Décès de Germain Malbreil, professeur de philosophie

Il était professeur à la faculté de philosophie de l’université Lyon 3 Jean-Moulin. Il faisait partie des figures marquantes de notre instruction, surtout pour ce qui concernait la politique et la morale. Ses cours étaient étonnants et parfois destabilisants. J’ai vite senti la présence d’atomes crochus entre moi et cet individu méditatif, qui attirait parfois les moqueries et plus sûrement l’affection de ses étudiants

Germain est petit à petit devenu un ami. Il se confiait à moi après certains cours. Un jour, en 1992 ou 1993, je lui dis qu’il avait beaucoup changé d’une année sur l’autre. « L’année dernière vous étiez incroyablement sévère. Vous nous mettiez des notes en dessous de 0, vous ne vous en souvenez pas ? » Il m’apprenait que lorsqu’il était si sévère avec nous, dans sa vie personnelle, il nageait dans le bonheur, mais que la culpabilité le rongeait.

Mon indifférence aux notes, aux concours et aux titres, m’a aidé à voir en Germain un être humain que l’on peut aller voir pour discuter. Il respectait beaucoup ses étudiants, surtout ceux qui n’étaient pas très doués pour les études. Il savait voir dans leurs copies des fulgurances que personne d’autre ne devinait.

Nous avons gardé le contact après mes années d’étude. Nous nous sommes écrit et téléphoné. J’ai surtout eu la chance de lui rendre visite dans la maison qu’il a achetée dans les Corbières, au pied des Pyrénées.

Lire aussi La Maison de Germain

La Précarité du sage, 2011

Ce fut un enchantement de voir ce spécialiste de Malebranche, dont il a édité et présenté les Œuvres dans la bibliothèque de la Pléiade, parler des pierres, des tuiles, des types de bois qui composaient sa maison. Il vivait sa maison comme si c’était un être vivant.

Je suis allé chez lui plusieurs fois, dans les années 2000 et 2010. Il était un peu comme un père spirituel pour moi, d’ailleurs je lui ai présenté mon père, qui vivait ses dernières années.

J’ai de merveilleux de souvenirs avec lui mais je suis trop triste pour en dire plus.

Qu’il repose en paix. Son fils et sa fille ont eu la gentillesse de me prévenir de la nouvelle du décès. Ses funérailles auront lieu jeudi 11 janvier 2024 à l’église de Conhilac-Corbières.

Saint-John Perse et la cousine de ma mère

J’ai vu chez ma mère les volumes de la Pléiade qui appartenaient à sa cousine psychanalyste. Cette cousine habitait et exerçait à Lyon, à deux pas de la faculté de philosophie où j’étudiais. Ma mère s’occupait de sa cousine lorsque cette dernière devint âgée. Je n’ai jamais eu la présence d’esprit de la connaître personnellement et d’écouter cette femme qui avait étudié en Angleterre et qui devait être un puits de science. Petit con comme je l’étais, je n’avais que mépris pour la psychanalyse freudienne et je ratai pour toujours l’occasion de communiquer avec ce membre de ma famille qui avait plus de connaissance que j’en aurai jamais.

Arrogance de la jeunesse. La seule fois où je bus un café avec la cousine psychanalyste et ma mère, au siècle dernier, je lui parlai de mes héros de l’époque, le philosophe Gilles Deleuze et le psychiatre Felix Guattari. On ne pensait que du mal de Freud, et on préférait de loin la psychiatrie et ses médicaments.

Je repense à ce café des quais du Rhône avec ma mère et sa cousine comme d’une séance amère.

Je lui parlai de la fameuse performance radiophonique d’un certain Abraham (si c’est bien son nom) qui séquestra son psy pour dévoiler les mécanismes de domination à l’œuvre dans la cure freudienne. La cousine de ma mère m’écoutait avec patience et tolérance, et tenta en vain de défendre gentiment sa pratique thérapeutique qui avait été toute sa vie. Ce fut un rendez-vous manqué, par ma faute.

Une fois, je fus invité à pénétrer dans sa bibliothèque, dans ce vieil appartement bourgeois du quai Claude-Bernard. Il y avait des tonnes de livres, des trésors. Une ligne de volumes de la Pléiade, les œuvres complètes de Freud dans l’édition d’Oxford. Une grande photographie vivante de l’esprit d’une femme intellectuelle des années 1960 aux années 1990.

