26 juin 2025 — Vingt ans de blog

Le sage précaire en promenade au bord d’un lac de Bavière. Photo Hajer Nahdi, 2025.

Aujourd’hui est une date un peu spéciale pour moi. Il y a exactement vingt ans, jour pour jour, je publiais mon tout premier billet de blog. C’était le 26 juin 2005, sur un blog qui n’est plus trop actif, que j’avais intitulé Nankin en douce. Comme son nom l’indique, j’habitais alors à Nankin, en Chine, depuis un an. Et ce jour-là, je devenais blogueur.

Cela faisait déjà quelques années que je lisais des blogs, que je m’intéressais à cette forme d’écriture et de publication. Et ce 26 juin, je me suis lancé. Un an plus tard, j’ai quitté Nankin pour Shanghai, et le blog ne pouvant changer de titre, j’ai monté un deuxième blog : Chines avec un S, une tentative un peu plus vaste, d’englober un pays dans ses contradictions et ses diversités. Puis, à l’annonce d’un départ proche de Chine, j’ai senti le besoin d’ouvrir un espace qui ne soit plus ancré dans un territoire en particulier. C’est alors que j’ai fondé ce troisième blog, en reprenant le titre d’un billet ancien : La précarité du sage. Un titre auquel je tiens toujours.

Ce blog, né aussi quelque part entre 2005 et 2007, est devenu un fil conducteur de ma vie d’écriture. Une colonne vertébrale. Je ne saurais dire combien de billets j’ai écrits depuis vingt ans — je ferai le compte un jour — mais je sais qu’écrire ici m’a permis d’écrire, tout simplement. Beaucoup, régulièrement, avec joie.

Je voudrais dire à tous ceux qui hésitent à écrire, ou qui rêvent de se lancer : le blog ne m’a jamais empêché d’écrire ailleurs. Il ne m’a pas freiné dans mes publications papier. Il ne m’a pas fermé de portes. Je ne crois pas qu’un éditeur ait jamais refusé un manuscrit en raison d’un blog. D’ailleurs, je doute qu’ils aillent jusque-là. Je crois que les éditeurs, comme tout le monde, font ce qu’ils peuvent, et que l’édition reste un monde saturé.

Ce qui est certain, c’est que le fait d’écrire ici presque tous les jours pendant vingt ans ne m’a pas empêché d’écrire des textes longs et exigeants. Il ne m’a pas empêché de soutenir une thèse de doctorat, ni de publier cinq livres à ce jour.

Le blog est une activité intéressante. C’est un espace pour faire ses gammes, pour aiguiser sa langue, pour entretenir son regard, pour mettre à jour son esprit. Il m’a accompagné dans mes cheminements intellectuels, mes voyages, mes doutes, mes enthousiasmes. Il m’a offert une opportunité rare d’échanger avec des lecteurs.

Aujourd’hui, je relis mes premiers billets avec une tendresse amusée. Le tout premier s’intitulait La Lune. J’y racontais nos ascensions nocturnes sur la montagne pour observer la lune avec des amis chinois, jeunes, brillants, pleins de charme et d’intelligence. C’était un moment de grâce, et j’en garde encore l’émotion.

Je vous cite le dernier paragraphe de ce premier article, vieux de vingt ans, qui raconte une scène vieille de huit mois. Je mets en ligne en juin une histoire qui eut lieu en septembre.

Nous étions quelques-uns uns sans famille, à Nankin, alors nous allâmes, Français, Belges et Chinois, à la Montagne Pourpre et Or pour manger et boire, et pour regarder la lune. Au sommet, nous escaladâmes des rochers et nous contemplâmes. Luluc et Mimic chantèrent La fameuse chanson : Yue Liang dai biao wo de xin. Elle dit à peu près cela : “Tu veux savoir combien je t’aime et la profondeur de mon amour ? Regarde la lune, elle représente à mon cœur.” Chez nous, cela voudrait dire que mon cœur est plein de tristesse, de froideur ou de douceur maladive. Ici, je ne sais pas vraiment ce que cela veut dire.

