Encore un coup de maître de Mélenchon

Le leader de la gauche française est encore en train de nous donner une leçon de politique impressionnante.

Alors que tout le monde en France s’épuise à parler d’Israël et de Gaza, dans une guerre de propagandes qui dégoûtent même ceux qui y participent, Jean-Luc Mélenchon soigne sa stature internationale en honorant l’invitation du plus grand pays francophone du monde. Il s’entretient avec le président du Congo et prononce un discours à l’assemblée nationale de cet immense pays.

Il joue plusieurs cartes à la fois. Il y va avec une « délégation » de députés insoumis dont certains sont originaires d’Afrique. Il y parle d’avenir, de partenariats sur des « causes communes » que sont les forêts, la mer et l’espace. Il prend activement date pour des projets qui seront médiatiques tôt ou tard, donc il prend de l’avance sur ses concurrents politiques.

Là où le président Macron est persona non grata, d’où l’armée française est renvoyée, où la politique française est rejetée, le fondateur de la NUPES est accueilli à bras ouverts. Après son passage au Maroc, son voyage au Congo est un coup diplomatique d’importance.

Et il réussit ce coup tout en étant omniprésent dans les esprits qui s’échauffent en France sur Israël, sur le terrorisme, sur le Hamas et sur Gaza. Il ne lui a fallu que quelques tweets et quelques prises de parole entre le 7 et et le 10 octobre pour prendre toute la place. Depuis, il laisse ses bras droits Mme Panot, M. Bompart et Mme Obono prendre le feu des médias, supporter la pression immense qui exige beaucoup d’énergie. Il joue sur du velours avec les erreurs et les fautes d’amateurs commises par Mme Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale dont les propos sur Israël déshonorent la France. (Quel savon Macron a dû lui passer à cette dernière!) Avec des adversaires aussi médiocres, Mélenchon n’a pas besoin que d’un tweet pour la renvoyer à ses chères études.

Pendant que tous s’agitent à Paris, le vieux Mélenchon, en bon loup de mer, se promène doucement à Kinshasa et obéit à son propre agenda tout en restant au centre des discussions frnaçaises depuis trois semaines. Il dort comme un bébé au moment même où la tempête gronde au sein de la NUPES.

Là-dessus arrivent des sondages qui le placent, lui Mélenchon, en leader incontesté de la gauche, et même au second tour des présidentielles si la NUPES ne présente pas d’autres candidats. Les autres dirigeants de l’Union de la gauche sont donc obligés de rentrer dans le rang car ils n’ont pas d’autre espoir que Mélenchon pour un jour retrouver le pouvoir et les ors de la république.

Chapeau l’artiste.

Discours croisés sur les migrations : deux voies sans issue

L’histoire poignante de mon ami H. qui prend des risques pour mettre le pied en Europe remue tant d’idées et de souvenirs en moi. Les mots et les idées s’entrechoquent.

Deux discours sur la migration se font face et sont également sans avenir et sans issue. En Europe, le discours dominant est celui de l’anti-immigrationnisme qui prétend que l’immigration est la cause de nos problèmes. En France, l’extrême-droite pense et dit cela depuis 50 ans, rejointe par les partis de droite et du centre depuis leur défaite de 1988, rejointe enfin par la gauche anti-sociale dite gouvernementale, qui se vautre depuis 2001 dans un racisme renommé élégamment laïcité.

En face, c’est une position inverse qui s’impose. En Afrique, le discours omniprésent est celui de la réussite par l’émigration. Aider quelqu’un revient bien souvent à lui trouver un « contrat » ou un visa dans un pays du Golfe persique, d’Amérique ou d’Europe. Les conseils fusent du genre : apprends telle langue, forme-toi à tel métier, cela te donnera plus d’opportunité pour partir dans tel pays. C’est un véritable crève-coeur de voir tant de gens de grande qualité avoir intégré l’idée que la réussite se trouverait forcément ailleurs.

Des millions de personnes dans le grand sud sont parkés dans des centres, des prisons, des camps, aux portes des espaces européens, américains ou asiatiques perçus comme des Eldorado d’opportunités. On entend des chansons et on voit des pancartes de gens qui clament : « Laissez-nous passer », « we need to pass ».

Où la sagesse précaire se situe-t-elle dans cet embrouillamini ? Doit-elle militer pour un accueil inconditionnel de tous ceux qui le veulent ? En quoi cela serait-il humaniste et rationnel ?

