Certaines choses me frappent dans le monde anglo-saxon : mes amis américains, qu’ils soient canadiens, « états-uniens » ou brésiliens, ne parlent jamais des peuples autochtones, ceux qu’on appelait abusivement les « Indiens » d’Amérique. C’est comme s’ils n’avaient jamais existé. Je me souviens d’amis brésiliens qui taxaient la France de colonialisme et me demandaient ce que nous étions allés faire en Algérie : « La même chose que vous quand vous vous êtes installés au Brésil », ai-je répondu.
C’est le grand impensé de la vie américaine. On peut prendre le problème par tous les bouts, on se heurte à l’innommable extermination des autochtones. La vie américaine est, plus qu’aucune autre, fondée sur un crime inexpiable. Alors comme c’est impossible d’expier ce crime, il faut l’occulter.
C’est un peu ce que dit un personnage du grand roman de Jim Harrison :
« On ne veut surtout pas comprendre quelqu’un quand on lui vole ou lui a volé tous ses biens. La moindre compréhension entraînerait un sentiment de culpabilité insupportable. » Dalva, 1987, trad. B. Matthieussent, 10/18, p. 103.
C’est en lisant cette phrase en apparence banale que j’ai compris l’origine des études postcoloniales. Parmi les nombreuses choses qui me gènent chez les universitaires postcolonialistes, il y a une forme de radicalité aveugle selon laquelle les Occidentaux sont toujours les grands coupables, les criminels, et les cultures « dominées » sont toujours perçues comme dévastées, violées, anéanties.
Nombreux sont ceux qui, en sourdine, protestent devant ces simplifications un peu grotesques. Mais j’ai ici une part d’explication : les études postcoloniales ont vu le jour dans les universités américaines, où le sentiment de culpabilité est en effet insupportable. Et leur acte de naissance fut peut-être d’étendre à tout le fait colonial ce qui s’est passé avec les Indigènes d’Amérique.