Quand sa cousine mourut, ma mère fut bien triste car elle l’avait accompagnée dans sa fin de vie des années durant. Comme héritage, ma mère fut autorisée à choisir les livres qu’elle désirait dans cette immense bibliothèque. Ma mère se souvint de mon admiration devant la collection des volumes de la Pléiade. Elle en prit donc une brassée.

C’est ainsi qu’il y a la poésie de Saint-John Perse chez ma mère. Édition publiée en 1972. Ces volumes luxueux sont passés d’un grand immeuble bourgeois à un petit appartement de HLM. Cette année, alors que je fêtais Noël avec ma mère, j’ouvris le livre du prix Nobel 1960.

Le tout premier poème des Œuvres de Saint-John Perse parle de couleurs de peau et, entre autres, de relations de domination. Rappelons que le poète était un créole blanc. Il est né en Guadeloupe et y a passé son enfance.

Ses poèmes de jeunesse témoignent aussi d’un rapport homme-femme assez peu émancipateur. Le masculinisme de l’attitude comporte beaucoup de puissance poétique pour certains intellectuels.

Je me demande ce qu’en pensait la cousine de ma mère. Avait-elle une lecture psychanalytique de ces poèmes ?

Bilan statistique de 2023

2023 fut une année de progression pour la Précarité du sage car le blog, ayant dû repartir de zéro lors du changement d’adresse survenu en 2019, n’a pas encore atteint son rythme de croisière et se trouve encore, si l’on peut s’exprimer ainsi, en convalescence.

La production régulière de contenu n’a repris qu’en 2021 après un ralentissement radical de cinq ans. Le blog est donc dans sa deuxième vie et n’est pas reférencé sur les moteurs de recherche comme dans les années 2010. De plus, les usagers d’internet se sont detournés des blogs pour regarder des vidéos, faire des tweets et scroller sur les réseaux sociaux.

Dans ce contexte défavorables, les chiffres de 2023 sont intéressants. Le chiffre qui me tient le plus à cœur est celui qui dénombre les visiteurs uniques : plus de 10 000 personnes se sont connectées cette année à la Précarité du sage. C’est peu par rapport à des images qui font des millions de vues, mais c’est beaucoup par rapport au nombre de lecteurs des livres publiés par les plus grands éditeurs.

En moyenne, un « visiteur » regarde deux billets. Cela fait un équilibre entre les fidèles lecteurs qui suivent ce blog et les gens qui y atterrissent par erreur et en repartent aussitôt.

Lire sur le même sujet : Top 10 des articles les plus lus depuis 2019

La Précarité du sage

Les commentaires se sont réduits comme peau de chagrin, preuve que la vie est ailleurs. Au demeurant je vois là une corrélation avec l’abandon de nombreux blogs que je suivais dans les années 2000. Souvenez-vous de la richesse qui s’exprimait entre Neige, Ebolavir, Ben, et plein d’autres comparses. Je regrette tellement qu’ils aient cessé d’écrire et de photographier. Comme s’il y avait dans la vie des choses plus importantes à faire.

Comment j’ai publié mon premier livre

Tout a commencé en 2010 ou 2011. J’avais écrit plusieurs livres depuis l’âge de quinze ans mais aucun de ces manuscrits n’avaient trouvé d’éditeurs. À l’approche de la quarantaine, j’étais donc ce qu’on appelle communément un raté. Je travaillais alors sur une thèse de doctorat consacrée à l’histoire et la philosophie des récits de voyage.

Un jour, dans le cadre de mes recherches doctorales, je lis une interview d’un couple d’éditeurs qui sont en charge d’une collection de livres de voyages très intéressants et qui renouvellent, à mes yeux, la littérature ethnologique. Marianne Paul-Boncour et Patrick de Sinety expliquent dans cette interview les attendus de leur collection, ce qui me donne envie de leur proposer ma contribution.

Plutôt que d’écrire un manuscrit et de chercher un éditeur après coup, j’écris d’abord un mail à ces deux éditeurs sans avoir la moindre idée de la moindre ligne d’un manuscrit.

Je leur dis qui je suis et ce que je fais. Habitant en Irlande du nord, je propose un livre de voyage sur cette province magnifique. Comme cette collection s’intéresse à des peuples méconnus, minoritaires et fantasmatiques, je leur parle de communautés nord-irlandaises que je trouve passionnantes, loin des stéréotypes touristiques et journalistiques des Irlandais.