Le sage précaire est gêné. Il aimerait voir les voyageurs libres de traverser les frontières mais il comprend les frayeurs et les inquiétudes des braves gens devant l’immigration. Cette inquiétude est la même partout, elle est par exemple présente en Tunisie cet été en présence de tous les subsahariens qui apparaissent dans les villes côtières.

Ce qui est insoutenable dans tout discours, c’est de réduire les Africains à une catégorie d’être humain, celui qui cherche à s’en sortir. Il faut aussi donner voix à tous ceux qui veulent juste voir du pays, sans nécessairement fuir la misère, comme le sage précaire lui-même le faisait.

Korhogo (8) Le parrain de Guillaume, suite et fin

Il a fallu 4 ans pour gagner la première guerre mondiale , 6 ans pour terminer la deuxième.

Et pourtant, on peut en faire des choses en 3 ans! Il n’en a pas fallu davantage à J.-C. pour changer la face du monde et passer à la postérité. 3 ans, c’est aussi le temps que nous avons passé avec le parrain de Guillaume en Afrique. Nous n’avons rien changé à quoi que ce soit et ne sommes pas devenus célébres, mais je peux vous assurer que nous nous sommes éclatés dans cet environnement particulier qu’est la brousse africaine, où tout est possible si vous avez l’esprit d’aventure et le contact aisé avec les autochtones.

Nous avons pu ainsi plusieurs fois être accueillis par des villageois qui n’avaient jamais vu de blancs. Nous avons partagé avec eux des parties de chasse et beaucoup d’autres choses. Et une fois, on nous a même permis de pénétrer dans le bois sacré, là où ont lieu les initiations et où sont prises les décisions importantes .

Nous étions accompagnés par le chef de village et le sorcier. Il faut dire que cette fois là Michel avait apporté tout l’outillage nécessaire pour le creusement d’un puits, ce qui a facilité les choses.

Parmi toutes les aventures que nous avons vécues, je vais vous en conter 2 qui reflètent bien l’état d’inconscience dans lequel baignaient nos 2 lascars.

Un photographe et néanmoins ami de Korhogo, avait besoin de clichés rapprochés d’hippopotames. Les zooms de l’époque n’étaient pas très performants et lui pas très vaillant. Connaissant notre réputation de casse-cou, il nous confia 2 appareils dernier cri, nous en apprit le fonctionnement, et nous voilà partis pour la Comoë , le fleuve dans lequel barbotaient les hippos.

C’était un week-end et beaucoup d’expats venaient pique niquer à cet endroit . Pour prendre les photos désirées, il n’y avait pas d’autre solution que de s’approcher le plus près possible de ces paisibles animaux. Sous le regard étonné puis inquiet des spectateurs, nous entrons dans l’eau et partons à la rencontre de nos cibles. Je m’en approche jusqu’à avoir de l’eau à hauteur de poitrine et je prends quelques photos. J’étais à 5 mètres, m’a-t-on dit, et je peux vous jurer que je n’avais absolument pas peur. J’avais la certitude que ces grosses bêtes étaient inoffensives, seulement maladroites. Je suis revenu sur la berge rejoindre mon ami qui ne m’avait pas suivi très longtemps. Il me dit dans un grand sourire : « Tu sais , moi sans mon béretta, je suis un peu paumé! » De ce jour, je suis remonté dans son estime et fus classé définitivement comme fou par les Européens.