Nankin en douce, 2005

Je n’ai pas beaucoup changé en vingt ans. Il faut dire que j’étais déjà un vieil adolescent de 33 ans, je n’allais pas vraiment me métamorphoser à partir de cet âge-là.

Je ne voudrais pas fêter cet anniversaire de blogging sans adresser un immense merci aux lecteurs, et surtout aux commentateurs. Sans eux, je ne sais pas si j’aurais continué.

Aujourd’hui, les blogs ne sont plus à la mode. Les commentaires se font rares. Les réseaux sociaux ont pris le relais, avec leurs formats rapides, leurs vidéos, leurs algorithmes. Cette évolution me donne l’impression de jouer un vieil instrument de musique acoustique comme l’orgue portatif qu’on voyait dans les églises de villages. Ou encore le cymbalum. Avec cet instrument, on n’a pas accès aux médias, on ne fait jamais de tubes, mais on peut animer des soirées et faire la manche dans la rue.

Vingt ans de blogs, ça se fête ou pas

Juin 2025, dans la roseraie d’Aulas, Cévennes. Photo Hubert Thouroude.

Nous entrons dans le mois de juin. Et c’est en juin 2005 que j’ai commencé l’activité de blogueur. D’abord avec un blog sur la ville chinoise où j’habitais et où je trouvais beaucoup d’inspiration. Le blog s’appelait Nankin en douce. J’aurais dû penser un peu mieux les choses, car l’année suivante je me trouvais à Shanghai et ne pouvais plus me satisfaire d’un titre de blog qui mettait Nankin en exergue. J’ai ouvert un nouveau blog.

Mais je sentais que je n’allais pas faire un blog uniquement sur Shanghai, alors je me suis dit : je vais élargir, et j’ai appelé mon deuxième blog Chines avec un S. Chine au pluriel. Ce qui était une forme de provocation involontaire, car les Chinois tiennent à ce qu’on dise toujours « une seule Chine, deux systèmes ». Pour dire qu’on peut accepter qu’il y ait plusieurs façons de faire de l’économie, mais qu’il faut garder l’unité absolue de la Chine. Sous-entendu que le Tibet, que le Xinjiang, que Taïwan ou Hong Kong ne songent pas trop à se séparer de manière essentielle. Dans mon blog, le pluriel du mot Chines ne visait pas seulement ces questions-là. Je voulais parler des différents aspects de la Chine. Du fait que la Chine est plurielle en tant que telle. Mais pourquoi ai-je nommé mon deuxième blog de cette manière là ? Je n’avais pourtant pas l’intention de devenir un expert de la Chine, ni d’y rester toute ma vie, pourquoi m’être encore à ce point réduit à un pays ? À cette époque, personne ne pouvait imaginer qu’un blog durerait vingt ans et pourrait devenir une archive vivante.

Quand l’idée m’est venue de quitter la Chine pour continuer mes aventures dans le monde, il a bien fallu que je change à nouveau de titre.

C’est pour cela que j’ai pensé à ce titre qui pouvait être suffisamment large : La précarité du sage, dans lequel je pouvais parler de tout. De la Chine, des pays où je me trouvais, de moi-même, et de toute autre chose. On pouvait y inclure à peu près tout.

Mais il m’a fallu deux blogs avant de réaliser cette évidence : qu’un blog est avant tout une sorte de journal personnel, un journal de bord. Et qu’il vaut mieux lui donner un titre accroché sur soi-même, plutôt que sur un territoire ou une activité.

