Un musée entièrement consacré à la question de l’esclavage, c’est une chose qui doit être visitée et méditée. Celui de Liverpool est peut-être le premier au monde, et forcément, il pose de nombreuses questions.
D’abord, comment faire un musée de l’esclavage ? Qu’exposer ? Les objets et les peintures qui datent en effet de la traite des esclaves sont très intéressants, mais ils sont très peu nombreux. Ils ne peuvent pas remplir un musée, donc il fallait créer des choses et des espaces, et en faire des lieux d’exposition. Est-ce encore un musée ? Et qu’est-il question de conserver ?
Une sculpture d’artistes haïtiens nous accueille, intitulée « Freedom Sculpture« , et accompagnée d’un film où l’on voit les haïtiens travailler et prononcer des phrases générales sur la situation en Haïti. A la fin du film, on voit que la sculpture a été commissionnée par un groupe chrétien de charité. Qu’est-ce que cette sculpture ? De l’art ? De la charité ? Un atelier socio-culturel pour aider les pauvres ? Et en quoi est-ce lié à l’esclavage ? En ceci qu’Haïti fut la première république « noire », la première nation composée d’esclaves affranchis ?

On se rend vite compte que ce musée n’aborde qu’une forme d’esclavagisme : celui que les Européens ont fait subir aux Africains, du XVIe au XIXe siècle. Rien n’est dit des autres systèmes d’esclavage dans l’histoire. Le sage précaire regrette qu’on ne dise rien des Vikings et de leur commerce des esclaves pendant le Moyen-Âge. Mais surtout, l’absence de l’esclavage dans la culture greco-romaine est une lacune à combler absolument, lorsque nous ferons, nous aussi, nos musées sur ce genre de sujet. N’oublions pas qu’un de nos bons sages de l’antiquité, Epictète, fut esclave lui-même. N’oublions pas que Platon, dans le Ménon, démontre l’immortalité de l’âme grâce à l’interrogation d’un esclave grec.
Notre culture est profondément liée à l’esclavagisme. La démocratie aurait été impossible à penser et à réaliser sans un système social fondé le travail d’une classe d’esclaves.
Or, Liverpool a préféré ne montrer que des victimes noires et des bourreaux blancs. Pourquoi pas, à la rigueur ? Cela peut éviter de noyer le poisson de notre culpabilité dans un grand bain de responsabilité partagée.
Mais l’impression finale est peut-être à l’opposée de l’effet recherché. On en vient à penser que seuls les Noirs peuvent être des esclaves, et qu’en définitive, ça leur colle à la peau. Surtout que dans les dernières salles, on les voit jouer de la musique, faire du jazz et du reggae.

On voit des Noirs faire du sport, des Noirs faire de la politique, des Noirs faire des poèmes, et on se demande un peu de quoi ce musée est le musée.
Il y a un précédent au musée: « les anneaux de la mémoire » à Nantes, ville des armateurs négriers comme Liverpool. Mais c’était en 1991 et ça n’a duré que quelques mois. Quand même, ça a réveillé le problème. On a parlé de rendre l’exposition permanente (raté) et de construire un monument de commémoration (la préfiguration a été vandalisée très vite, signe que ce n’était pas indifférent; puis plus rien).
Souvenir d’une de mes visites: un car de voyage organisé est arrivé. A bord, des enseignants noirs qui venaient d’un congrès professionnel (si j’ai bien compris). Il y avait des Africains et des Antillais. Et j’ai entendu un Antillais faire la leçon à ses collègues africains. Eux sont les descendants de ceux qui ont vendu leurs frères, et les Antillais les descendants de ceux qui ont été vendus. Et il a raison. Les négriers nantais ne descendaient pas à terre faire des razzias comme dans les bandes dessinées: ils allaient de point de vente en point de vente négocier les hommes, passer commande, payer en marchandises, se faire livrer. C’était même le plus long et le plus difficile du travail. La traite transatlantique était un des débouchés du commerce des esclaves à l’intérieur de l’Afrique. Les Africains n’aiment pas qu’on le leur rappelle, surtout que ce n’est pas vraiment terminé.
On pourrait aussi parler des esclaves européens des Arabes et des Turcs. Ca a existé, et pas seulement dans « Angélique marquise des anges ». Miguel Cervantès a été esclave à Alger. Ca a duré jusqu’au début du XIXe siècle. Une partie des femmes du harem du Grand-Turc étaient des Provençales et des Italiennes capturées par les pirates. Une bonne lecture http://www.herodote.net/histoire/synthese.php?ID=12&ID_dossier=123 (les liens vers d’autres bons chapitres sont dans la marge gauche). Mais là, c’est bien plus difficile de faire de la morale avec, donc on n’en a fait que des romans. Au moins dans la traite transatlantique, on sait qui est bon et qui est méchant. En noir et blanc.
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Ebolavir est vraiment un type formidable. Il est toujours la ou il faut, il a toujours vu et vecu exactement ce qu’il fallait au moment ou il le fallait.