Un jour où j’étais en train de faire des mesures de débit sur une riviére en crue , je suis interpellé par un Européen au fort accent germanique. Il m’explique que son activité consiste à fournir en animaux sauvages, cirques et zoos, sa spécialité étant les crocodiles. A l’époque, je ne voyais rien de répréhensible à cette démarche .Il me dit qu’il avait appris la présence de nombreuses familles de crocos dans cette région et en particulier dans un marigot voisin. Il me propose de l’aider dans son travail, contre rémunération bien sûr! J’ai du temps libre et quelques marks pourraient améliorer l’ordinaire. J’en parle à Michel, qui comme moi, trouve l’idée géniale. L’aventurier teuton nous invite à manger et nous explique la façon de procéder avec photos à l’appui. En fait, c’est très simple : il suffit d’entrer dans l’eau boueuse, comme pour les hippos, mais de nuit avec une lampe frontale. Lorsqu’on a de l’eau jusqu’au ventre, on s’arrête quelques minutes et on balaie la surface avec les lampes. Au bout de quelque temps, normalement, on voit apparaître à quelques métres, 2 petits ronds rouges. Ce sont les yeux du crocodile. Et là, il vaut mieux ne pas être bourré et rester concentré! En effet, l’écartement des yeux détermine la taille de l’animal. Notre client recherche des bêtes d une cinquantaine de centimétres ce qui correspond à environ 5 cm entre les yeux si ma mémoire est bonne. Une fois la bonne cible repérée , il suffit que l’un d’entre nous l’attrape par le cou d’un geste vif tandis que l’autre lui passe un noeud coulant sur les mâchoires. C’est un travail dans lequel il y a intérêt à être synchrone! Car ces animaux, même petits, peuvent être redoutables avec leurs dents et leur appendice caudal. Tout se déroulait parfaitement bien dans la joie et la bonne humeur. Et puis, une nuit, peut-être par routine, Michel commit une erreur d’appréciation et se trouva aux prises avec un animal beaucoup plus gros que prévu. Ses 2 mains avaient du mal à lui entourer le cou et pourtant, pas question de le lâcher à cause d’éventuelles représailles… J’ai un mal fou à mettre en place la corde et le noeud qui vont lui immobiliser les mâchoires. Doué d’une force et d’une énergie phénoménales, le croco se débat et nous envoie de grands coups de queue . C’est assez désagréable! Nous finissons par gagner la partie, le remonter sur la berge et le ligoter. Il mesure un mètre environ et nous avons eu de la chance qu’il ne nous ait pas mordu! Et lui, a eu de la chance que le béretta de mon ami ne fonctionne pas dans l’eau!

Malgré les félicitations et les encouragements de notre client, nous avons décidé d’arrêter là notre collaboration… Nous avons passé le reste de la nuit à boire du rhum arrangé chez notre ami Pierre, le Réunionnais, afin d’évacuer le stress et la grande trouille que nous venions d’avoir.

Nôtre séjour en Côte d’Ivoire touchait à sa fin. Michel part rejoindre des amis dans le nord du Niger, à la frontière Lybienne. Il part seul avec sa vieille 4L, sans grande connaissance du désert. Nous sommes début 1965. Je n’eus plus aucune nouvelle de lui, le contact qu’il m’avait donné en France n’en avait pas plus que moi! Je pensai alors qu’il était mort de soif (triste fin pour lui!), quelque part dans le désert nigérien.

Printemps 1972, Guillaume vient agrandir la famille. Peu de temps après, nous passons quelques jours avec Marie-Pierre à Paris. Lors d’une visite au musée du Louvre, arrêt devant la Joconde. Il y a foule et tout à coup, au milieu de cette foule  nos regards se croisent, incrédules. Gros éclat de rire, embrassade! C’était LUI ! Je passe sur les retrouvailles et tout ce qui va avec, ce serait beaucoup trop long…

Nous avions prévu de baptiser Guillaume (il s’agissait plus précisément de présenter l’enfant à l’église afin de lui laisser le choix de demander ou pas le baptême, lorsqu’il serait en âge de le faire. Avec le recul, je trouve cette démarche assez nulle.)

Nous proposâmes à Michel de devenir le parrain de Guillaume. Il accepta avec joie. C’est ainsi qu’habitant la région parisienne, il vint à Lyon le jour de la cérémonie , fit bonne figure à l’église, offrit une gourmette à son filleul, fit honneur au repas préparé par Marie-Pierre, discuta avec la marraine et disparut dans la soirée. Il ne donna plus jamais de nouvelles et j ‘avoue que je ne cherchais pas à en avoir. En effet, l’homme que j’avais retrouvé en France n’était plus celui que j’avais connu en Afrique, et il devait penser la même chose de moi. Vivre des choses exceptionnelles dans un environnement qui ne l’est pas moins laisse des traces indélébiles.

Adieu l’ami, nous nous retrouverons bientôt dans l’au-delà et nous aurons toute l’éternité pour en discuter.

Des Africains qui préfèrent l’Amérique : Célestin Monga

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A la recherche de récits de voyage écrits par des Africains, je suis tombé sur Un Bantou à Washington, de Célestin Monga (PUF, 2007). Economiste camerounais, Monga a écrit des articles d’opposition au pouvoir de Paul Biya, a fait de la prison, a incarné la résistance démocratique camerounaise, avant de s’exiler en Amérique dans les années 90 où il a repris ses études à Boston (université d’Harvard), et finalement trouvé refuge dans un beau bureau à Washington, dans la prestigieuse Banque mondiale.

