Série de documentaires diffusée sur Canal + depuis 2007, Les Nouveaux explorateurs jouit de l’impunité habituelle des productions liées au voyage. C’est un phénomène curieux : dès qu’on voyage et qu’on relate ses aventures, on devient inattaquable dans les médias. Pourtant, le récit de voyage est un champ de création qu’il faut regarder avec autant de sens critique que tous les autres genres narratifs.
Qu’on me pardonne une légère immodestie, ce blog est un des rares espaces où sont critiqués des voyageurs. Au risque de me faire durement tancé, La Précarité du sage a critiqué Michel Le Bris, la « littérature voyageuse », Christophe Ono-Dit-Bio, Priscilla Telmon et Sylvain Tesson. Cela m’a valu des volées de bois vert, dont je ne me plains pas. Paradoxalement, on me reproche aussi de dire trop de bien de certains écrivains et plasticiens du voyage : Jean Rolin, Caroline Riegel, Jean-Paul Kauffmann, Raymond Depardon, Catherine Cusset ou Bruce Bégout.
Ce n’est pas que les uns seraient nuls et les autres parfaits, mais il existe une ligne de fracture assez profonde dans la manière d’aborder le voyage depuis la deuxième guerre mondiale. Ceux dont je fais l’éloge savent que le monde a changé, qu’on ne peut plus découvrir le monde comme les anciens explorateurs. Ils explorent donc les banlieues, les bretelles d’autoroutes, les forêts et les fleuves avec prosaïsme et humour.
Ceux que je critique ne manquent pas forcément de talent, mais ils prétendent être des baroudeurs de la même trempe que les grands aventuriers des années 1930, ou imitent un peu bêtement les orientalistes du XIXe siècle. Ils s’autoproclament « explorateurs ». Ceux produits par Canal + mentent d’ailleurs effrontément : ils prétendent nous présenter des peuples indigènes purs de toute acculturation, alors même qu’ils communiquent en anglais, et qu’ils exhibent des costumes traditionnels au sein de réserves d’autochtones subventionnées, et habilitées à recevoir la visite de caméras.
La Nouvelle exploratrice de l’émission, dont j’ai oublié la date de diffusion, traverse le Brésil avec ce sentiment d’impunité : les tribus se laissent photographier en regardant ailleurs, et notre télévision nous vend cela pour de l’aventure nouvelle. Il ne s’agit pourtant que des mêmes vieilles ficelles des images prises par les explorateurs dominateurs, supérieurs, protégés par des puissances colonisatrices.
C’est très ancien, il est vrai.
Adam se voyait sans doute en explorateur de son coin de jardin.
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Aujourd’hui 2 juillet 2015, j’ai vu par hasard un nouvel épisode des Nouveaux explorateurs sur Canal+. L’explorateur n’était autre que Christophe Cousin, l’auteur de Sur la route des utopies (2007) et de Dans les roues de Jack Kerouack (2011). Cette fois, la « nouvelle exploration » se passe au Cameroun dans un village Pygmée et dans une famille Peule. Mes impressions se confirment. Un tissu de clichés éculés sur des gens qui, selon toute vraisemblance, jouent le jeu des sauvages pour les touristes et les caméras, en échange de menue monnnaie.
Le village pygmée ressemble comme deux gouttes d’eau à celui qui a été au centre d’une dénonciation de Nouvelles Frontières pour fraude et arnaque. Le voyagiste vendait des tours avec des villages de huttes traditionnelles, et un des touristes était retourné tout seul, caméra au point dans le village de huttes, pour se rendre compte que les bons sauvages, en fait, parlaient français et habitaient dans un autre village en dur à quelques km de là.
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