Lettre ouverte à une passionnée… de Sylvain T.

Cliché libre de droit généré quand j’ai saisi « Genius Wanderer »

Chère XXX

Merci à vous pour cet échange.

Restons-en là puisque à partir de maintenant nous allons tourner en rond. Vous ne voyez rien de politique chez cet auteur, très bien. Moi, j’ai fait ma part de travail sur ce point et ai publié les fruits de mes recherches en différents endroits. Depuis quelques années, d’autres prennent le relais de ce dévoilement d’une idéologie réactionnaire à l’œuvre dans un courant de littérature de voyage qui se fait passer pour sympathique et humaniste.

Cela étant dit, votre passion me permet de mesurer combien le travail marketing de Tesson, son « story telling » et sa mise en image, a été très efficace. Naturellement l’identité de son père, grand patron de presse et flamboyant journaliste, lui a donné toutes les cartes du jeu promotionnel. Grâce à un carnet d’adresses extraordinaire, Tesson fils a su tirer remarquablement son épingle du jeu. Certes, il est né et a grandi au centre du pays, au centre de la bourgeoisie et au centre d’un monde médiatique dont il a très tôt maîtrisé les rouages. Mais cela ne suffit pas pour trouver le succès commercial. Il a su profiter de manière optimale de ses privilèges en développant un sens aiguë des affaires et de l’entreprise. Selon moi, Tesson n’est pas un bon écrivain mais c’est assurément un très bon homme d’affaire. Sa place serait plus légitime à l’assemblée du Medef qu’au Printemps des poètes. Il a mérité sa place parmi les grands « écrivains médiatiques » qui bénéficient d’une image de marque. Réussir à imposer sa marque, imprimer son image, c’est rare et c’est ce qu’ont réussi à faire les Houellebecq, Nothomb, Beigbeder, Moix, BHL, Onfray, Matzneff, etc. En général, ce sont de mauvais auteurs, mais ce n’est pas automatique.

La tribune, quant à elle (ce n’est pas une petition mais une tribune) n’a rien de scandaleux, et ne demande en rien l’effacement d’un auteur. Il n’y est pas exprimé de haine ni de mépris. Elle n’est sans doute pas écrite comme je l’aurais écrite. D’ailleurs, il ne me serait jamais venu à l’esprit de lancer une telle tribune. Je l’ai signée et je la relaie car je soutiens ceux qui veulent faire déciller les yeux des gens exposés aux médias de masse. Quand on vous assène des centaines de fois, sur toutes les chaines, que Tesson est un génial vagabond, que Houellebecq est un génial visionnaire, que Nothomb est une géniale excentrique, il est normal qu’on se laisse influencer.

6 commentaires sur “Lettre ouverte à une passionnée… de Sylvain T.