Mon mail semble produire son effet. Je reçois une réponse de Patrick de Sinety qui se dit intéressé par une ligne, au milieu de mon message. Il aimerait en savoir plus sur ce peuple nomade que j’appelle les « Travellers », et il voit tout de suite, en bon éditeur, le potentiel livresque d’une population pareille.

Le plus dur était fait. Un éditeur était ferré. Je pouvais répondre à sa demande en entrant à fond dans son imaginaire d’écrivain voyageur enthousiaste.

Rendez-vous est pris avec Marianne et Patrick à Paris pour discuter de tout cela autour d’un café. Moi, surmotivé par cette perspective, je promets de leur envoyer avant ce rendez-vous un document Word de dix ou vingt pages pour qu’ils se fassent une idée plus précise de mon style d’écriture.

La rencontre est un petit coup de foudre amical entre nous. Je suis d’emblée sous le charme de ces deux trentenaires souriants et intelligents, qui se complètent et s’épaulent. Ils forment le duo le plus efficace et le plus puissant que j’aie jamais vu. En combinant leurs qualités et leurs compétences respectives, ils forment une équipe qui est à la fois visionnaire, rigoureuse, énergique, réfléchie, organisée, enthousiaste, intelligente, prospective, synthétique, empathique et commerciale. Depuis cette époque, j’ai appris que Patrick était décédé dans une noyade et que Marianne avait disparu des radars. Leur collection a disparu avec eux. Revenons à nos moutons.

Comme ils ont lu mes dix pages, ils ont obtenu de leur patron, l’avocat et écrivain Emmanuel Pierrat, de me faire signer un contrat, mon tout premier contrat d’éditeur.

Comme le stipule ce contrat, ils me donnèrent un chèque de 500 euros et la même somme me serait versée à la réception du manuscrit dans sa version finale et approuvée. Je sortis du café dans un état de grande joie.

Il fallut alors battre le fer tant qu’il était chaud et je me mis à enquêter, à écrire, à lire toutes les publications en langue anglaise sur les Travellers irlandais. En français, je ne lisais rien pour une raison simple : il n’y avait rien. Sans abandonner ma thèse de doctorat, je passais mes soirées et mes fins de semaine à composer ce qui allait devenir mon premier livre. Mon excitation ne retomba pas une seconde pendant les mois que dura l’aventure.

Marianne et Patrick allaient extrêmement vite dans leur traitement des chapitres que je leur envoyais. Je pensais leur communiquer des versions préparatoires, à retoucher en fonction de leur ligne éditoriale. Ils me renvoyaient mes chapitres réécrits, corrigés, améliorés et recadrés. Moins d’une année s’est écoulée entre mon premier mail et la parution de mon livre.

Notre voiture cambriolée

Notre véhicule était plein à ras bord pour emménager quelques semaines en Allemagne, dans un appartement vide.

À Grenoble, après avoir suivi une séance chez un thérapeute un peu mystérieux, nous avons laissé la voiture imprudemment sans surveillance le temps de boire un café dans un centre commercial.

À notre retour nous l’avons vue fracturée, la vitre brisée et des affaires personnelles jetées sur le sol.

Hajer fut prise d’une crise de désespoir, comme si le malheur s’abattait sur nous. Moi, je tâchais de garder mon calme mais je compris très vite que mes ordinateurs étaient volés et que c’était une catastrophe.

Ma femme était si malheureuse qu’elle semblait perdre les pédales. Elle criait et pleurait. C’est toujours ce qui me rend le plus inconsolable dans la vie, quand la femme que j’aime est dans la détresse et que je ne peux rien pour elle. Cette impuissance est une douleur sans fond

Étonnamment, elle s’asseyait sur le bitume et criait « Mes diplômes ! Mes diplômes ! » Comme Sganarelle à la fin du Don Juan de Molière qui pleurait pour son maigre salaire : « Mes gages ! Mes gages ! » Pour Hajer, à ce moment de son existence, son bien le plus précieux étaient des feuilles de papier épais estampillés d’une faculté. Cela me brisait d’autant plus le cœur qu’elle indiquait par là, de manière pathétique, la quantité émotionnelle et existentielle qu’elle avait investie dans son éducation.

Alors que j’avais suivi mes études sans y croire vraiment, en amateur, et sans jamais prendre au sérieux ces gris-gris modernes que sont les diplômes, mon amoureuses me montrait une personnalité beaucoup moins superficielle que la mienne et dénuée de ce cynisme qui me caractérise.

