Le film vaut beaucoup plus d’être vu que François Bégaudeau d’être entendu. Je le dis pour ceux qui ont pu être rebutés par la faconde de l’écrivain sur les ondes, le film est beaucoup moins donneur de leçon et n’est en aucun cas un documentaire.
C’est son aspect fictionnel qui pose d’ailleurs le plus grand problème. On dit que c’est une chronique, mais pas vraiment. Pour ma part, j’aurais peut-être préféré un documentaire, ou une chronique sans début ni fin. Car, et c’est le sujet de ce billet, on croit peu à l’histoire. Autant le dire, il y a un événement central autour duquel l’histoire tourne : une scène où un élève africain pète les plombs, à cause de quoi il se fera exclure de l’école, ce qui peut entraîner pour lui un retour au bled.
Il y a de nombreuses choses auxquelles on croit peu. Quand le prof est très énervé et donne un coup de pied dans une chaise, on ne comprend pas pourquoi il est si énervé : la fille qui vient d’être insolente, elle l’a été parce qu’elle ne veut plus être une gamine, et on voit bien qu’elle est sage avec lui lorsqu’il lui demande de rester après la classe. Il lui demande de faire ses excuses, et elle s’exécute, que demander de plus ? Le fictionnel va trop loin quand il demande qu’elle répète sa formule d’excuse avec sincérité. D’où vient cette exigence de sincérité, ce protestantisme bizarre (à mon avis, c’est pour toucher le public anglo-saxon, mais j’y reviendrai) ? La fille répète la phrase d’excuse que lui dicte le prof et quand elle sort de classe, elle lance, par provocation : « Je le pensais pas, m’sieur ». D’où le courroux du prof et le coup dans la chaise. Moi, je n’y ai pas cru du tout.
Pas plus qu’à la notion de pétasse. « C’est un comportement de pétasse », dit le prof à ses deux déléguées de classe. Un prof qui se présente comme ayant quatre ans d’expérience dans ce collège n’est pas très crédible quand il parle de cette manière à des filles qui, par ailleurs, sont plutôt coopérantes en classe. Je ne juge pas, chacun parle comme il le peut, mais en tant que spectateur, je me sentais un peu manipulé, je ne pouvais simplement pas y croire.
Je n’ai pas cru non plus à la scène où le prof de techno fait une crise de nerfs dans la salle des profs. Je ne doute pas que cela arrive dans les collèges mais là, cette scène m’a paru tout à fait artificielle et, en quelque sorte, posée là pour son utilité diégétique. Une manière de montrer que c’est un collège difficile. Et là-dedans non plus, je n’ai pas pu me projeter : je trouvais les élèves sympathiques, et même le pétage de plomb du grand ado africain, je n’y ai pas ressenti de menace ni de danger, physique ou moral, pour qui que ce soit.
Je veux bien croire qu’il s’agit là d’une classe fatigante, mais difficile ?
Pour résumer, je ne crois guère à la chaîne dramatique qui structure l’histoire : les jeunes se chambrent entre eux et la tension monte ; les élèves chambrent le prof qui s’énerve ; le prof prononce le mot de pétasse ; l’élève africain en profite pour gueuler ; le prof lâche prise ; conflit ; conseil de discipline ; exclusion. Le spectateur devrait être pris dans une passion contradictoire : d’un côté il faut faire respecter l’ordre, de l’autre l’élève est victime d’une injustice criante. Je n’ai pas ressenti ce double mouvement de l’âme pour la raison suivante.
A chacune des étapes de la chaîne dramatique, je ne comprenais pas ce qui la rendait nécessaire, ni, donc, pourquoi elle devait nous entraîner dans cette situation intenable (un bon fils, un garçon attachant, pris dans les rets d’une réalité trop complexe pour lui, et une société structurellement injuste). Par exemple, je ne comprends pas pourquoi le prof considère qu’il n’a pas le choix et qu’il doit lancer la procédure d’un conseil de discipline. Pourquoi ne dit-il pas non, quand le Principal lui demande son avis sur la question ? Pourquoi le prof n’a-t-il aucune sanction alors qu’il a insulté des élèves lors de la crise ? Pourquoi le conseil de discipline décide-t-il de l’exclusion définitive de l’élève, alors même que le prof a une certaine responsabilité dans les actes incriminés ? Comment se fait-il que, juste après l’exclusion, la classe soit apaisée et réponde gentiment au prof, comme si rien ne s’était passé ?
Le film ne répond pas à ces questions. Au contraire, il nous montre que Souleyman, l’élève africain, est un bon fils, qu’il est sympa, fainéant mais capable de faire des choses chouettes, bref qu’il ne mérite pas ce qui lui arrive dans le film. C’est donc un film qui est en contradiction avec lui-même.
Un film que j’ai beaucoup aimé, malgré tout.