Avant de parler du film Entre les murs, je voudrais dire ce qui m’a révolté dans les paroles de son auteur, François Bégaudeau, dans les entretiens qu’il accorde dans les médias.
En très bref, voici ce qui me pose problème : si tous les professeurs suivaient les préceptes mis en avant par ce jeune homme qui a préféré arrêter d’enseigner, des gens comme moi n’auraient jamais eu l’opportunité de faire des études.
Il dit que la bonne pédagogie ne consiste pas à transmettre du savoir, mais à échanger, à discuter, à créer dans la classe une « intelligence collective ». Les gamins ont-ils besoin de lui, François Bégaudeau, pour discuter ensemble et pour créer de l’intelligence collective (quel que soit le sens de cette expression) ? C’est là que le bât blesse, son attitude est fondamentalement méprisante pour les gens qui n’ont pas fait d’études brillantes, car il ne les croit pas capables de réfléchir ensemble, sans l’aide de jeunes profs cool : inconsciemment, il doit les considérer comme des légumes. Il prend pour des cons les jeunes gens dont il dit par ailleurs qu’ils développent « un mode d’intelligence » intéressant. La démagogie dont il fait preuve dans ses interviews est le plus mauvais service qu’on puisse rendre à une jeunesse démotivée.
Dans la bande annonce du film, on voit une scène où le professeur enseigne l’imparfait du subjonctif, et les résistances que cela provoque dans la classe. Dans une interview, Bégaudeau dit que lui, en tant qu’enseignant, n’avait jamais enseigné l’imparfait du subjonctif, que c’est une scène qui a pour but de provoquer. Soit. Mais voici son commentaire sur cette scène : « Il y a deux types d’intelligence ; l’élève qui apprend par coeur sans se poser de question, et celui qui critique : moi, je trouve que la fille qui me dit « mais à quoi ça nous sert ce truc ? », elle développe un mode d’intelligence que je trouve plus sympathique. » Vous voulez que je vous dise ? Cela pue le mépris. Cet ancien prof est tellement persuadé que les adolescents, a priori, sont des abrutis, qu’il applaudit quand certains d’entre eux rejettent l’instruction, font ce que tous les adolescents ont toujours su faire instinctivement : se plaindre, geindre, contester l’autorité, détourner le règlement, tirer au flanc.
Comment en est-il arrivé à cette aberration ? Il le dit lui-même. « J’étais un excellent élève, dans un très bon lycée au centre ville, fils de prof je savais exactement ce qu’il fallait faire pour réussir… Mais je m’ennuyais à lécole. » Alors il a bâti son éthique d’enseignant là-dessus : « Tout faire pour qu’on ne s’ennuie pas dans ma classe, au risque de faire passer au second plan la transmission du savoir. » Il y a quelque chose de déguelasse là-dedans. Il n’a pas pu être un adolescent rigolo à l’école, alors il le sera devant les élèves, pour ne rien leur apporter d’autre qu’ils ne connaissent déjà.
Qu’on me permette de lui faire une petite suggestion. S’il trouve le savoir ennuyeux, qu’il fasse ces cours d’intelligence collective avec des premiers de la classe trop sages, mais qu’il respecte un peu les autres, afin qu’ils aient la chance, eux aussi, d’en acquérir une part.
Moi, pour revenir à moi une fois de temps en temps, qui n’étais pas excellent, qui critiquais volontiers les profs, qui provoquais tout le monde et qui me révoltais dès l’âge de 12, 13 ans, moi qui me faisais pousser les cheveux devant les yeux pour montrer aux adultes combien ils m’étaient indifférents, moi qui ne suis pas fils de prof, qui ne savais pas ce qu’il fallait faire pour réussir aux examens, moi qui m’ennuyais en classe, je suis redevable à tous ces enseignants qui ont su élever le niveau, transmettre un savoir qui, par moments, m’a enchanté et m’a ouvert les yeux (en l’occurrence, m’a fait écarter les cheveux sur le côté.) Je ne l’aurais pas avoué à l’époque, mais aujourd’hui, je me souviens de la joie que j’ai ressentie lorsque nous avons lu et compris Voltaire, Pascal et Descartes. Ces noms et ces oeuvres que je croyais trop difficiles pour moi, et que l’école trouvait normal que je connusse.
