
La sagesse précaire a jeté son dévolu sur Villefontaine, petite ville nouvelle de la région lyonnaise. Invité à donner une conférence à la mairie sur « Le voyage, le nomadisme et l’écriture », je me devais d’abord de passer la journée dans les deux bibliothèques de la ville.

Je me suis présenté, de bon matin, dans le quartier des Roches. Une sorte de galerie marchande sinistrée ne donnait pas très envie de s’y aventurer. Toutes les devantures étaient fermées, le béton de cette cité était sombre, la bibliothèque semble être le dernier lieu public ouvert dans ce désert. Or, j’ai passé une très bonne matinée. Les usagers étaient nombreux et y emmenaient leurs enfants. Ils étaient curieux, discutaient avec moi et certains promettaient de venir le soir-même à la mairie. Certains ont tenu leur promesse.
Deux gamins du quartiers sont restés jusqu’à la fermeture, preuve que la bibliothèque municipale est un vrai garant de lien social. C’est bien simple, je pense que le réseau de bibliothèques est la plus belle chose de France. On n’a pas de quoi être très fiers, en règle générale, mais l’étranger que je suis est profondément impressionné par nos bibliothèques publiques.
Sarah, la bibliothécaire de la ville, est un petit bout de femme dynamique et pleine de talent. Elle règne sur ces lieux avec bienveillance et humour. Elle fait respecter l’ordre et la discipline avec douceur. Pour sanctionner un adolescent en retard, elle lui dit : « Tu as mis soixante jours pour me rendre ce livre ? Tu auras le droit d’emprunter un document dans soixante jours. » C’est une méthode qui vaut bien mieux qu’un système d’amendes. Elle connaît tout le monde par son nom et n’oublie jamais de parler de moi, assis non loin, de rappeler ma conférence dusoir, et encourage les lecteurs à venir me parler.
J’étais entouré des dessins originaux de mon frère Hubert, ceux qui illustrent mon livre, et d’autres oeuvres en couleur, de mes amis cévenols plus récents, Véronique et Sébastien. La présence des dessins permettait de donner une sujet de discussion avec les enfants, qui trouvaient que j’étais un sacré dessinateur.

La plupart du temps, cependant, je regardais le temps passer dans la bibliothèque. Sarah fait vivre le livre d’une manière admirable. Elle ne se limite pas à son métier de bibliothécaire, elle conte aussi, lors d’animations pour enfants qui attirent les familles de la ville tous les quinze jours. Elle procède aux prêts de documents tout en inscrivant les familles aux spectacles de contes, et les listes grandissent, et les salles ne désemplissent pas.
Quand il fait froid dehors, et que les gamins sortent du collège pour attendre les transports en commun, Sarah leur ouvre la porte et leur dit de se mettre au chaud. Les ados ne se font pas prier et bouquinent en attendant d’allumer leur télévision à la maison.
L’après-midi, je suis resté avec elle et nous nous sommes rendus dans une autre bibliothèque de quartier, mais un quartier plus huppé celui-là, les Fougères. Toujours la même effervescence et la même ambiance chaleureuse.
Le soir venu, la salle des mariages nous attendait pour donner une « conférence ». je n’aime pas que l’on annonce mes interventions comme des conférences. Cela donne immédiatement une impression d’emmerdement maximal. J’essaie, autant que faire se peut, d’aborder ces événements comme des performances de clownerie. Je raconte des histoires, je fais des gestes, j’essaie de faire sourire l’audience. Quand ils rient, je me dis qu’ils oublient un instant qu’ils ont le cul vissé sur une chaise inconfortable.

A l’évidence, dire des choses intelligentes, c’est facile. C’est à la portée du premier imbécile venu. Les paroles brillantes ne manquent pas, nous croulons sous les remarques dignes d’intérêt, les arguments valables et les discussions qui méritent le détour. Ce qui est difficile, c’est de faire oublier aux gens qu’ils sont mal installés, les distraire et les divertir.

Mon idéal, pour mes interventions, mon échelle d’appréciation, c’est deux éclats de rire. Au deuxième éclat de rire de l’assistance, je me dis que c’est à peu près réussi. Ce fut le cas ce soir-là, à Villefontaine. Les signes de réussite, à mes yeux, sont des détails intangibles : sourires, dodelinements de la tête, absence de coups d’oeil sur la montre, vente des livres.
A près de 22h00, j’ai proposé qu’on arrête nos échanges pour aller « boire un coup ». Un gardien devait fermer les locaux à 22h30.
J’aime ça :
J’aime chargement…