Fish Tank, un film sur l’adolescence des corps féminins

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Un film anglais qui raconte l’histoire d’une jeune fille dans une banlieue anglaise, on sait ce que c’est, on a déjà en tête une série de scènes auxquelles on ne coupera pas. On sait par avance que ça va beaucoup gueuler, que ça risque fort de frapper et de violer. On sait qu’il y aura beaucoup d’alcool, et sans doute de la drogue. Beaucoup de bruit, des accents incompréhensibles pour les étrangers, et une lueur d’espoir à la fin.

Pourtant ce film m’a touché, et même dans ses moments stéréotypés. Un des clichés qui m’a énervé au premier abord, fut le cheval blanc, attaché dans un terrain vague, et que l’héroïne essaie de libérer, au risque de se faire agresser par des jeunes caravaniers qui habitent là. Un cheval blanc dans un terrain vague, a priori je dis : « N’en jetez plus ». Ce qui est beau, finalement, n’est pas qu’elle essaie de libérer le cheval. Ca, c’est une ficelle qui a pour unique ambition de raccoler le public de quinze ans. ce qui est beau, ce sont ces quelques plans où l’héroïne caresse la peau de la bête, et les frissons de la bête.

L’attention, la fascination de l’adolescente devant la présence brute d’un corps formé et puissant, voilà autour de quoi tourne le film. Le nouveau cinéma anglais, qu’il soit ou non engagé socialement, est un cinéma des corps, ce qui renvoie à ce que j’avais déjà écrit sur le film Hunger.

D’ailleurs, comme par un fait exprès, l’acteur principal de Hunger est précisément celui qui incarne l’homme que l’adolescente va aimer. Elle le voit dans son appartement, c’est l’amant de sa mère. Elle le trouve cool, sexy, sympa, rassurant. Ecorchée vive, elle l’insulte, elle lui gueule dessus, mais ça ne l’impressionne pas, il a cette calme assurance que les femmes désirent voir chez les hommes. Un soir d’ivresse, il va profiter d’elle, mais il va le faire sans violence, et de la manière dont rêvent les jeunes filles d’aujourd’hui : avec douceur, au bon moment, et en ayant pénétré au préalable dans le monde étouffant de la gamine.

Car le fish tank (l’ « aquarium » en anglais), ce n’est pas seulement la vie des gens de banlieue, leur espace confiné dans lequel ils tournent en rond. L’aquarium c’est avant tout la vie intérieure des adolescents, sans issue, submergée par des soucis stupides et pourtant insolubles, engoncée dans un corps qui grandit n’importe comment. Quand, en plus de cela, se déverse continuellement, dans la vie quotidienne, de la musique populaire, du Hip Hop ou du RnB, il n’y a plus d’espoir de voir se développer une quelconque forme de pensée ou de richesse intérieure. Quand la mère est une jeune femme séductrice qui répond encore au modèle borné de l’adolescence, centré sur la danse et l’apparence, on comprend que le seul salut possible pour la jeune héroïne ne pourra venir que d’un corps étranger, mais un corps ferme, musclé, qui n’évolue plus. Que ce soit le corps d’un homme ou celui d’un cheval.

La scène de l’acte sexuel montre bien qu’il s’agit là d’un film réalisé par une femme, car c’est la conséquence dans la vie de la fille qui compte, ce qu’elle ressent, non l’union illusoire de deux êtres. La fille ne recherche et n’obtient aucun plaisir, elle désire un contact plus profond avec ce corps, elle veut entrer en contact avec son propre corps. (C’est toujours intéressant de sentir les différences de narrations, entre les auteurs, selon qu’ils sont hommes ou femmes. J’avais déjà souligné ce point à propos d’un roman qui n’avait pas pu être écrit par un homme). La motivation de l’homme, dans cette scène du film, n’est pas le désir sexuel, mais l’ivresse et le sentiment de rivalité masculine avec le petit copain de la fille. « Est-ce que ton mec a une bite aussi grosse que la mienne ? » demande-t-il pendant l’acte, ce qui renforce le cliché de l’homme compétitif, dominateur, que beaucoup de femmes croient percevoir dans la réalité. (A mon avis, les femmes qui voient chez nous cet esprit de compétition projettent leur propre volonté de domination sur des êtres qui passent la plupart de leur temps à plaisanter, boire des canons et lire le journal pacifiquement…) 

Et de fait, l’homme, dans cette scène (mais j’y pense, dans tout le film!) n’est qu’un prétexte, qui a pour but de faire passer un cap à la jeune fille. La faire devenir femme. L’homme dans ce film n’est qu’un corps, comme souvent dans les narrations de femmes. Ce n’est pas une critique venant de moi, car être un corps c’est déjà énorme. Et savoir apprécier un corps, savoir regarder un corps, c’est toute une affaire. Les cinéastes britanniques d’aujourd’hui nous y aident.

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