elle y venait pour lire, faire des rencontres, participer à des groupes de lecture ; ce sont des choses que les Américains font volontiers. Pas mon amie, qui n’aime pas trop cet établissement. Elle m’a donné rendez-vous ici à cause des places de parking gratuites.

Nous remontons la rue principale de Los Gatos. Ville toute neuve, construite depuis le développement des entreprises de hautes technologies, dans les années 90, une ville d’ingénieurs et d’informaticiens qui travaillent à Palo Alto, devenue trop chère. Ville de gens aisés, mais sans luxe apparent. Ville propre pour de jeunes familles, ville sans culture urbaine.

Nous prenons ma voiture pour aller dans un restaurant chinois dans un autre quartier, ou une autre ville. Je ne comprends pas tout ce que me dit mon amie. Elle-même n’est pas certaine de savoir si les noms qu’elle emploie désignent une commune, un quartier ou un centre commercial.

Le plus étonnant chez elle est son anglais. Je m’attendais à ce qu’elle devienne une anglophone accomplie, avec un accent américain. En Chine, au temps de notre aventure, nous communiquions exclusivement en anglais et j’aimais sa prononciation, sa précision dans les termes. Elle avait un bon niveau et, vu son âge et son environnement, après quatre ans passés en Californie, elle aurait dû, pensais-je, progresser immensément. Or, son anglais s’était détérioré. Elle avait gardé son accent chinois et elle avait perdu du vocabulaire.

C’est alors que j’ai compris qu’elle était tout simplement malheureuse. Elle ne lisait plus en anglais et ne regardait même pas la télévision américaine. A tout hasard, j’ai demandé en quelle langue elle parlait avec son mari, mais c’était absurde de ma part. Ils ne communiquaient plus du tout.

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