  1. Sur le « dévoilement d’une idéologie réactionnaire à l’œuvre dans un courant de littérature de voyage qui se fait passer pour sympathique et humaniste »… Je confesse avoir eu un faible pour Tesson, dont je n’ai lu qu’un seul bouquin, qui est « l’énergie vagabonde », qui m’a bien plu (sans pour autant me donner vraiment besoin de lire toutes ses autres oeuvres).
    A l’époque, ce livre me semblait s’opposer à un autre bouquin publié à la même époque de Bellamy qui s’appelle Demeure et qui développe une espèce de revalorisation du sédentarisme opposé à la mode du voyageur internationaliste à la Attali. A travers cette opposition, on voyait une (caricature) de l’opposition entre le Deleuze du « Traité de nomadologie » et le Heidegger de « Bâtir, habiter, penser », qui sont deux textes qui m’intéressent tous deux pour des raisons philosophiques, esthétiques et peut-être sentimentales.
    Dans cette opposition, il est clair que la position Heidegger-Bellamy est « de droite », on va dire conservatrice : Heidegger oppose habiter à loger, l’habitat traditionnel, intégré dans une culture, au logement moderne, construit selon une logique technico-rationnelle.
    La position Deleuze-Guattari semble de gauche, opposant à l’habiter bourgeois une nomadisation anarcho-révolutionnaire, la machine de guerre à l’Etat, etc. Mais le Tesson de « l’énergie vagabonde » est-il de gauche ou de droite ? C’est comme s’il y avait eu entre le Deleuze des années 80 et le Tesson des années 2010 un glissement du thème vagabond de la gauche vers la droite.
    Donc, d’après toi, est-ce que ces deux grilles droite/gauche et nomade/sédentaire se recoupent ? Ou alors est-ce que l’opposition nomade/sédentaire perd toute pertinence par rapport à l’opposition droite/gauche ? Est-il préférable d’être un bourgeois de gauche plutôt qu’un nomade de droite ?
    Moi j’ai toujours eu un faible pour les « anarchistes de droite » (pas Tesson, mais de vrais anarchistes comme le Blondin de « l’humeur vagabonde ») que je préfère clairement aux idéologues de gauche de la même époque, par exemple les romans de Sartre qui m’ont toujours paru extrêmement ennuyeux, et pourtant il me semble parfois que j’ai des idées de gauche.
    Et je crois que Deleuze lui-même, pourtant clairement « de gauche » et même d’extrême-gauche, a souvent été insulté par la gauche orthodoxe au vu de ses « dérives droitières » notamment à l’époque de « Mille plateaux ».
    Donc est-ce que ce que tu reproches vraiment à Tesson, c’est d’être mauvais, comme écrivain, ou de droite, comme personnalité publique ? Parce que moi, si au lieu d’être mauvais écrivain, il était bon, j’en aurais rien à faire, qu’il soit de droite et qu’il préside la printemps des poètes.

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    1. Comme toi je n’ai aucun problème avec les gens de droite. J’adore aussi Blondin et de nombreux autres réacs.
      Je reproche à Tesson de cacher son côté droitier sous une apparence sympa et vagabonde, d’être un mauvais écrivain qui enfile des mots d’auteur et des aphorismes à la con, de prendre la pose du philosophe et du géographe pour ne dire que des banalités (de droite), d’exprimer un mépris de classe dans ses livres, et mille choses encore que j’ai détaillées dans diverses publications.

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    2. commentaire de Ben: Donc est-ce que ce que tu reproches vraiment à Tesson, c’est d’être mauvais, comme écrivain, ou de droite, comme personnalité publique ? Parce que moi, si au lieu d’être mauvais écrivain, il était bon, j’en aurais rien à faire
      Le sage precaire avait deja ecrit un article sur la qualite litteraire de Sylvain Tesson. Il y avait des citations de son livre sur la Siberie. J’ai retrouve cet article, ce n’etais pas facile car il a change de titre entre temps, il est la: https://gthouroude.com/2013/02/02/lermite-limite-dans-les-forets-de-siberie-de-sylvain-tesson/

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  2. « Le monde est assez détestable et le serait d’autant plus qu’on y admettrait pas d’autres horizons que le sien »
    « J’ai durant toute ma vie admiré le travail d’auteurs de droite, de réacs, voire même de salauds, et n’ai jamais pensé qu’il fallait aligner ni la littérature ni mes goûts sur mon appétit de progrès »
    « Il faut craindre autant que le mal les moyens que l’on met à favoriser l’avènement du bien »
    Nicolas Mathieu

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    1. Oui le prix Goncourt 2018 a encore raté une belle occasion de se reposer les pouces. Tous les signataires de la tribune ont aimé Céline et autres réacs. Quel rapport avec la tribune ? A-t-on demandé qu’un auteur disparaisse des librairies et des bibliothèques ? La dernière phrase de son tweet, que tu cites ici, ressemble a du Tesson. Un aphorisme qui se veut intelligent et qui n’est que banal. À côté de la plaque Mathieu, mais bon, content de savoir que lui aussi, comme nous tous, est capable d’aimer des gens différents de lui.

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