Vue du vieux pont du Vigan, depuis le Musée Cévenol. Août 2025
Le musée du Vigan présente une intéressante exposition sur les plantes médicinales, alliant œuvres d’art, manuscrits anciens et artéfacts de tout genre.
Le musée lui-même vaut le détour pour tout ce qu’il recèle de connaissances ethnologiques et historiques. Si vous passez par les Cévennes, ce que tout le monde fait au moins une fois dans sa vie, vous apprécierez vivement une promenade dans cette ancienne maison fraîche en bord de rivière.
Si vous n’appréciez pas le Musée Cévenol, si vous pensez que la visite ne vaut pas le prix du ticket d’entrée, commentez ce billet de blog et je vous rembourserai les cinq euros de la main à la main, en vous regardant droit dans les yeux pour vous faire honte.
J’ai particulièrement aimé les manuscrits de récits de voyage, effectués par des médecins des Lumières. En pleine Révolution, ils herborisent comme Jean-Jacques et affirment que Le Vigan, l’été, « est un séjour délicieux », notamment grâce à son air pur, son eau salubre, ses châtaigniers, ses pommiers et ses poissons.
Les catalogues sont des types de livre qui excitent en moi un sentiment d’incomplétude riche et appétissante. Ici, il s’agit du catalogue d’une exposition intitulée « Écriture et calligraphie : un voyage intemporel ». Cette exposition, qui a eu lieu dans les années 2020, m’était inconnue jusqu’à ce que je tombe sur ce magnifique ouvrage. Bien que je n’aie pas eu la chance de visiter l’exposition en personne, la lecture du catalogue se révèle pleine de promesses.
Contrairement à ce que laisse entendre son titre, ce catalogue ne propose pas une vision « intemporelle » de la calligraphie arabe. Au contraire, il s’inscrit dans une approche profondément historique, en retraçant une chronologie précise, et c’est précisément ce qui le rend si passionnant.
Le voyage commence par un article d’Éric Delpont, expert travaillant à l’Institut du Monde Arabe à Paris, qui explore les origines des systèmes d’écriture au Moyen-Orient avant même l’apparition de la calligraphie proprement dite. Cette introduction érudite nous plonge dans les racines de l’écriture arabe, avant de nous guider à travers son évolution jusqu’à sa transformation en une forme artistique emblématique de la civilisation islamique, à partir du 7e siècle de notre ère.
Mais ce voyage ne s’arrête pas à l’époque classique. Le catalogue consacre également de magnifiques pages aux calligraphes des 20e et 21e siècles, mettant en lumière l’art contemporain arabe. Certaines sections explorent même des expérimentations avec l’intelligence artificielle et des technologies de pointe. Si ce dernier aspect me laisse un peu perplexe, j’ai été particulièrement séduit par une partie intitulée « Les traces nomades de la calligraphie ». On y découvre comment l’écriture arabe s’est immiscée dans des domaines inattendus comme le design, la joaillerie ou encore la mode, offrant ainsi un aperçu de son incroyable plasticité et de son pouvoir d’adaptation.
Les bons catalogues sont une invitation. Ici, on est invité à explorer les multiples dimensions de la calligraphie arabe, à travers le temps et les disciplines. Les illustrations, somptueuses, ajoutent une profondeur visuelle qui donne envie de s’immerger davantage dans cet univers et, évidemment, de prolonger, d’intensifier l’apprentissage de l’arabe.
C’est une exposition qui sent bon. Dès qu’on entre, on est accueilli par de grands écrans qui montrent les montagnes d’Oman, Jebel Akhdar, et les champs de roses où nous allions nous promener jadis. Les Omanais en font de l’eau de rose et c’est ce parfum d’eau de rose qui est diffusé dans l’espace.
Chaque espace est ainsi baigné d’une odeur délicate. Parfums fleuris, boisés, poivrés, on passe par toutes les émotions. Je craignais qu’une expo sur les odeurs ferait mal au crâne, avec des senteurs mêlées et enivrantes, mais le commissaire a su faire les choses. On passe comme par magie d’une fragrance à l’autre sans qu’elles se mélangent.
C’est tellement enchanteur qu’on a envie d’y retourner tous les jours.
Je ne montre aucune image de cet événement produit par l’Institut du monde arabe, parce que son grand mérite est d’agir sur des sens moins connus, moins célébrés et moins éduqués.
À tout seigneur tout honneur. Le plus célèbre des tableaux du Louvre à été exposé sur la façade du Musée Cévenol, la référence muséographique du Vigan et du pays viganais.
Ce musée vaut le détour, pour tous ceux qui songeraient à passer quelques jours de vacances dans les Cévennes. On y découvre les arts et les techniques développés par les Cévenols pour vivre et apprécier la vie sur une terre hostile.
Ouvert en 1963, sous le patronage d’André Chamson, de Claude Lévi-Strauss et de Pierre-Henri Rivière, c’est un des premiers musées ethnologiques de province. La notion d’ écomusée n’existait pas encore je crois mais c’est une des tentatives remarquables qui ont été proposées pour faire circuler les savoirs et les mémoires sur un territoire circonscrit.
Alors quand le projet des expositions de toiles du Louvre a été pensé pour rendre hommage au travail d’André Chamson, on n’a pas beaucoup hésité pour savoir où mettre la Joconde.
L’exposition du Grand Palais est extrêmement étonnante, bizarre. Osons le mot, après tout, qu’est-ce qu’on risque ? C’est sans doute un gros ratage, et c’est pourquoi j’en garde un excellent souvenir.
Devinez de quel peintre il s’agit
Exposition bizarre parce que les choses qu’elle associe, on a du mal à les associer spontanément. C’est donc potentiellement très stimulant, mais aussi possiblement casse-gueule. Il s’agit de parler en même temps des « Bohémiens », c’est-à-dire du peuple Rom, et des artistes « Bohème » qui, au XIXe siècle, menait une vie pauvre et dissolue.