François Bégaudeau dit que Voltaire en 4ème, c’est trop dur. Je dis que c’est faux : je suis certain qu’on peut faire étudier des scènes de Zadig ou de Candide, demain à 8h00, dans n’importe quelle classe de 4ème. Je prends les paris. 100 euros que toute la classe fait silence devant la scène de l’esclave qui se termine par : « C’est à ce prix que vous mangez du sucre dans vos pays. »
un probléme contre les fils de profs sage précaire ? j’en suis un et alors…?
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que signifie vraiment cette dichotomie effectué sur ce billet volontairement polémique (histoire d’etre vu, entendu et peut etre devenir une star…! allez avoue c’est ce que tu veux, passer a la télé !) entre « profs qui se sont fait tout seuls » et « fils de profs »(sous entendu qui naissent plus intelligent que les autres ou différents ou que sais je)…? n’importe quoi vraiment…avec ce genre d’argument c’est pas dix, mais vingt ans de Sarko qu’on va se payer !!! lui qui n’en a que foutre du savoir, de l’éducation et encore plus de François Bégaudeau doit se frotter les mains de voir des gens intelligents ou plutot detenteur d’un capital culturel (les profs), se dotant d’une mission et d’un devoir de transmission se déchirer ainsi via blog…peut mieux faire sage précaire !
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C’est tout ce que tu vois dans ce billet, François ? Je n’ai même pas l’impression d’avoir dit le moindre mal des enfants de profs, d’autant moins que si je fais un enfant un jour, il risque de l’être à son tour ! N’est-il pas clair que la polémique repose sur des choix de pédagogie et une certaine façon de considérer l’adolescence, le savoir et l’école ?
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hooo, le joli point Eolas… c’est clair qu’arriver à ramener Sarkozy là dedans, c’est fort de rhétorique.
Bon, je ne suis pas fan de l’éducation « à l’ancienne », ceci-dit l’apologie de l’esprit critique tourne parfois au ridicule. Un jour, j’ai vu une prof à la fac pendant une commission suggérer de bien noter un élève parce qu’il avait pas du tout répondu au sujet et que ça démontrait une forte capacité de distance critique. Là, ça devient n’importe quoi.
Ceci dit, je suis prêt à prendre pari contre toi. Enfin je sais pas où t’enseigne, mais croire que la « majesté » des grandes oeuvres parle immédiatement à n’importe qui est une autre forme d’illusion. Quelques années d’enseignement devraient t’ouvrir les yeux, désolé de dire ça comme ça. Toutle monde essaye de se débrouiller en ménageant le chou et la chêvre, pas le choix. Les grandes postures idéologiques peuvent fonctionner dans certaines circonstances, dans certaines classes, mais bon ça reste des solutions pour des microcosmes.
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Je suis assez d’accord, je trouve que les profs pourraient se recentrer un peu sur la transmission des savoirs. On voit bien dans ton article la haine de soi que suppose chez un fils de prof ex-bon élève le mépris de ces bons élèves scolaires qui apprennent leurs cours, ainsi que la prétention du prof qui croit que ses élèves de banlieue ont soudain eu grâce à lui la révèlation de ce que débattre veut dire. « Les gamins ont-ils besoin de lui, François Bégaudeau, pour discuter ensemble? »
Personnellement, je me souviens d’avoir été lycéen, et de la gêne que provoquait en moi le spectacle de pouffiasses sur le retour de l’âge, qui recherchaient une espèce de connivence, de complicité avec leurs classes, comme si on allait être copains, alors que moi, je trouvais mes profs souvent laids et ridicules. C’est très pénible, à titre humain, de percevoir comme débile quelqu’un qui vous fait du plat. Et je pense que le prof qui se rend compte, alors qu’il est en train d’essayer de faire rire ses élèves, à quel point ceux-ci sont gênés par l’échec de ses tentatives malheureuses, même et surtout les « bons élèves scolaires » du premier rang, chez qui il est en train de ruiner son crédit en les décevant, celui-ci va directement à la
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Au casse-pipe, pardon.
