
Quand Anne Sylvestre chante, c’est toute la génération de ma mère qui chante.
Dans les thèmes abordés, les mélodies composées et les arrangements choisis, ses chansons sont une ode aux femmes post-soixante huitardes qui ont eu à assumer de nombreux combats. Au premier rang desquels, la contraception et l’avortement.
Non, non, tu n’as pas de nom
Non tu n’as pas d’existence
Tu n’es que ce qu’on en pense
Avec tendresse, elle ne revendique pas seulement la liberté de choisir, mais elle exprime la douleur de devoir se battre sur un terrain qui n’est pas qui se situe dans son corps même.
C’est une bataille lasse
Qui me laissera des traces
Mais de traces je suis faite
Et de coups et de défaites
Les femmes de cette génération ont énormément supporté, elles ont porté la libération des mœurs tout en sauvegardant l’unité des familles. Ce sont elles qui ont été décisives dans les décennies d’après-guerre, alors que pour les baby boomers masculins, l’époque était facile et plutôt avantageuse : il y avait du boulot, il y avait de la liberté sexuelle, il y avait des femmes pus jeunes, puis il y avait un régime de retraite favorable.
Les femmes ont dû assumer une liberté nouvelle tout en voyant s’accumuler des responsabilités. Elles l’ont fait avec quelque chose d’héroïque, à mes yeux. Avec douceur et humour. Anne Sylvestre parle aussi du vieillissement dans un dialogue entre une mère et une fille :
– Va, déplie-les bien tes ailes
Ma chérie
– Il faudrait que tu essaies
Toi aussi
– Que sais-tu donc de mes ailes
De qui me les a coupées ?
(…)
Mais oui, j’ai toujours mes ailes
Ma chérie
Mais tu as ouvert les tiennes
Sur ma vie
Et s’il faut que je revole
Laisse-moi m’habituer
– Ne dis pas de choses folles
Tu as toujours su voler
Si les hommes de mon âge aiment tant fréquenter les femmes, c’est sans aucun doute grâce à leur mère qui, comme la mienne, ont été admirables. Elles ont transmis à leurs filles ce qui fait le charme des Françaises : intelligence, sensualité, drôlerie et dignité dans la douleur.
C’est tout cela qui s’entend dans les vers d’Anne Sylvestre.
Quelques lignes inspirées par l’ambiance des anées 1970 :
Autobus (Pays de Poésie 3-7-13)
——–
A l’arrêt d’autobus, un homme a son regard
Capté par la beauté d’une femme en attente.
« Vous êtes belle », a-t-il dit d’une voix charmante.
L’autobus arriva, même pas en retard.
Et pendant le trajet, cette femme émue par
La douceur de ces mots, avait l’âme tremblante,
Et elle imaginait l’aventure excitante
Qui pourrait se produire avec l’inconnu, car
Lorsque deux coeurs soudain battent à l’unisson,
Les corps peuvent bientôt partager leurs frissons,
L’amour ne requiert pas de formalités lourdes.
Le bus accomplit son parcours sans intérêt.
Le monsieur descendit, car c’était son arrêt.
A nos violents désirs, la vie, parfois, est sourde.
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