Intervention (2) Femmes sujet de l’art

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Deuxième intervention au centre Charlie-Chaplin de Vaulx-en-Velin, à côté de Lyon. Cette fois, je parlais des femmes sujets de l’art.

J’ai voulu commencer avec Sonia Delaunay. Ses rythmes, ses toiles abstraites qui cherchent la cinesthésie, la correspondance entre les sens. Comment rendre le rythme par l’image. Mais surtout, à mes yeux, Sonia Delaunay, c’est la grande dame d’un projet qui me fait rêver : La Prose du Transsibérien, le livre-poème de Blaise Cendrars.

Transsiberien

Là aussi se pose la question du rythme, du voyage, du chemin de fer : comment rendre la vie saccadée des trains en poésie, en peinture, en livre ? Je donnerais cher pour avoir un fac-similé de cette oeuvre de 1913. Il paraît que Cendrars, pour écrire ce texte, n’a jamais mis le pied dans le fameux train.

Or, Sonia Delaunay, c’est encore de l’art moderne. Là où les femmes se sont révélées le plus, c’est dans l’art contemporain. Cela peut paraître paradoxal, mais pas pour ceux qui, comme le sage précaire, pensent que les femmes se distinguent davantage par leur intellectualité que par leur sensibilité. Les femmes ont pris d’assaut les ouvertures de l’art contemporain pour y imposer leurs gestes, leurs concepts, et ont créé des espaces nouveaux pour mettre en scène leurs peurs, leurs désirs, leurs fantasmes.

Louise Bourgeois, par exemple, propose de gigantesques araignées. Leur titre ? Ma mère. Spontanément, on pense que les relations familiales étaient tendues. Or, l’artiste dit un jour : « Ma mère était ma meilleure amie. Elle était aussi intelligente, aussi patiente, propre et utile, raisonnable et indispensable qu’une araignée. »

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Par cette déclaration, on comprend que l’araignée doit être appréhendée avec tendresse et intelligence. Après tout, c’est vrai qu’une araignée est une pure merveille : légère et fragile, elle tisse des chefs d’oeuvre de textile, silencieusement. C’est vrai qu’elle est propre et patiente, l’araignée. Qu’elle est élégante et admirable.

C’est à cela que sert l’art, incidemment, revoir les choses dans une lumière nouvelle. Débarrasser les choses de leur image stéréotypée. Ma mère cette araignée, brodeuse et tricoteuse, nourricière et minutieuse.

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Une autre femme se veut moins minutieuse, et moins patiente. Niki de Saint Palle entre avec fracas dans la carrière avec des oeuvres cibles, des tableaux qui suintent de peinture quand on leur tire dessus à la carabine. Devenue célèbre avec ses peintures-cibles, elle crée de grosses sculptures féministes qu’elle baptise « Nanas ».

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Colorées, monstrueuses, maternelles, provocantes, les Nanas de Saint Phalle bouffent la vie et n’ont pas le temps de chercher à plaire. Elles nous engloutissent et ne nous demandent pas notre avis, comme ces femmes séductrices qui prennent les hommes, et qui n’attendent pas qu’on leur fasse la cour.

Ann Hamilton, le texte du textile

J’ai tenu à mentionner ma préférée de toutes, l’artiste américaine Ann Hamilton, née en 1956. Le Musée d’art contemporain de Lyon (MAC) lui avait consacré une rétrospective en 1997. À cette époque, j’étais employé par le musée comme animateur-conférencier. C’est un de mes plus beaux souvenirs d’art contemporain. Ce fut un véritable privilège de travailler pour cette exposition, même si je fus payé à coups de lance-pierre. Déjà à l’époque, le sage précaire se faisait allègrement exploiter et se donnait sans compter.

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Les trois étages du musée étaient consacrés à l’oeuvre de l’artiste américaine. C’était phénoménal, gigantesque, presque exhaustif. En plus des oeuvres passées et des traces diverses des anciennes performances et autres installations, Ann Hamilton avait aussi créé des installations in situ.

Pour nous, animateurs, c’était un bonheur sans précédent de concevoir ces visites qui étaient autant de déambulations dans l’imaginaire d’une femme. Jour après jour, nous trouvions toujours plus de cohérence et de complexité dans le défilement des oeuvres et leur mise en écho.

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Au deuxièmes étage, elle avait créé Bounded, une installation où elle brodait autour des symboles de la ville de Lyon : la soie, les métiers à tisser Jacquard, l’église catholique. Une grande installation rigoriste et sévère, immaculée de blanc, un espace austère et minimal, où l’on reconnaissait vaguement la forme des métiers à tisser face à un mur blanc.

"Bounden", d'Ann Hamilton. Lyon, 1997.

Or, en s’approchant, on aperçoit des gouttes d’eau qui suintent du mur et dégoulinent. Hamilton avait créé un mur qui pleure, un mur en larme. Les rideaux aux fenêtres ainsi que sur les cadres étaient brodés de textes. Le texte était, je crois, le monologue de Molly Bloom dans Ulysses de James Joyce. Les rayons du soleil servaient de projecteur du texte sur le mur, et la tristesse du texte faisait pleurer le mur.

Ann Hamilton, détails.

Au dernier étage du musée, un seul grand espace sans mur. Entre les spectateurs et le plafond, l’artiste a tendu un ciel de soie orange, tiré par un moteur pour créer un effet de vagues. Au dessus de ce ciel orange, une chaise d’arbitre trône et un personnage déroule une bandelette qui entoure sa main, et fait passer cette bandelette des étages supérieurs aux étages inférieurs.

"Mattering", d'Ann Hamilton. Lyon, 1997.
« Mattering », d’Ann Hamilton. Lyon, 1997.

Le MAC de Lyon étant infiniment modulable, on avait percé un trou dans les planchers pour faire passer la bandelette du plafond jusqu’au rez-de-chausée, où elle s’entassait en un gros tas qui s’agrandissait au fil de l’exposition.

Quand nous faisions visiter nos groupes, les gens s’interrogeaient sur ce gros tas de bande bleue, qui n’était rien d’autre que la bande encrée des machines à écrire. Nous en parlions avec les visiteurs d’une oeuvre abstraite qui se suffisait à elle-même, sans dévoiler que nous retrouverions ce fil bleue au second et au troisième étage.

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Aucun artiste ne m’a marqué autant qu’Ann Hamilton. L’exposition était d’une richesse infinie, et les installations étaient toutes ludiques, sensibles et intelligentes. J’ai tout appris de l’art à cette époque, dans cette exposition.

J’ai terminé ma conférence avec les oeuvres de mon amie Chen Xuefeng, qui était présente dans le public. J’ai déjà beaucoup écrit sur son travail. Par pudeur, je n’en dirai rien ici.

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