Je voudrais donc célébrer le 20e anniversaire de blogging. Mais je ne sais toujours pas comment faire. Ma sœur Cécile suggéra que je produise un livre composé de vingt billets, un par an. Sur la proposition de mon frère Hubert, j’ai demandé à l’intelligence artificielle de procéder à une sélection d’articles pour confectionner ce livre à part que je pourrais offrir. Mais l’intelligence artificielle n’a pas su le faire, ou je n’ai pas su poser les bonnes questions. En tout cas, ça n’a pas marché, et je suis toujours sans rien pour célébrer ce vingtième anniversaire.

Marc Granier, dans son atelier d’imprimeur à Roquedur

Je suis allé voir un éditeur local, près de mes terres cévenoles, pour éventuellement lui demander de publier un de mes livres. Ce fut une rencontre éblouissante car ce monsieur est un véritable artiste, peintre, graveur, mais aussi typographe et imprimeur, mais il confectionne de très beaux livres d’art, avec peu de textes et des textes courts. Séduisant mais inadapté à la prose bavarde du sage précaire. Peut-être pour un autre projet de livre, porté par une autre écriture.

Je sens poindre, pour ce qui concerne les vingt ans de blogs, l’échec d’un anniversaire mal préparé.

Comment la Chine va récupérer Taiwan

La Chine va s’y prendre de la manière suivante. Elle va attendre que l’île de Formose ait perdu tout espoir, elle va la circonscrire par d’incessants carousels de ballets militaires et, un jour, fera tomber l’île comme un fruit trop mûr. La Chine va récupérer Taïwan sans coup férir.

Voir sur ce sujet un billet de blog que j’avais mis en ligne quand j’habitais en Chine : https://chines.over-blog.com/article-19864082.html

Comme vous le savez il y a deux partis principaux dans la vie démocratique de Taïwan : 1. Le parti nationaliste, qui veut un rattachement à la Chine mais pas la Chine communiste. Ces descendants de Tchang Kai Tchek veulent une Chine nationaliste et capitaliste (c’est ce qu’elle est devenue mais en passant par quelques décennies de communisme).

2. Un parti indépendantiste, qui voit Taïwan comme un pays de langue chinoise mais comme un pays indépendant de toute autre puissance. Il veut protéger les minorités ethniques, notamment les populations natives, les aborigènes non chinois

Pour réussir son coup d’une réunification harmonieuse, la Chine continentale n’a qu’à faire ce que j’ai déjà appelé de mes vœux dans les années 2005, quand le president s’appelait Hu Jintao et que je vivais en Chine :

Lire aussi : Projecteurs sur la Chine : l’ignorance et le rejet des Européens

La Précarité du sage, 2009

Autoriser sur le continent ces partis politiques et organiser des élections gagnées d’avance par le PCC. Le parti nationaliste ne serait là que comme vestige du passé.

Les autonomistes pourraient se réinventer sur le continent comme un parti centriste et libéral, proche des nombreuses minorités, à tendance écologiste et wokiste.

Ainsi, la Chine deviendrait une démocratie illibérale comme la Russie, la Turquie et la Hongrie, et tout le monde verrait là un progrès et un espoir.

Jeux olympiques et sagesse précaire

J’ai voulu voir la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques pour des raisons professionnelles. Comme je travaille dans le domaine culturel, j’étais curieux de découvrir le travail de Thomas Joly, homme de théâtre, dans cette gigantesque performance.

Une petite voix en moi, il faut l’avouer, celle du patriotisme mou — une des dimensions de la sagesse précaire — espérait aussi ressentir une forme d’émotion patriotique.

Je me souviens combien les Chinois, en 2008, étaient excités et fervents à l’approche des JO et combien ils ont ressenti de fierté nationale lors de la cérémonie d’ouverture, cérémonie qui m’avait énormément impressionné. À vrai dire, c’est la seule dont je me souvienne.

Résultat des courses : peut-être que celle de Paris restera dans les mémoires à égalité avec celle de Pékin. Mais je fais cette hypothèse en me basant sur ce que la presse rapporte depuis la fin de la cérémonie, car moi, je n’ai pas été particulièrement impressionné.

