De la dégustation de vin en Chine

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Nos correspondants dans l’Empire du Milieu sont en mesure d’évaluer en exclusivité le niveau œnologique des Chinois. Sujet hautement stratégique en terme d’espionnage industriel et de renseignement commercial.

Le mois dernier, une délégation de la Sagesse précaire, que j’ai eu l’honneur de diriger, s’est rendue à des séances de dégustation, organisées pour des membres vénérables de la nouvelle bourgeoisie du bas Yangzi. L’équipe du Sage précaire libéré, réunie en conférence de rédaction, a publié un communiqué visant à déclarer que « selon les dégustations, l’ambiance est plus ou moins relâchée.  » Il y avait plus percutant, comme déclaration, mais vous savez ce que c’est, les conférences de presse.

A Hangzhou, le négociant organisateur de la soirée dégustation ne bénéficiait pas d’un public formé au vin. Nous étions dans la grande banlieue de la vieille capitale des Song, et les invités ont commencé à boire avec une grande componction. L’entrepreneur, M. Wang, était content d’avoir, en ma présence, un Français de France, pour légitimer son business et ses compétences. Il expliqua à ses clients potentiels la notion de « terroir » en la comparant avec le thé chinois. Le Longjing, par exemple, que tout le monde connaît, est cultivé exclusivement dans les théiers des collines de la région de cette même ville de Hangzhou. Eh bien ce vin de Beaujolais aussi, ne peut être produit qu’au nord de Lyon.

M. Wang dit que l’alcool, en Chine, est apprécié de manière tumultueuse. On trinque, on boit cul sec et on gueule. L’expression « chaud et bruyant » peut vouloir dire qu’on passe un bon moment. Inversement, « froid et tranquille » peut être utilisé pour expliquer qu’on s’est ennuyé. Or, la culture du vin est une révolution culturelle pour ces Chinois habitués aux pétards et au bruit. Il s’agit de passer un moment délicieux et délicat, dans une ambiance recueillie, à la différence de l’alcool blanc qui se boit à grand renfort de clameurs joyeuses.

Les premières bouteilles furent débouchées et goûtées avec recueillement. Verre après verre, l’étau s’est desserré et nous avons terminé la soirée en beuverie chaleureuse. Mon voisin de table, un garagiste qui a fait fortune et possède aujourd’hui quatre garages, m’a dit que je ressemblais à Zidane. J’en fus flatté, même si c’est mon cuir chevelu qui lui inspira cette comparaison, davantage que le caractère athlétique de ma silhouette. Nous avons sorti la guitare et avons chanté en français, en anglais et en chinois.

Mon garagiste avait la voix de plus en plus tonitruante. J’essayais d’enregistrer sa voix pour un reportage radio. Il était un client idéal pour un tel documentaire, mais malheureusement, il se calmait chaque fois que j’approchais le micro. Plutôt que de nous faire profiter de sa gouaille et de sa joyeuse grande gueule, il débitait au micro des banalités sur la rencontre des cultures, à quoi cette dégustation ouvrait.

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Au final, tout le monde est rentré chez soi, passablement bourré. Personne n’a acheté de bouteille à M. Wang, mais des meubles ont été renversés dans le salon. Quelqu’un devait me ramener à mon hôtel, au bord du Lac de l’Ouest, à deux heures de route de là, mais quand on m’a collé dans un ascenseur pour descendre au parking souterrain, je ne savais toujours pas dans la voiture de qui j’étais censé monter.

La deuxième dégustation dont La Précarité du sage peut témoigner se déroula à Nankin, autre capitale impériale. Au centre ville, et en compagnie de gens qui avaient suivi une sensibilisation au vin. Certains sont eux-mêmes des importateurs de vin, ou travaillent chez des négociants. L’ambiance est cette fois restée digne et bon enfant jusqu’au bout.

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Au 27ème étage d’une tour, l’entreprise Joyvin fondée par Mme Meng Zi Qiao, offre un décor tamisé, où les conversations peuvent se poursuivre dans de vastes sofas. De fait, quand nous traversons la pièce, deux hommes d’affaires devisent avec la directrice, qui nous accueille pour cette dégustation. Mme Meng elle-même, la quarantaine menue et sémillante, a décidé de monter son entreprise d’importation après avoir participé à l’exposition universelle de Shanghai, en 2010. Elle a cru voir dans son pays un marché exponentiel pour le vin, en particulier le vin français.

