L’Irlande et Lyon se rencontrent enfin

Depuis que la bonne ville de Lyon a vu la naissance du sage précaire, jamais son club de football n’a été aussi bas. C’est simple, nous sommes derniers du championnat de France. Je ne sais pas si cela a déjà eu lieu dans l’histoire du monde.

À la fin du premier tiers de la saison, nous n’avions pas gagné un seul match. Pas un seul club d’Europe a fait aussi mal que Lyon. Or ce mauvais sort a été brisé hier soir. Devinez qui est venu à la rescousse de l’O.L. pour sauver l’honneur de la capitale de la sagesse précaire ?

Un Irlandais.

Le seul Irlandais qui joue en France. Jake O’Brien, natif du comté de Cork, et joueur de sports gaéliques. Il n’était pas destiné à devenir professionnel de football. Le sage précaire l’inclut donc dans son narratif cosmogonique en faveur des amateurs contre les professionnels.

L’Irlande compte beaucoup pour moi puisque c’est là que j’ai commencé ma vie d’errance en 1999. Plus que la France, c’est Lyon que j’ai quittée à l’âge de 27 ans. J’aimais ma ville mais c’est elle qui ne voulait plus de moi. Tous les signes du destin montraient la direction du départ : je me séparais de ma compagne croix-roussienne, je me faisais virer du Musée d’art contemporain, le cinéma redevenait cher à cause d’un plan secret dont j’avais profité et qui ne fonctionnait plus. Mon anglais était toujours au point mort. Alors l’amoureux de Beckett et de Joyce que j’étais décida de migrer à Dublin, où je restai plusieurs années.

J’étais Dublinois quand l’Olympique lyonnais devint champion de France. J’ai suivi la décennie faste de mon club depuis l’Irlande, puis la Chine, puis l’Irlande à nouveau. C’est pourquoi dans mon cœur ces deux entités sont unies.

C’est encore pourquoi je suis si heureux que c’est un Irlandais qui ait marqué l’unique but de la victoire d’hier soir.

Je prie pour qu’une grande histoire d’amour commence entre le peuple de Lyon et le peuple irlandais. Qu’O’Brien fasse des étincelles chez nous, que d’autres joueurs irlandais viennent jouer entre Rhône et Saône et que les supporters se mettent à entonner des chants celtiques et des ballades mélancoliques.

Des amateurs pour l’Olympique lyonnais

« Football amateur ». Photo gratuite d’une banque d’image associée à mon blog.

On connaît l’origine du sage précaire donc on en déduit qu’il est un supporteur de l’Olympique lyonnais. On se souvient notamment de ce billet de 2007 où le sage précaire regardait perdre Lyon contre le Barça en compagnie d’une entraîneuse chinoise dans un bar de Shangai.

Par ailleurs l’un des chevaux de bataille de la sagesse précaire est la défense de l’amateurisme au détriment du professionnalisme. Les meilleurs écrivains de l’histoire furent des amateurs. Rares furent les écrivains professionnels qui ont marqué les esprits après leur mort.

Lire à ce sujet : Amateurs et professionnels de l’écriture.

La Précarité du sage

Aujourd’hui, depuis que l’Olympique lyonnais est dernier du classement de Ligue 1, on peut enfin faire converger mes deux passions, le football et l’amateurisme. Remplacez les joueurs grassement payés par de braves gamins des quartiers de Bron, de Vaulx-en-Velin, des Minguettes ou de Vaise. Choisissez dans les clubs amateurs de la ville et de ses banlieues les meilleurs joueurs et donnez-leur la chance de leur vie.

Que risque-t-on dans tous les cas ? Perdre les matchs ? On les perd presque tous. Nous sommes dernier et tout va mal dans le vestiaire. À quoi sert de se crisper sur ces professionnels-là qui, visiblement, sont en plein burn out. Envoyons-les en cure de repos et redonnons de la fierté au public lyonnais en faisant jouer des amateurs.

Ces nouvelles figures inconnues du grand public seront extrêmement motivées et redonneront le moral aux supporters. Ils créeront de l’enthousiasme, de l’émulation et de la joie de vivre. Même les défaites seront accueillies avec joie et le moindre match gagné sera un véritable triomphe.

Prostituée ou entraîneuse ?

Quand on vit à Shanghai et qu’on veut voir un match de football européen, il convient de sortir dans les cafés tapageurs aux lustres éclatants et d’attendre trois heures du matin.