La police ne s’est pas déplacée et m’a proposé de revenir le lendemain pour faire une déposition. À Grenoble, le nombre de voitures visitées est paraît-il effroyable. La police se borne à enregistrer les plaintes.

Mes amis migrants

Mon ami H. se trouve donc sur le sol européen depuis fin août et nous ne savons toujours pas ce qu’il compte faire. Il est vraisemblable que lui-même ne le sache pas.

Il a voulu venir chez nous mais la police aux frontières le repérait et le renvoyait en Italie. Il ne se sépare pas de son camarade d’émigration, ils sont donc toujours deux. Cela est préférable quand ils doivent dormir dans les gares et leurs abords. Ils y rencontrent d’autres migrants plus ou moins illégaux.

Un soir d’octobre, il est finalement apparu dans notre ville de Bavière. Amaigri et blessé, il avait besoin de repos et de reprendre des forces.

Après quelques jours chez nous, il s’est rendu avec un Tunisien clandestin qui se trouvait à Munich depuis un an, dans un centre d’accueil de réfugiés. Il semblerait qu’à cette minute il ait un lit dans une chambre ou un dortoir.

Je me demande vraiment ce que H. espère devenir ici. Je me projette en lui car moi aussi à son âge je me baladais sur la planète. Je ne peux m’empêcher de considérer H. comme un voyageur plutôt qu’un réfugié ou un exilé. Un Tunisien, un Algérien ou un Marocain, aujourd’hui, ne fuit ni la guerre ni la misère. Il fuit la frustration générée en Afrique par les réseaux, par la famille et par les touristes. Il vit sa jeunesse en prenant des risques et tente sa chance au pays des opportunités sans savoir ce que la vie lui apportera.

Retour de Tunisie : confusion du sage précaire

À notre retour de Tunisie, nous avons reçu la nouvelle qu’H. avait réessayé de traverser la Méditerranée au bord de son frêle esquif. Pendant des jours les nouvelles étaient incertaines et contradictoires. Finalement, mon ami est bel et bien sur la terre italienne. Il a réussi à l’aide de ses seuls bras, ceux de son coéquipier, à passer outre la frontière douteuse et hostile de l’Union européenne.

Cette nouvelle nous a plongé dans des sentiments mêlés. Soulagés bien sûr de le savoir sain et sauf, et désireux de lui venir en aide, nous ne savons que penser de cet acte d’héroïsme.

Mais je ne ferai pas part des pensées qui m’ont traversé, des questions que je me suis posées pendant des jours et des nuits, ni des doutes qui m’ont assailli.

La vérité est que j’ai un peu honte de ce que j’ai pensé et que je ne sais toujours pas ce que je puis déclarer. La sagesse précaire est aussi un art de la confusion.

H. a retrouvé le sourire en ratant sa traversée

Le dernier jour de notre séjour à la ferme de Ftiss, une bonne nouvelle m’est apportée par le destin : H. arrive avec la voiture d’un de ses amis pour nous saluer avant notre départ.

Il n’a finalement pas réussi à traverser la Méditerranée comme il menaçait de le faire et il nous est revenu sain et sauf.

Son récit d’émigration ressemble à un récit d’évasion. Il allait tous les jours avec son acolyte sur la plage et il s’entraînait à faire avancer une embarcation de fortune, quelque chose qui tient à la fois du kayak et du canot. Il avait étudié la météo et la nuit où ils sont partis, ils étaient certains que ce serait une mer d’huile. Ils ont ramé plusieurs heures espérant atteindre une île italienne. Il ne s’agit pas de Lampedusa, mais une de ces territoires italiens plus proches de la Tunisie que tout autre pays.

L’armée les a interceptés en langue arabe, alors qu’ils étaient épuisés mais confiants dans leur possibilité d’atteindre le territoire italien. Selon le témoignage de H., Il ne leur restait plus que 14 kilomètres avant de toucher au but, mais ils n’ont opposé aucune résistance aux forces de l’ordre. De retour en Tunisie, ils ont échappé à la prison pour des raisons que je trouve tellement peu crédibles que je préfère les garder sous silence.

En effet, mon ami est physiquement assez amoché. Le soleil l’a brûlé et ses genoux ont souffert. En revanche, il est souriant et semble avoir perdu cette morosité qui le rongeait depuis plusieurs années. Cela nous brisait le cœur de voir ce jeune homme jadis si joyeux devenir taciturne et dépressif devant les échecs professionnels répétés. Il a eu le sentiment de frôler la mort, puis la prison, du coup sa joie de vivre est reparue au beau fixe.