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L’originalité de Joyvin est d’offrir à ces clients une formation pour apprendre les rudiments de la dégustation. Pour ce faire, elle a engagé Mme Cao Dong Xue, une jeune femme francophone ayant étudié l’oenologie et la langue française. Tous les week-ends, elle organise des stages de formation afin d’apprendre à se repérer dans une offre foisonnante de vins tous plus chers les uns que les autres.

Il ne faut pas sous-estimer le travail de formation du goût que cela demande. Nous qui avons grandi en Europe, nous tendons à appréhender le vin comme une boisson facile à apprécier, naturelle comme un jus de fruit, veloutée comme une fesse de bébé, et propice aux déchaînements lyriques.

 

Les Chinois, en revanche, apprennent le vin dans un système mis au point par les Anglo-Américains, basé sur la vieille œnologie européenne. Or, le vocabulaire est constitué notamment de fruits inconnus par la majorité des Chinois : myrtilles, mûres, groseilles, etc. Ils doivent donc d’abord apprendre à reconnaître ce qu’est l’odeur de myrtille à l’aide de petites capsules de produits chimiques. On est loin de notre méthode à nous, empirique et approximative : quand on s’essaie à la dégustation, on se remémore nos promenades en forêt, on se projette dans nos campagnes, nos cueillettes de fruits rouges, nos chasses au papillon et nos coins à champignons. Rien de tel pour les amateurs chinois.

Le travail qu’entreprend un œnologue chinois relève par conséquent d’un grand effort d’imagination, de traduction et de compréhension. Cela demande une application et une concentration mentale que notre oenologue, Mme Cao, est capable de fournir. Elle-même est une grande intellectuelle, diplômée de la belle université de Nankin, traductrice de haut niveau : elle a reçu un prix prestigieux pour la traduction chinois, l’année dernière, de De la démocratie en Amérique, de Tocqueville, paru chez un éditeur de Shanghai.

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Mme Cao se plie avec grâce à l’exercice du reportage radio. Sa voix est cristalline et sa façon de parler précise, sensuelle et spirituelle.

Un des vins me paraît âcre et amer comme du vinaigre. On discute autour de la table. D’aucuns pensent qu’il pourrait être chilien, en raison d’un certain « goût de végétaux ». Ou alors un bordeaux, d’une année médiocre… On découvre l’identité de la bouteille : c’est un Graves, cru bourgeois, de 1994 ! Peu de vins peuvent vieillir vingt ans. Celui-ci a peut-être été mal conservé, en tout cas il est foutu.

C’est pourtant lui qui gagnera la palme du meilleur vin de la soirée pour les participants. Il est vieux, et il a coûté 8000 yuans à la jeune femme qui l’a apporté. Presque 1000 euros !

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On me rassure : « Ne vous inquiétez pas, elle est très riche. Sa famille possède beaucoup d’usines dans la région. »

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En revanche, je me suis régalé d’un Saint-Estèphe de 2008. Comme personne ne se resservait, j’ai gardé la bouteille près de moi. L’équipe du Précaire enchaîné avait bien travaillé, et les reporters pouvaient profiter du charme des jeunes amateurs de vin, des heures fraîches de la soirée, et du doux nectar rencontré ici comme par miracle.

J’ai quitté Mme Cao non sans lui promettre que nous nous retrouverons en France. Elle doit s’y rendre pour traduire un roman de Colette l’automne prochain. Nous prévoyons d’aller ensemble dans les vignobles de Bourgogne qu’elle affectionne tant, et terminer là-bas notre reportage.

3 commentaires sur “De la dégustation de vin en Chine

  1. Moi je pense plutôt que c’est son petit cul qu’aime bien l’auteur, roooh…

    Sinon il faudra qu’on me dise quel VPN utiliser pour que je puisse de nouveau surfer sur ce site et d’autres qd je serai en Chine. J’apprends que le sage précaire est de passage dans l’empire qd moi je le quitte pour des vacances en campagne française. . On se croisera une autre fois!

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