En ce temps de coupe du monde de rugby, plus personne ne s’intéresse au football, donc j’ai failli rater le match de l’Olympique lyonnais contre le Barca en ligue des champions. J’avoue sans honte que je ne m’intéresse à aucun autre sport, car un seul prend suffisamment de temps, et j’ai d’autres choses à faire qu’à regarder des matchs de volley, de handball, de basket et de polo. Et je n’ai aucune joie à regarder courir des gens qui font la course, ni des gens qui sautent, qui plongent, qui tournoient, qui luttent ou qui soulèvent des choses.
Le football me suffit, comme sport. Il se trouve qu’en plus, il met à l’honneur le pied, ce que je trouve philosophiquement sympathique.
Les bars de sport m’annoncèrent que non, ils ne diffuseraient pas le match de Lyon. Alors je me laissais tenter par un bar où des entraîneuses m’encourageaient à entrer pour accompagner leur soirée. Une théorie de jeunes femmes qui ne savaient pas comment s’y prendre avec moi, au début, jusqu’à ce que la plus expérimentée sût me faire desserrer les dents. Je payais un verre aux trois demoiselles qui me faisaient passer le temps. L’une d’elles lut mon avenir dans les lignes de ma main gauche.

Je demandais s’ils diffuseraient le match du Camp Nou, cela dépendait du nombre de clients. Des verres de tequila furent offerts par la patronne, et leur effet ne se fit pas attendre : on commanda d’autres verres payant. La fille plus expérimentée était plus âgée que les autres, elle approchait peut-être de la trentaine, ou l’avait dépassée. Quand elle me fit toucher son ventre, je pouvais imaginer qu’elle avait déjà fait un enfant. Elle avouait très vite qu’elle avait faim et sommeil.

Des amis arrivèrent, peu avant trois heures. Ils doutaient que le match pût être diffusé, et pourtant leur présence seule assurait que le bar resterait ouvert. Entre temps, la jolie trentenaire avait fait de moi son partenaire de soirée. Nous entretenions une relation privilégiée, elle se blottissait contre moi, me donnait de la tendresse, et je lui payais des gin tonic. Quand je m’absentais, d’autres hommes l’approchaient pour obtenir leur part de caresse, car les filles de cet établissement étaient prudes, c’était des étudiantes en relations internationales qui n’avaient aucunement l’intention d’être prises pour des filles de mauvaise vie. Elle mettait de la distance avec ces Apollons et m’attendait fidèlement.

Quand le match eut lieu, j’évaluais enfin l’immense bénéfice qu’il y a à regarder son équipe dans les bras d’une inconnue. Les joueurs de Lyon étaient médiocres, ils se faisaient dépasser dans tous les secteurs du jeu, et, sans ma nouvelle amie, j’aurais été énervé, renfrogné, morfondu. C’est elle, et elle seule, qui m’a aidé à passer la nuit sans amertume. Comme je regardais l’écran de télévision, elle pouvait continuer sa conversation avec ses collègues, qui riaient de nous voir enlacés comme un petit couple. Visiblement, je n’étais pas un client fatigant, les baisers que nous nous prodiguions nous aidaient, elle à se tenir éveillée, moi à supporter l’inanité de l’Olympique lyonnais. A chaque but encaissé, je prenais refuge dans sa chevelure odorante, et elle se pressait contre moi pour me consoler.

Prostituée ou entraîneuse ? La limite est peut-être fine pour beaucoup. Il n’y eut entre nous ni sexualité ni argent. Celui que je dépensais profitait au bar, et elle en obtenait sans doute un pourcentage. Au final, je ne me suis pas fait plumer davantage que lors d’une longue soirée en ville avec des amis. Si je n’avais pas eu à travailler le lendemain matin, je lui aurais peut-être proposé de venir dormir avec moi. Elle aurait peut-être refusé.
Plus tard, je discutais avec une de ses collègues, étudiante dans une grande université de Shanghai. Ses projets d’avenir et ses priorités étaient les mêmes que celles de l’immense majorité de mes étudiantes : donner de l’argent à ses parents, leur acheter une maison. Puis il était l’heure d’aller prendre une douche pour être frais et dispos dans mes salles de classe.
En cours, je regardais mes étudiantes et pensais : « Y en a-t-il, parmi elles, qui se font de l’argent de poche de cette manière ? Si oui, ont-elles seulement la force d’écouter ce que je leur dis ? »