Les uns sont issus d’une histoire longue et mouvementée, les autres viennent grosso modo de la bourgeoisie et forment une classe de petits cons. On se demande comment faire une exposition avec deux réalités si éloignées l’une de l’autre.
Moi, je tenais à la visiter car j’avais contribué au hors-série de Télérama, intitulé « Les Bohèmes », sorti à l’occasion de cet événement au Grand Palais. Je ne pouvais pas être indifférent à l’exposition qui était à l’origine de ma propre pige. J’avais écrit mon article sur les nomades irlandais, les « Tinkers », et je l’avais écrit dans l’obscurité la plus totale quant à l’expo, et maintenant que tout était publié, je pouvais aller voir de mes yeux de quoi il retournait exactement.
J’ai pris beaucoup de plaisir au début, sur tout l’étage du bas, mais avec le recul, je reste sceptique quant à la pertinence d’associer « Bohèmes », « Bohémiens » et ressortissants Roms, même si l’imagerie du Bohémien a beaucoup influencé les poètes et les artistes.
Baudelaire aurait plus ou moins inventé le terme de « bohémianisme », inspiré par l’étude qu’a faite Franz Liszt sur la musique tsigane de Hongrie. On sait aussi combien les poètes aiment parler des nomades, combien ils se comparent eux-mêmes à des bohémiens. Inversement, il n’y a pas beaucoup de Roms qui soient devenus poètes et peintres à Montmartre. Il n’y a donc aucun échange entre les deux réalités abordées.
D’ailleurs, la séparation en deux étages montre assez bien ce caractère irréconciliable : le rez-de-chaussée est dédié aux oeuvres d’artistes européens représentant plus ou moins ces mystérieux « Egyptiens » qui sont apparus au XVe siècle en Europe de l’ouest.
La première archive en français que l’on possède sur eux est la mention d’un échevin d’Arras en 1419 : « Merveille venue d’Egypte ». Avant d’être persécutés, les Roms ont longtemps été objets de fascination et aussi très en vogue dans les cours les plus brillantes, où ils apportaient des connaissances nouvelles venues d’Orient, de la musique et des danses envoûtantes, ainsi que des techniques de soin révolutionnaires.
Leonard, le Caravage, Courbet, tout le monde est là pour montrer des femmes sensuelles et inaccessibles, des Carmen au sang chaud, ainsi que des familles en vadrouille.
« Bohémiens en voyage » d’Achille Zo (1861)
A l’étage, des salles en enfilade consacrées au mouvement des « Bohèmes », dont les plus connus sont Rimbaud et Verlaine. Ces espaces sont soudain très théâtralisés, avec des reconstitutions de cafés à absinthe, d’atelier de peintre avec un poële au milieu. Toute une scénographie dont je ne sais que penser.
Or, quand j’évoluais dans ces salles bohèmes, je n’arrivais pas à voir le rapport avec l’étage du bas et les images des Roms. Autant lors de ma visite qu’aujourd’hui, je ne réconcilie pas les deux parties de l’exposition. Il y a d’un côté la fascinante représentation des Bohémiens en Europe de l’ouest, de l’autre un mouvement artistique anti-bourgeois, de jeunes gens menant une vie de patachon. D’un côté des familles bibliques qui voyagent comme la sainte famille en Egypte, de l’autre des putes parisiennes et des étudiants fils à papa.
Ces jeunes bourgeois étaient pauvres quelques années avant de réintégrer le confort des règles morales majoritaires. Pour un Rimbaud en véritable rupture avec la norme bourgeoise, on compte une immense majorité de jeunes héritiers qui ne faisaient que s’encanailler dans des cafés tapageurs (aux lustres éclatants). Alors que les Bohémiens (les Tsiganes, les Gitans, les Romanichels, les Manouches, les Sinti et les Roms, appelons-les comme on veut) n’ont jamais vraiment eu le choix d’entrer ou de sortir de la norme bourgeoise.
Il suffit peut-être de mettre son cerveau en mode alternatif et de se dire qu’on a vu deux expositions, qui font réfléchir sur deux thèmes bien distincts mais également stimulants : la présence des Roms dans l’histoire de l’art, et la question de la précarité dans la création artistique moderne. (Cette deuxième partie, en revanche, est tout de même très poussive! Il ne faut la recommander qu’aux adolescents qui rêvent de liberté et qui essaient de lire Rimbaud.)
Tout cela n’enlève rien au charme infini qu’il y a à se prélasser devant de très beaux tableaux. Mention spéciale pour les deux oeuvres qui ouvre et clôture l’exposition. Deux oeuvres qui d’ailleurs sont en porte-à-faux par rapport au reste de l’expo. En premier lieu le film de 1932 de Moholy Nagy dans la banlieue de Berlin, magnifique documentaire sur les Tsiganes. Et le tout dernier couloir qui expose des lithographies d’Otto Mueller qui a vécu avec les Tsigane des Balkans dans les années 1920. Ces images extraordinaires montrent comment l’artiste s’est cru transporté en terre inconnue : il a fait de ces Bohémiennes des Tahitiennes à la Gauguin et des Africaines de bazar.
De nombreuses femmes sont seins presque nus, des enfants ont tout l’air de prostituées dans une végétation tropicale, bref Otto Mueller s’est laissé aller à un imaginaire colonial de la plus pure tradition orientaliste.
Ces tableaux terminent l’étage où l’on ne voyait que des Parisiens du XIXe siècle, mais qu’importe. Quand on se plante, dans une exposition ou dans tout autre chose, il faut le faire à fond, et sans remord.