Je suis allé voir cette cérémonie dans un café, mais la télévision n’avait pas de son. Quand j’ai vu Aya Nakamura, je ne savais pas ce qu’elle chantait. Quand j’ai vu Philippe Katerine, je ne savais pas quoi penser.

La pluie sur l’écran me paraissait plutôt attendrissante, et je me suis dit qu’ils n’avaient probablement pas prévu cela. Mais je ne ressentais rien, ni fierté nationale, ni émotion, ni dégoût, ni gêne. Peut-être était-ce à cause du son, mais je ne ressentais absolument rien.

Les gérants du café ont arrêté la diffusion bien avant la fin pour mettre une série d’un autre pays. J’ai été trop paresseux pour aller voir un autre café et la fin de la cérémonie. Donc, je n’ai rien vu de ce qui aurait pu émouvoir le peuple, comme la performance de Céline Dion. Je suis obligé de me fier aux avis des autres : les émus, les choqués, les éternels râleurs, et les professionnels de la critique.

La sagesse précaire, quoi qu’il en soit, apprécie l’utilisation du paysage urbain existant, plutôt que la construction d’un bâtiment spécialement pour ça. L’aspect sécuritaire et invivable pour les habitants était inévitable et ne mérite pas de critique durable. Les Parisiens des quartiers concernés étaient prévenus depuis longtemps et pouvaient s’organiser. Les effets sur la pollution sont les mêmes que pour tous les JO, et à moins d’interdire tous les événements internationaux, il n’y a pas grand-chose à reprocher aux organisateurs de Paris 2024. Me semble-t-il.

Conclusion : le sage précaire soutient les JO de manière modérée, comme il l’a fait pour le Mondial de football au Qatar. Et de même que pour le Qatar, le SP n’a reçu aucun pot de vin pour ce soutien public, tout corruptible qu’il se revendique.

L’aventure franco-chinoise continue. 25 ans d’amitié et de collaboration

MLO, Liverpool University Press, juin 2024

Ah, l’aventure des Franco-Chinois, quelle épopée.

En 2012, accompagné de mon amie inébranlable Rosalind Silvester, j’ai eu la joie de piloter un ouvrage intitulé Trais Chinois/Lignes francophones. Publié aux Presses universitaires de Montréal, ce livre était un véritable pont entre deux cultures, une ode à la francophonie sinisante, en quelque sorte. Et voilà qu’une décennie plus tard, Rosalind, toujours aussi passionnée et infatigable, me propose de remettre ça.

Nous voilà donc en 2019, Rosalind orchestre avec maestria un nouveau colloque international, écho de celui de 2009. Certains contributeurs font leur retour, prêts à embarquer pour cette nouvelle aventure littéraire et artistique . L’excitation est palpable, les idées fusent, et nous nous lançons avec ardeur dans la création de ce deuxième volume. Initialement prévu pour une parution en 2022, le sort en a voulu autrement, et c’est finalement aujourd’hui, en ce mois de juin 2024, que notre ouvrage voit le jour.

Rosalind, qui a porté ce projet à bout de bras, mérite pleinement d’être la seule directrice mentionnée sur la couverture. J’ai insisté pour que son nom brille en solo, tant son implication a été sans faille. Néanmoins, j’ai le plaisir de co-signer l’introduction avec elle et de contribuer avec un article sur l’artiste franco-chinoise Chen Xuefeng, une histoire d’amitié et de passion artistique qui remonte à 2012.

Mon article sur l’artiste Chen Xuefeng, publié aujourd’hui

Ah, Chen Xuefeng.

Je me souviens encore de cette rencontre à la galerie Françoise Besson à Lyon, à l’occasion de l’exposition d’une artiste chinoise en France, dont les œuvres résonnaient harmonieusement avec notre premier livre. C’était l’été 2013, et cette rencontre a marqué le début d’une nouvelle recherche. Conférences, échanges culturels, médiations artistiques, tout était en place pour une collaboration fructueuse.