Le passage critique vis-à-vis de la France m’a évidemment intéressé. Monga doit se justifier de plusieurs choses : de refuser l’exil que la France mitterrandienne lui offre, de ne pas rester avec ses compatriotes au Cameroun, de préférer l’Amérique à la France, et de collaborer à « la politique de la Banque mondiale ».

Même s’il reconnaît qu’il existe une « France de Victor Hugo », il ne nourrit plus que des sentiments amers pour cette France qui « apparaissait aux Africains de mon âge comme une vieille dame aigrie et recroquevillée sur elle-même, à une époque où la globalisation semblait au contraire étendre les frontières de notre galaxie » (67).
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C’est un grand lieu commun dans les études postcoloniales, de reprocher à la France de se crisper sur « sa » république, son « vieil universalisme » (A. Mbembe), les « frontières de la francité » (S. Shilton), son « identité nationale », lorsque le reste du monde s’ouvre, s’aère l’esprit, se mélange dans une globalisation vraiment moderne. Achille Mbembe écrit les mêmes mots dans sa contribution au gros ouvrage collectif, Ruptures postcoloniales, les nouveaux visages de la société français (La Découverte, 2010).

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Avant de partir pour l’Amérique, Célestin Monga s’imagine comme intellectuel africain à Paris, et cela lui répugne considérablement : « L’idée de passer mes journées à flâner dans les bistrots de la Rive gauche ou à humer l’air du Jardin des Tuileries, et mes soirées à déambuler sur les Champs-Elysées me semblait un plaisir dégoûtant » (68). C’est bien un rejet violent, épidermique. A propos de Harvard, il parlera de la « volupté de l’ascèse ». Il y a donc deux formes de plaisirs existentiels selon Monga : en France, un hédonisme pourri, délétère, décadent, où l’on traîne dans une misère morale sans issue ; aux Etats-Unis, un plaisir sain et sobre, frugal, tourné vers l’émancipation et les vrais résultats.

Paris, c’est l’apparence de la liberté, Boston l’efficacité de la vie libre.

Monga donne de nombreuses autres raisons, toutes plus légitimes les unes que les autres : le manque de sécurité, la mauvaise conscience, la « mémoire exagérément lucide ». Il donne aussi plusieurs raisons qui l’ont poussé à accepter l’éxil aux Etats-Unis plutôt qu’ailleurs. Achille Mbembe fait de même, lui qui a enseigné quelques années à Columbia. Dans l’article cité plus haut, Mbembe alarme le lecteur sur la perte de prestige de la France en Afrique, perte « dont le principal bénéficiaire est l’Amérique ». Les Etats-Unis qui, eux, possèdent une « réserve symbolique immense » avec sa « communauté noire » qui a tant de représentants dans le monde politique, médiatique et culturel.

A aucun moment Monga ni Mbembe ne disent que les Etats-Unis offrent plus d’argent aux élites du monde entier, de meilleures conditions de travail et un cadre de vie appréciable. Ou plutôt, ils le disent, mais ils n’interrogent jamais le fait que si les Etats-Unis ont tant d’argent pour attirer les élites, c’est grâce à une forme d’impérialisme dont ils sont les maîtres, et qu’ils n’oublient jamais de fermer leurs frontières, autant qu’il leur est possible, pour empêcher les pauvres de venir chez eux.

Enfin, nos amis intellectuels africains omettent tout simplement de dire que tous ceux qui bougent aujourd’hui ont plutôt envie d’aller en Amérique qu’en France. Moi aussi, si j’avais le choix, j’irais sans hésiter à Boston, New York ou Washington, plutôt qu’à Paris ou à Londres. Cela n’a rien à voir avec un rejet de l’Europe, mais tout avec le désir naturel d’aller voir sur place comment les choses se passent au centre du monde. Si j’avais vécu à Lugdunum au premier siècle, de même, j’aurais essayé de me rendre à Rome, pour voir un peu.

C’est un peu facile, en définitive, d’habiller ses choix de migrations de grands principes moraux, et de profiter des largesses américaines, faites sur le dos des travailleurs exploités, pour expliquer que la France décline du fait de son colonialisme mal digéré. Mais c’est le propre des nomades et des touristes comme moi, ils ne craignent pas la facilité.