Moi aussi je connais des Antillais qui reprochent aux Africains d’avoir vendu d’autres Africains. Cette obsession de l’histoire qui fait que les gens demandent des reparations ad vitam aeternam, ca devient etouffant.
Peut-etre que le projet du sage precaire donnerait plus d’air, un musee de l’esclavage ou on parlerait des Grecs, des Vikings, des Arabes et des Turcs.
Le SP et Ebolavir pourraient s’associer. Ce serait un autre projet que l’ouverture d’une boulangerie a Pekin, cher Ebolavir (private joke pour ceux qui lisent son excellent blog.)
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Merci pour billet. J’ai visité ce musée l’année dernière, et je ne savais pas ce qui me mettait mal à l’aise. Je n’avais rien osé critiquer, de peur d’être taxée de raciste, ou de néo-colonialiste.
Mais ce qui m’a un peu choquée c’était le film qui se situe, si ma mémoire est bonne, au centre du musée. Un film qui retrace ce que devait être la souffrance des Africains dans les cales des bateaux. Ils ont pris des acteurs et des figurants pour tourner ce film qui ne montre que des grincements, des vomissements, des membres enchaînés…
Ce sensationnalisme m’avait vraiment gênée, mais je m’étais dit que c’était de ma faute, que je n’étais pas assez prête à regarder la vérité en face.
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Il y a aussi sur l’île de Gorée, au large de Dakar, au Sénégal, un assez ancien musée de l’esclavage : il date de 1990. Il paraît que c’est un très joli endroit.
A Libreville, devant le Palais Présidentiel, dont la façade paraît plaqué or, il y a un monument à l’esclavage : il s’agit d’une grande statue, qui représente un être dont la moitié droite est un homme, la moitié gauche une femme, qui brandit des menottes brisées face à la mer.
De l’autre côté de l’Estuaire, il y a un ancien village, où se réfugia un roitelet esclavagiste loca, le roi Denis, lorsque les français interdisirent l’esclavage à Libreville, en 1848. Au-dessus de chez moi, il y a une famille d’Africains qui employait une Guinéenne minure, sans papiers, dont la paie (dans les cent euros) était directement versée aux parents qui l’y avaient placé. Elle couchait par terre et sortait une ou deux fois par mois. Je crois qu’elle est rentrée en Guinée pour se marier au type à qui ses parents l’avaient promis (vendue). Il y a aussi des enfants béninois importés en Afrique centrale pour aller vendre des trucs sur les marchés. Pas d’école, pas de salaire.
Finalement, l’esclavage, c’est plutot moins présent dans la culture occidentale que dans d’autres cultures. Ici, en tout cas, ça paraît complètement normal à l’opinion publique locale.
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« …et on se demande un peu de quoi ce musée est le musée. »
ah ah ah… Trop marrant hi hi hi.
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Merci à tous pour ces commentaires.
Je suis d’accord avec vous Lucie. Ce film m’a aussi troublé, et m’a paru passablement obscène.
Content de vous avoir fait rire, Anonyme.
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Sur l’île de Gorée, il y a la « Maison des esclaves », une des mises en scène historiques les plus ébouriffantes du monde (oui, j’y suis allé aussi, avec une vedette de touristes). La maison est vraie, elle date du XVIIIe siècle et a été construite par un négociant européen, probablement intermédiaire négrier. Mais elle a été transformée en témoin de la traite. Les celliers ont été aménagés en cellules où les malheureux esclaves attendaient d’être livrés au bateau. La petite porte qui donne sur la mer (une toute petite anse avec une plage, cernée de rochers, où de toutes petites embarcations seulement peuvent pénétrer, sûrement pas les allèges et les baleinières du commerce) est le lieu tragique où ils perdaient tout espoir. etc. Le patron de l’endroit, un vieux Sénégalais qui a été militaire français, raconte à ses auditeurs dans la cour disposée comme un amphi l’histoire de la traite, en insistant sur le fait que c’est bien là (invraisemblable, la maison est toute petite). Il a un talent vertigineux. Le jour où j’y étais, il y avait aussi une classe de lycée, très attentive. Des images au premier degré http://www.kassoumay.com/senegal/ile-goree.html . Le vieux Joseph N’diaye http://goree.ifrance.com/ onglet du même nom.
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L’émission « Au détour du monde », sur France inter, a fait un reportage au Bénin, à Ouidah, sur un site lié à l’esclavage, où les guides accueillent les Noirs américains à la recherche de leurs racines. Ils révèlent le paradoxe qui veut que ces descendants d’esclaves jouissent aujourd’hui d’une vie meilleure que les Africains actuels. Certains se plaignent de voir ces Américains venus pour pleurer, sans penser à aider le Bénin à s’en sortir.
http://sites.radiofrance.fr/franceinter/em/audetourdumonde/index.php?id=90735
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escl
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Finissez votre phrase Irma, vous êtes avec des amis ici.
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