Les « Étonnants voyageurs » et la réécriture de l’histoire

saint-malo-mai-20102.1275752015.jpg

On va encore me taxer de haine, de hargne, de violence et de castagne, moi qui ne suis qu’amour et joie.

Le festival « Étonnants voyageurs » est certes très sympatique et, lorsqu’on assiste à tant de succès populaire, pour des livres et des films, autant laisser faire et même encourager.

(Populaire, populaire, entendons-nous : les gens que l’on y rencontre sont grosso modo le peuple vieillissant des professeurs de collège et de lycée, de France et de Navarre, mélangé à des élèves et étudiants des établissements voisins, quelques voyageurs, de nombreux journalistes. Pas mal d’étrangers aussi, qui combinent vacances, détente et pratique culturelle. Donc, pour résumer, oui, un grand succès populaire.)

etonnants-voyageurs.1275750731.jpg

Le problème de Saint-Malo, c’est en même temps sa grande force : c’est son directeur. Michel Le Bris, dont j’ai déjà écrit sur ce blog (un portrait général et une critique plus précise, qu’il a critiquée lui-même dans un commentaire, ce pour quoi je lui rends hommage.)

Dans un billet du mois de mai, Pierre Assouline cite un chat où Le Bris compare son travail aux pionniers de la revue NRF. Cela fait rire. Pour lire une belle critique, approfondie et informée, de tout ce pseudo-mouvement de « littérature voyageuse », je ne peux que recommander Travel in 20th-Century France and Francophone Cultures, de Charles Forsdick. A ce jour, rien de mieux n’a été publié sur ce point, non plus que sur bien d’autres points. Et puis, sur le passage du manifeste de 1992 à celui, plus célèbre, de 2007, un article du même chercheur anglais : « From “littérature voyageuse” to “littérature-monde”: The Manifesto in Context ».

Ce que j’en dirai, moi, pour ne pas répéter Forsdick, c’est que Le Bris a réussi à faire croire que la littérature de voyage avait connu une traversée du désert, après la guerre, et ce jusqu’aux années 70. Le Bris a fait croire que Sartre (« l’engagement »), Lévi-Strauss et Barthes (« le Signe roi ») le Nouveau roman (« jeux de mots stériles ») avaient fait mourir la littérature du voyage en France.

Ce faisant, il nie les récits de voyage de Sartre (aux Etats-Unis, en Italie, in Situations III et IV) et de Simone De Beauvoir (L’Amérique au jour le jour, ainsi que de longs passages de ses écrits autobriographiques). Il nie, en définitive, toute la philosophie de Sartre, qui, à la Libération, était un grand « courant d’air qui vous pousse dans le dos » (Deleuze).

Dans le même mouvement, Le Bris nie aussi Tristes tropiques de Lévi-Strauss. Il nie L’Empire du signe de Barthes. Il nie Mobile de Butor. Il nie toute la collection « Terre humaine » de Jean Malaurie, fondée chez Plon en 1955, etc.

Comment diable s’y est-il pris, pour faire croire que les décennies d’après guerre furent une période sombre du récit de voyage ?
Tous ces livres que je cite, loin d’avoir asphyxié la littérature du voyage, l’ont régénérée, l’ont fait muter, lui ont permis d’approfondir et son rapport au monde, et son rapport au langage.

Alors je pose la question : pourquoi tant de haine contre la littérature française d’après-guerre, monsieur Le Bris ?

L’ennui, c’est que cette réécriture de l’histoire littéraire se cache sous cette plaisante rencontre printanière des « Etonnants voyageurs ». Nous sommes donc dans l’obligation d’apprécier Saint-Malo et le festival, mais de prendre nos distances avec le discours sous-jacent. Il eût été tellement plus facile de ne pas proférer de discours et de manifestes.

saint-malo-mai-20103.1275752034.jpg

12 commentaires sur “Les « Étonnants voyageurs » et la réécriture de l’histoire

  1. J’aime bien Pierre Assouline. Je n’aimai pas trop à une époque,je le trouvai snob et prétentieux mais j’aime bien maintenant, surtout depuis qu’il a publié un livre sur support papier il y’a deux trois ans sur les blogs vraiment amusants dont j’ai oublié les références -il a même cité l’un de mes pseudos- chose dont je suis assez fier.Je me demande si un jour, je ne mettrai pas les blogs nankinendouce, chines et celu ci avec ses commentateurs sur support papier, comme ça en cas de panne nucléaire mondiale il restera trace de ces discussions…hi hi hi…encore faut t-il trouver le temps…

    J’aime

  2. Le Bris oublie aussi Afrique Ambiguë, de Balandier. C’est peut-être que quand le récit de voyage devient savant, pour lui, ça n’est plus un récit de voyage. Le voyageur doit être naïf et dilettante, il doit dire des conneries, sinon, c’est prise de tête. Je me demande si Le Bris n’a pas un petit côté post-hussard mal digéré.

