Faut-il acheter ses livres sur internet ou faut-il soutenir les librairies indépendantes ? Fréquemment, les amoureux du livre disent préférer les vraies boutiques, où de vrais libraires rencontrent de vrais lecteurs.
Il est vrai que ça a son charme, tous ces « vrais » mis bout à bout, ça donne l’impression de vivre dans la réalité, la vérité, la concrétude.
Or, cela me paraît un peu court comme argument. Loin de moi l’idée de nier l’importance qu’ont les librairies indépendantes dans nos villes, et d’amoindrir ce qu’elles apportent de dynamisme ou de culture à nos rues. Mais compte tenu qu’elles ne peuvent rivaliser avec les stocks infinis des librairies en ligne, les vraies boutiques et les vrais commerçants doivent apporter quelque chose de plus à leur service, un supplément d’humanité, d’échanges et de rencontres. Si elles se limitent à poser des bouquins sur des tables et à attendre le client, nul doute qu’elles vont fermer les unes après les autres.
Dans la petite ville du Vigan, la librairie du Pouzadou est une petite institution qui résiste. Elle joue crânement son rôle de commerce de proximité. Elle jouit donc d’une position assez privilégiée par rapport à celles qui sont mal placées, mal connues, mal desservies. Et pourtant elle incarne à sa façon le déclin inévitable de la librairie indépendante.
On se souvient que l’employé du Pouzadou avait refusé de commander des exemplaires de mon livre sur les Travellers irlandais, au motif qu’ils ne se vendraient pas. Finalement, il en a commandé, mais longtemps après le moment où un certain buzz entourait mon livre. Si bien qu’une dizaine d’exemplaires ont été vendus sur la ville, mais indépendamment de la librairie indépendante. Plusieurs personnes l’ont même acheté sur internet…
L’autre jour, je fais un tour à la librairie pour renifler un peu la rentrée littéraire. Je vois une pile de mes Voyage au pays des Travellers, invendus, embarrassants et encombrants. Je m’adresse à la dame qui tient la caisse et lui exprime ma confusion. Pour écouler ce stock, je fais offre de service. « Si je peux être utile à quelque chose… » Elle propose une séance de signatures. Bonne idée. À mon avis, tout le monde doit un peu mouiller sa chemise pour vendre cette marchandise fragile qu’est le livre. Les auteurs aussi. Alors, aller au mastic, faire le bonimenteur, vendre mes livres à la criée pour aider une petite librairie, je suis d’accord.
Il se trouve qu’en plus, la semaine suivante, un festival de littérature de voyage se tiendra dans le centre-ville. Nous pensons que cela pourrait être l’occasion d’attirer l’attention du lectorat sur cet ouvrage de voyage ethnographique en Irlande.
Ce matin, je viens aux nouvelles. Les employés s’en sont parlé et ont pris la décision de ne pas organiser cette séance de signatures. Ils préfèrent renvoyer les quatre livres chez le diffuseur, au motif qu’ « on en vendra peut-être aucun ».
Ils ont des livres à vendre, et un auteur sous la main qui est prêt à s’investir et ils font le choix de ne même pas essayer. Ils avaient l’opportunité de proposer à leur clientèle une rencontre, un événement humain, ils préfèrent s’en passer. Il paraît que la librairie indépendante apporte un supplément d’âme que ne peut fournir la librairie en ligne. Encore faudrait-il que les libraires eux-mêmes aient envie de jouer ce jeux-là.
Je n’insiste pas car j’avoue que cela me dispense de rester assis derrière un stand des heures durant. J’insiste d’autant moins que la libraire me dit d’un ton désolé que mon livre, désormais, « c’est de l’histoire ancienne ». Je déglutis comme je peux et tâche de garder le sourire. Un peu humilié, je réponds que même pour moi c’est de l’histoire ancienne, car je suis sur d’autres projets. Naturellement, je n’y crois pas une seconde. Pourquoi écrirait-on, et pourquoi lirait-on des livres, si nous pensions qu’ils se périmaient comme des yaourts ?
Savez-vous pour qui mon livre n’est pas de l’histoire ancienne ?
Amazon.
Bel article.
Je viens de prêter ton livre à ma petite soeur, et j’ai parlé de ta vie avec les Travellers au Rachaï qui habitait Lyon jusqu’à un temps très récent…
Les livres voyagent aussi dans les coeurs
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Pouzadou, ça veut dire quoi, déja? Louche ou cloche?
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Pouzadou, c’est un lieu pour « Pouzaigue », puiser de l’eau. Tu as raison Ben, c’est louche.
Merci Nénette, c’est vrai que c’est dans les coeurs que se joue le destin des livres.
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Moi j’aime surtout les bouquinistes.
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Guillaume, tu as sans doute passé toi-aussi trop de temps en Chine. Du coup, on a du mal à montrer de l’empathie pour les geignards qui préfèrent blâmer la modernité, l’ogre internet, plutôt que de réfléchir à comment s’y adapter, fusse en travaillant un peu plus que d’habitude lors d’une soirée ou un samedi. Combien de week-ends ai-je passé avec mes employés chinois pour les divertir, prendre des nouvelles, créer du lien?.. Sans blague, je ne compte plus, et je ne m’en plains pas, on a passé de bons moments ensemble. Ce brave libraire est passé à coté de sa vocation d’employé de bureau à heures fixes, dommage pour lui.. et ses clients!
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Oui, surtout que l’événement concerné ne demandait aucun investissement de temps ou d’argent supplémentaire. C’est une sorte de volonté d’inertie, ou d’inertie volonntaire, que nous ont montrée les employés du libraire.
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Des nouvelles de cette librairie, quelques années après ce billet de 2013 : elle a fermé.
Mais ce n’est pas à cause de ce rendez-vous manqué avec les Travellers irlandais.
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Ah oui ? Mon frère qui habite au Vigan me l’a dit en effet, il y a quelques mois.
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