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Moi je n’enseigne plus depuis le mois de juillet, et avant cela, j’enseignais à des étudiantes chinoises super gentilles, disciplinées, charmantes et travailleuses. C’est un peu loin d’Entre les murs. Mais je crois quand même que Candide en 4eme ne pose pas de problème. Non à cause de « la “majesté” des grandes oeuvres », Clic, mais parce que c’est une scène forte, d’un français accessible, émouvante, étonnante pour l’époque, loin justement de ce qu’on imagine d’habitude des grandes oeuvres.
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Le prof qui veut être sympa et qui se couvre de ridicule, celui qui ne cherche pas à être sympa et qui est pris pour un emmerdeur, le prof qui essaye de rester jeune et qui est pris pour un démago, celui qui n’essaye pas de rester jeune et qui est pris pour un vieux con, celui qui laisse transparaître qu’il trouve une étudiante jolie et qui est pris pour un vieux dégueulasse, celui qui ne le laisse pas transparaître et qui est pris pour un sans couille… le tout pour 1200 euros par mois… je crois que je préfère encore mon statut de petit commerçant à Angers. Au moins, mes clientes sont sympas.
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1200 euros, c’est peu, me semble-t-il. Les profs que je connais gagnent plutôt 2000 euros par mois, après quelques années d’expérience et les primes, les heures sup, les conseils de classe, etc. Mais oui, petit commerçant à Angers, entouré de clientes gentilles, cela doit valoir le coup.
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Bizarrement, on trouve peu de grands romans se passant dans les petits commerce angevins. Il y a pourtant là une matière extraordinaire. Et tout un érotisme subtile. Il faudra qu’un jour je m’y mette.
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Oui la polémique sur les choix de pédagogie, l’adolescence, le commerce angevin maintenant etc…peut -etre, j’avoue que ca m’inspire pas trop la…je suis peut etre un tantinet susceptible a l’égard de ce gars (François Bégaudeau en l’occurence) bourré de talents : brillant pédagogue (quoi qu’on en dise , le peu que j’ai vu de lui à la télé ou entendu a la radio me plaisiat assez sur la façon d’appréhender une classe « difficile »), auteur d’articles sur le cinéma et de livres talentueux, avoir réussi a retranscrire sur grand écran cette partie du réel sans sombrer dans un voyeurisme compationnel a la TF1 ou « envoyé spéciale » sur des « éléves difficiles » me plait assez. Comme pour Michael Moore avec « Columbine » ou son film primé aussi a Canne sur le 11 septembre…ce qui cgéne ici ce n’est pas forcément l’intrusion du documentaire (« art pauvre ») dans de « l’art noble » (le septiéme art)…mais que c’est du réel a l’état pur avec un soupcon de subversion politique : oui, dire que tout le monde il est pas forcément intelligent en tout cas ne nait pas forcément avec le meme potentiel culturel au départ ey que cl’écoel a quand même pour tache de rétablir un certain réquilibre (c’est même le seul endroit ou cela peut se faire de façons cohérentes dans la société française ) c’est une réalité et meme un devoir que de le dire quand on peut le faire comme lui, sage précaire, il suffir de lever les yeux de son blog pour s’en apercevoir. On est pas dans les sphéres éthérées de l’université chinoise ou tout le monde est la pur apprendre le français, paye pour ca , et tout le monde et il est beau , tout le monde il est gentil…plus sérieusement , la moindre des choses c’est de dépasser il me semble toutes formes de jalousie et soutenir (qu’on soit prof en france ou en chine ou ailleurs) ce gars qui a fait beaucoup plus a cet égard qu’un Darcos pour redorer l’image de l’éducation compltement écorné par les médias depuis des années.
