C’est une femme qui officie, à la cathédrale de Manchester. Pas une seule femme, mais la patronne des lieux, celle qui prononce les paroles rituelles les plus importantes, celle qui passe les plats, qui lance les chants de la chorale, qui lance le sermon, c’est une femme à la chevelure fauve. La chevelure a son importance car une autre femme, à ses côtés, avait des cheveux attachés et moins volumineux, alors que parmi les enfants de choeur, il y avait une femme de trente ans dont les cheveux étaient raides. Les trois femmes sur la scène ne se distinguaient pas seulement dans leurs actes et leurs habits : les cheveux de la principale l’imposaient comme la supérieure, et on n’eût pas accepté une telle coiffure chez une sous-fifre. Moi, en tout cas, je ne l’aurais pas supporté.
Parce qu’il a fallu en avaler, des couleuvres, dimanche matin. Déjà une femme, bon, passons. Mais le sermon, il fallait l’entendre pour le croire. Le jeune prêtre qui parlait, je ne sais pas où il a été formé, bonté divine. Il fit la liste de toutes les persécutions dont les chrétiens s’étaient rendus coupables, comme si les fidèles n’en avaient jamais entendu parler : « Nous avons persécuté les hérétiques, nous avons persécuté les femmes, que nous appelions sorcières, nous avons persécuté etc., etc.; nous avons enfin persécuté les gay people. »
Je ne savais pas que l’église employait ce mot, plutôt que « les homosexuels ». Gay people, qu’est-ce que nos curés de campagne vont devoir utiliser quand l’autorité les forcera à en parler aussi : « communauté homos » ? « Le peuple des gais » ? « Les gens de sexe similaire » ? Je sens que cela travaille déjà dur, dans les couloirs des diocèses.
Il continuait son sermon en laissant penser qu’il restait une communauté que nous continuions de persécuter, malgré le degré de civilisation qui était le nôtre. « Et cette communauté que nous persécutons encore, ce sont les gay people. » Encore ? J’ai dû rater un truc dans son argumentation. Alors, voilà, mon prêtre se lance dans une défense lyrique des différences, une promotion de la tolérance. « Je ne veux pas faire partie d’une Eglise où tout le monde est d’accord avec moi. How dumb would that be ? » On sentait l’humour cool des jeunes casuistes de gauche, ce qui fit sourire la grande prêtresse d’un sourire félin. En remuant crânement sa crinière, elle semblait contente de son poulain. Ils communiaient tous dans l’idéologiquement correct, mais ils se savaient tous dans le collimateur des officiels, et le jeune type continuait son réquisitoire : « Je ne crois pas dans une Eglise donneuse de leçon, je ne crois pas dans une Eglise où tout le monde pense pareillement », et au moment où je crus qu’il allait annoncer à tout ce beau monde médusé que Dieu d’existait pas, ce dont pour ma part j’ai toujours été convaincu, le voilà qui prononce les paroles salvatrices : « I believe in one holy church, apostolic and catholic. » Ah bon, j’étais rassuré. Je commençais à me demander où j’étais, moi, et s’il n’allait pas prononcer l’imprononçable, genre que les parpaillots devaient avoir le droit de gambader dans la rue librement.
L’audience avait contracté l’habitude, au moment de prier, de se pencher en avant, le dos courbé, les mains croisées. Mais cette position était idéale pour recevoir des propositions de prières qui découlent d’une vision tragique de la vie. La messe sert un peu à cela, me semble-t-il, nous rappeler que nous sommes mortels, que les catastrophes, tout autour, sont le lot normal de la vie humaine, que la maladie et la mort nous entourent, et étreignent ceux que nous aimons. Et d’offrir des moments de silence pour méditer un peu. Ici, à Manchester, les gens se tordent les mains, se cachent la face et se courbent en quatre pour entendre des choses comme : « Prions pour le respect et la dignité des gay people, prions pour l’ouverture, pour ne pas cesser d’être ouverts, prions pour respecter les différences, pour la paix en Géorgie, pour que les Chinois reçoivent de nombreux bénéfices des événements actuels, et que les Etats trouvent une nouvelle façon de se respecter les uns les autres. » Je vous jure que ce que j’écris là, je l’ai entendu.
Messe cool, messe pour bobos, sauf qu’il n’y a pas de bobos dans l’assistance. Les bobos dorment, à cette heure-ci, ou alors ils boivent des boissons bio aux cafés tout en bois. Ou alors, ils font du VTT avec leurs enfants, en leur apprenant le nom et l’histoire d’un groupe de rock. Ici, dans la cathédrale, c’est plein de vieux qui, s’ils écoutaient, seraient, au mieux, confus qu’on leur parle d’homosexualité de bon matin.