    J’aime

  3. Sur l’afrique, j’aime bien L’Afrique fantôme de Leiris chez Quarto. C’est entre litterature et disons premiers récits etnhographique aveant la grande vague structuraliste et post structuraliste…moi je cris qu’au fond Le

    J’aime

  4. il y’a aussi L’Afrique fantome de Leiris. fascinant car situé car entre récit littéraire de voyage et premiers ecrits sociologicos scientifiques avant la vague structuraliste et post structuraliste. Copain de Bataille, Caillois… C’est édité chez Quarto je crois une collection que j’adore, des sortes de bottins de classique modernes dont le premier de la série est Cioran…
    Je me demande si Le Bris n’est pas fixé sur une image rétrograde des voyages en effet post hussard c’st gentil : qu’il est résté sur un truc du dix neuviéme siécle a la Gauthier ou Stevenson (mais je ne vois pas où est le mal la dedans, ça me fatigue cette course pour être dans le vent à tout prix…).

    J’aime

  5. Bandes de jeunes insolents !!! avec tout ce que j’ai fait pour vous à éditer des bouquins de voyages etc…ah la la ou va le jeunesse ah la la la tsss pfff

    J’aime

  6. L’Afrique ambigue de Balandier, connais pas. Je croyais que c’etait un essai, genre etat des lieux en Afrique apres l’independance. Le genre de livre qui etait un classique pour les etudiants de science-po des annees 60, ceux qui revaient de se faire une petite carriere ambigue a l’ombre de la Francafrique.
    Je me trompe, Ben, c’est ca? Non mais dites-le, si vous etes un homme, j’aimerais vous entendre dire oui Anonyme, vous vous trompez.

    J’aime

  7. Afrique ambigüe est bien une sorte d’essai avec une dimension de « récit de voyage ». Balandier y décrit ses souvenirs d’avant les Indépendances, et ce quii est impressionnant, c’est le caractére prophètique de certaines de ses observations, donc c’est toujours un classique. après, je ne crois que ça ait vraiment pu servir à des opportunistes quelconques dans leur carrière. Il n’y a pas grande utilité à maîtriser le développement des sectes évangélistes à Brazzaville ou le devenir des traditions animistes en pays wolof pour faire carrière dans la coopération. Je dirais qu’on a beaucoup trop crédité les spécialistes français de la françafrique d’une connaissance approfondie de l’Afrique, par exemple, tout le monde s’émerveille de la soi-disant connaissance profonde que Chirac avait des traditions africaines … si Chirac avait vraiment connu l’Afrique, il y aurait mené une politique un peu moins nuisible. Il y a des tas de gros pourris de l’école de Foccart, ou des nouveaux à la Kouchner … qui vous expliqueront que la démocratie n’est pas adaptée aux traditions locales, que c’est un « luxe », qu’il faut respecter les réseaux des « aînés » (genre Bongo pére) … Balandier avait une vraie proximité des peuples qui lui évitait ce genre de malhonnêteté. Il n’a aucune complaisance pour l’ambiguïté des relations franco-africaines. Mais on s’éloigne de Le Bris – pas tant que ça, peut-être.

    J’aime

  8. Merci Ben. Tres interessant, ca donne envie d’aller y voir de plus pres. je me trompais mais vous ne me l’avez pas fait savoir avec le panache souhaite.
    Francois, je ne suis pas Mart, et si je suis lourd, je vous en demande pardon.

    J’aime

  9. Pardon accepté. Guillaume t’es lourd alors avec cette nouvelle invention d’Anonyme., non ? c’est pas toi ? ok..sinon rien à rajouter , si ce que dit Gondolfo me touche car j’aimerai bien que les médias (même une petite chaine de la tnt ) s’interessent a ce blog même si c’est par le biais de la polémique (de toutes façns , en communication c’est toujours un bon truc de jeter un pavé dans la mare, même si c’sest injuste pour Le Bris, c’est comme çà), ça fait un bail que je suis dessus maintenant en simple commentateur et toujours pas d’invitation chez Pivot, France 5, Ardissson ou Ruquier ça devient lourd la…

    J’aime

  10. Le mieux est sans doute comme le dit Gondolfo , à défaut de voyager, de vivre et de penser le foisonnement de ce salon, sur une note positive…

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s