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N’y a-t-il pas des romans de Balzac qui se situent dans des petites boutiques ( chez des petits boutiquiers tragiques et misérables ) à Angers ou par là-bas ? Le père Goriot, ou Eugénie Grandet ? Ou alors c’est Saumur ?
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Ah! La géographie du mec! Je me marre.
Oui Mart, écris vite. Mais que l’érotisme ne soit pas trop subtil, c’est tout ce que je demande. Je veux dire, faut quand même qu’on se rende compte de quelque chose.
François, il ne faut pas soutenir Bégaudeau pour ce qu’il a dit dans les interview, les choses que je cite et que je critique. Et je ne vois pour quelle raison je serais jaloux de lui. Parce qu’il a fait un film et pas moi ? Dans ce cas, quand je dis du mal de Sarkozy, c’est parce que je suis jaloux de son succès avec les chanteuses top modèles. J’aurais plus de raisons d’être jaloux de Bruce Bégout qui, philosophe, a réussi un super petit livre de voyage. Or, j’en dis du bien.
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Balzac, c’était pas la Touraine ? Et puis Balzac, c’est quand même pas très érotique. Alors que là, j’avais envisagé des scènes de cabine d’essayage… Je pense que même François se rendra compte que ça chauffe dur en Maine et Loire.
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Haha, les turpitudes des petits boutiquiers tragiques dans les cabines d’essayage, c’est complètement balzacien, ça. Le père Goriot avec la fille Grandet, je vois ça d’ici.
Une réécriture salace des grands classiques, voilà ce qu’un prof démago comme Bégaudeau pourrait proposer comme exercice à ses collégiennes. Personne ne s’ennuierait.
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Bravo Ben, tu remets la discussion sur les rails de départs, en bouclant la boucle.
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C’est vrai Guillaume, j’étais hors sujet, victime de ma propension au cruising thématique. François Bégaudeau, donc.
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Pas du tout Mart, cette digression de cabine d’essayage était tout à fait relevante.
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sans oublier cet infame pharmacien dans Mme Bovary, omais ou Homais je crois…merci pour le « meme François « , Mart, en effet je comprends bien…
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il faut lire le livre ! on comprend qu’il est dans un environnement impossible. tu n’étais sûrement pas dans ce type de collège. il ne parle pas de pédagogie en général, mais de ce que tu peux faire pour survivre avec 30 sauvageons en face de toi.
tu divises par 2 leur nombre et là tu n’as plus le même discours.
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C’est bien vrai, c’est pourquoi je ne parle ni du livre ni du film, mais des paroles de Bégaudeau lui-même lors d’entretien. Comme c’est un homme très articulé, ce qu’il a à dire, il le formule parfaitement, et à mon avis, cela coince.
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C’est drôle, ce billet sur Bégaudeau connaît un regain d’intérêt depuis plusieurs semaines. Chaque jour, il est visité par une dizaine d’ordinateurs différents, alors qu’il avait gentiment disparu des billets « les plus visités » depuis des années.
Mystère des attractions cybernétiques.
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Je confirme que l’intérêt pour ce billet se confirme, et nous sommes le 13 octobre 2011, soit plus de trois ans après sa mise en ligne. Cela ne peut être un hasard, car de nombreux articles paraissent sur cet auteur, et le nombre devrait ensevelir ce petit billet. Pas un jour ne passe sans qu’une dizaine de personnes ne le lisent. C’est peut-être le corps professoral, qui se sent flatté par l’hommage que je rends à mes anciens professeurs…
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