Espérons qu’H. trouve le bonheur durable ici et qu’il ne tente pas de nouveau le diable.

Discours croisés sur les migrations : deux voies sans issue

L’histoire poignante de mon ami H. qui prend des risques pour mettre le pied en Europe remue tant d’idées et de souvenirs en moi. Les mots et les idées s’entrechoquent.

Deux discours sur la migration se font face et sont également sans avenir et sans issue. En Europe, le discours dominant est celui de l’anti-immigrationnisme qui prétend que l’immigration est la cause de nos problèmes. En France, l’extrême-droite pense et dit cela depuis 50 ans, rejointe par les partis de droite et du centre depuis leur défaite de 1988, rejointe enfin par la gauche anti-sociale dite gouvernementale, qui se vautre depuis 2001 dans un racisme renommé élégamment laïcité.

En face, c’est une position inverse qui s’impose. En Afrique, le discours omniprésent est celui de la réussite par l’émigration. Aider quelqu’un revient bien souvent à lui trouver un « contrat » ou un visa dans un pays du Golfe persique, d’Amérique ou d’Europe. Les conseils fusent du genre : apprends telle langue, forme-toi à tel métier, cela te donnera plus d’opportunité pour partir dans tel pays. C’est un véritable crève-coeur de voir tant de gens de grande qualité avoir intégré l’idée que la réussite se trouverait forcément ailleurs.

Des millions de personnes dans le grand sud sont parkés dans des centres, des prisons, des camps, aux portes des espaces européens, américains ou asiatiques perçus comme des Eldorado d’opportunités. On entend des chansons et on voit des pancartes de gens qui clament : « Laissez-nous passer », « we need to pass ».

Où la sagesse précaire se situe-t-elle dans cet embrouillamini ? Doit-elle militer pour un accueil inconditionnel de tous ceux qui le veulent ? En quoi cela serait-il humaniste et rationnel ?

Le sage précaire est gêné. Il aimerait voir les voyageurs libres de traverser les frontières mais il comprend les frayeurs et les inquiétudes des braves gens devant l’immigration. Cette inquiétude est la même partout, elle est par exemple présente en Tunisie cet été en présence de tous les subsahariens qui apparaissent dans les villes côtières.

Ce qui est insoutenable dans tout discours, c’est de réduire les Africains à une catégorie d’être humain, celui qui cherche à s’en sortir. Il faut aussi donner voix à tous ceux qui veulent juste voir du pays, sans nécessairement fuir la misère, comme le sage précaire lui-même le faisait.

Jour de finale

Il y a quatre ans, pour la coupe du monde 2018, j’avais regardé les matchs en Oman, en Tunisie et en France. La finale, c’est ici en Cévennes que je l’ai vue, en famille et sur une terrasse de café.

Cette année, les villes françaises boycottent le mondial et en plus il fait froid, alors on se regroupe entre amis dans des salons privés et on se fait des gueuletons en lançant des injures à l’arbitre.

Pour moi, ce mondial 2022 sera marqué par la présence bienveillante de Philippe. Un vieux copain de la famille qui a décidé de s’installer ici et qui nous accueille dans sa maison, à la montagne, pour regarder les matchs de la France.

Philippe a la générosité des gens bien dans leur peau. Ils savent qui ils sont, ce qu’ils veulent et ce qu’ils peuvent. Il est toujours gentil et toujours à l’écoute. Il a des poules et nous offre des oeufs plus souvent qu’à notre tour. Il nous donne des coups de main précieux, c’est grâce à lui si je suis capable d’installer des appliques dans notre appartement, et de fixer des chevilles à expansion. L’été venu, il nous offre des tomates et d’autres légumes de son potager. Cet homme est un véritable ange gardien dans notre vie cévenole. Et comme il est un ami d’enfance de mon frère aîné, sa présence fonctionne aussi comme une fontaine de Jouvence car je demeure en leur présence le petit Guillaume agité de St Just Chaleyssin, et non le quinquagénaire bougon revenu de toutes les guerres perdues.

Cet après-midi, pour conjurer le sort, j’ai parié de l’argent en faveur de l’adversaire de la France. Jusqu’à présent, il n’y a que le Tunisie qui m’a rapporté des sous. Vive la Tunisie, elle m’a fait gagner 9 euros grâce à sa victoire contre les Bleus. Il va sans dire que j’espère vivement perdre tout l’argent parié sur l’Argentine.