Commission d’enquête parlementaire sur CNews : un exercice démocratique

J’ai apprécié de voir ces quelques députés poser des questions, calmement, aux patrons du groupe Canal, de CNews et à trois animateurs d’émissions. L’ambiance de travail était bonne, tendue comme il sied, avec des critiques, des reproches et des remarques acerbes, mais avec politesse et une remarquable tenue des temps de parole.

Le sage précaire a beau être précaire, il est un peu rigide et autoritaire dans son fonctionnement, et il aime que les choses se passent dans la discipline.

Le grand problème est naturellement qu’un homme d’affaire richissime, multi-milliardaire, possède des médias influents, les téléguide et manipule à travers eux l’opinion du peuple. Cet homme, Vincent Bolloré, est possiblement dangereux pour la démocratie et à tout le moins une anomalie dans une république qui se définit comme « démocratique, laique et sociale ». Son

Ils battent leur coulpe à propos d’une émission pro-catholique qui venait de qualifier l’avortement comme première cause de mortalité dans le monde, devant les cancers. À quelques jours du vote sur la constitutionnalisation de l’avortement, cela faisait mauvais effet. De fait, la critique de l’avortement est légitime, mais le comparer à un meurtre de masse vous fait passer pour un réac d’extrême droite, c’est ballot. Alors ils ont présenté leurs excuses et sont venus à cette audition en renouvelant leurs excuses.

Le rapporteur de la commission, député LFI Aurélien Saintoul, en a alors remis une couche en leur disant que l’émission en question était très anti-avortement dans son ensemble et en cohérence avec le graphique incriminé qui associait l’avortement à un meurtre.

Ce député, je ne le connaissais pas et il m’a impressionné. Sur Wikipedia, on apprend que le citoyen Saintoul est agrégé de lettres classiques mais au vu des dates de sa jeune vie, il semble qu’il n’ait pas beaucoup enseigné. En tout cas il a bien tenu son rôle de rapporteur et il a posé de bonnes questions à des vieux loups de mer de la télé. Ces questions les ont tous tellement énervés que la presse de droite ne retient pas ses coups contre Saintoul et ses camarades députés. Les journalistes avaient pensé venir dérouler leurs argumentaires et story-telling pour enrubanner les petits députés, mais ils furent blessés de voir les députés leur demander de répondre aux questions. Ils furent blessés parce que d’ordinaire c’est leur travail d’empêcher les politiques de noyer le poisson.

Cette audition était donc un bon moment d’instruction politique et de divertissement médiatique : l’arroseur arrosé, le gag marche du tonnerre depuis le film des frères Lumière. Pour le coup, les deux vidéos de deux heures de commission parlementaire sont plus marrantes à écouter que nombre d’interviews politiques menées par de hargneux journalistes cherchant bêtement à destabiliser Mélenchon, Zemmour, Villepin ou un macroniste.

J’ai aimé qu’on aborde frontalement les procédures « bâillons » qui consistent à donner de l’argent à des employés pour qu’ils se taisent jusqu’à leur mort concernant l’organisation de l’entreprise. Des centaines de personnes harcelées par Bolloré et ses hommes de main ont été brisées, puis virées, et en échange de cent cinquante mille euros, on leur dénie le droit de parler, de témoigner, d’informer. C’est choquant à bien des égards quand on sait combien les gens ont besoin d’argent. Pour le milliardaire, ces sommes sont des gouttelettes qu’il asperge négligemment sur la populace. Vous voulez cet argent ? Promettez-moi de vous taire à jamais et il est à vous.

Jean-Christophe Thierry : C’est parfaitement légal ! Je suis vraiment surpris par ce type de commentaire.

Aurélien Saintoul : Vous avez le droit d’être surpris. En l’occurrence cela ne change rien à mon propos. Je trouve curieux qu’on puisse se poser comme le principal défenseur de la liberté d’expression et d’utiliser tous les moyens légaux à disposition pour réduire l’expression des journalistes.

Audition de la commission parlementaire, 1:12:00.

Très bien envoyé, la réplique est juste et précise. Et c’est la raison pour laquelle tous ceux qui militent contre la gauche sont furieux et traitent cette commission de tous les noms. On parle de flics, de dictature, d’interrogatoire, etc. J’ai l’habitude de me faire insulter moi aussi quand je découvre et mets au jour des saloperies dans des textes littéraires. Les réactions sont généralement de l’ordre du scandale : mais comment osez-vous, vous qui n’êtes rien, dévoiler une vérité ?

Une autre séquence de cette commission fut pour moi très intéressante. Le député Aymeric Carron, lui aussi habitué aux insultes en dessous de la ceinture, pose des questions au chef de CNews, non pas aux journalistes : combien y a-t-il de morts à Gaza ? Vous ne le savez pas et pourtant le chiffre de 30 000 morts barre toute la une de Libération. « Vous qui dirigez une chaîne d’infos, vous ne lisez pas la presse. »

Ce qui est important ici est de démontrer que CNews défend outrageusement les crimes d’Israel et fait le silence sur la tragédie de Gaza. Position idéologique qu’on a le droit de tenir, mais sur une chaîne d’opinion d’extrême-droite, privée, et non sur une chaîne d’information diffusée gratuitement sur un canal de la TNT.

Carron pose ensuite les questions suivantes : est-ce que vous dénoncez les meurtres de journalistes par l’armée israélienne ? Est-ce que vous dénoncez la censure du gouvernement israélien qui interdit aux journalistes étrangers de couvrir la guerre à Gaza ? Naturellement, le patron de chaîne de répond pas, essaie de noyer le poisson, et passe la parole à un collègue. Mais c’était un coup de génie de demander s’il était capable de dénoncer puisque ce fut la question lancinante pour déstabiliser la gauche, à savoir de demander une dénonciation du Hamas.

Comme Monsieur Nedjar n’a pas répondu, au bout de l’audition, après deux heures et quarante-deux minutes d’échanges, le rapporteur Saintoul repose les questions. Condamnez-vous la censure et les meurtres de jounalistes dont Israel se rend coupable ? Là encore, refus de répondre et gêne. Le député doit s’y reprendre trois fois pour obtenir la réponse que M. Nedjar « condamne la mort de tous les journalistes, et au-delà des journalistes, de tous les êtres humains qui se trouvent d’un côté ou de l’autre de la frontière. » Chacun y verra ce qu’il veut. Moi je décide d’y voir une volonté de ne jamais critiquer Israel, quelles que soient ses exactions et ses crimes. D’autres interprèteront différemment ces paroles.

Ce qui est certain, en définitive, c’est que les députés de tous bords ont su se rendre indispensables aux débats de notre temps. Des choses ont pu être dites ici qu’on n’a jamais entendues ailleurs, et cette audition constitue un document d’archive important pour prendre des décisions sur l’emprise des médias par l’extrême-droite. Chacun peut dorénavant se positionner en fonction de ses biais idéologiques.

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