Françoise Besson, cette talentueuse galeriste, m’a même commandé un texte pour le catalogue de l’exposition, ce qui a donné naissance à mon premier écrit critique sur Chen Xuefeng en 2014 : « L’amoureuse. Le monde symbolique de Chen Xuefeng ». Depuis, je n’ai cessé de suivre son parcours artistique, de la Chine à la Bourgogne, où elle a travaillé en résidence parmi les vignes.

En 2019, lors du deuxième colloque organisé par Rosalind, Chen Xuefeng et moi avons animé une séance de conférence dialoguée. Plutôt que de lire un discours, nous avons échangé nos idées, mêlant nos voix pour offrir une interprétation vivante de ses œuvres.

Finalement, en 2021 ou 2022, j’ai proposé un texte sur la matérialité de son art pour le numéro spécial orchestré par Rosalind. Aujourd’hui, en ce jour du solstice d’été, nous célébrons la parution de ce nouveau volume, fruit de tant d’amitiés et de collaborations entre intellectuels et artistes de tous horizons. De la Chine à la France, en passant par l’Angleterre, la Suède, la Roumanie, les Etats-Unis et le Canada, cette publication est un témoignage vibrant de la vie chinoise de langue française.

Je donne donc dès à présent rendez-vous à Rosalind pour un troisième volume de Traits chinois/Lignes francophones autour de 2034, puis en 2044 et enfin en 2054, date à laquelle il sera raisonnable de mettre un terme à cette histoire.

Black Tea, d’Abderrahmane Sissako : film africain en chinois

On se souvient de notre livre collectif sur les Chinois francophones, publié en 2012. Un certain Benoît Carrot y avait participé en écrivant une réflexion sur la rencontre des Chinois et des Africains au sein de la francophonie.

Le cinéaste mauritanien Adberrahmane Sissako a décidé de raconter une histoire d’amour et de passion entre une femme venue d’Afrique et un homme chinois. Professeur Carrot interrogeait dans son article la possibilité et la richesse d’un « entre-trois » : Chine/Afrique/France. Or, dans ce film, l’histoire se déroule à Canton et tout le monde parle chinois. Exeunt le français, la France et l’Europe.

Accéder au livre entier en PDF : Traits chinois/Lignes francophones. Images, écritures, cultures.

Rosalind Silvestet et Guillaume Thouroude (dir.), Presses de l’Université de Montréal, 2012.

J’ai toujours vu des Africains vivre en Chine. Ils y vont pour suivre des études notamment. La plupart d’entre eux parlaient chinois, de même que les Chinois parlent le lingala ou le wolof, si l’on en croit maître Carrot et le cinéaste Sissako. Car pour eux (Asiatiques comme Africains) adopter la langue vernaculaire du pays où l’on vit est une évidence qui ne se discute même pas.

Il n’y a que nous, occidentaux, pour penser que le français et l’anglais sont suffisants pour se débrouiller partout.

Souvenir de 2006 : une conférence en chinois et en français

Le sage précaire en pleine action pédagogique

Ces photos m’ont été envoyées par une âme charitable, un ancien étudiant chinois de l’université Fudan, de Shanghai, où j’ai travaillé de 2006 à 2008.

La vraie mort de Philippe Sollers, un écrivain remorque

Photo de Matej sur Pexels.com, générée quand j’ai saisi les mots « vieil écrivain sur sa machine à écrire ».

L’écrivain s’est éteint à 86 ans hier ou avant-hier. Paix à son âme.

Le dernier billet que je lui ai consacré date de 2008 et recensait un de ses derniers livres intéressants, ses mémoires intitulés Un vrai roman (2007).

Philippe Sollers se distingue comme un homme qui aura toujours été en retard sur les événements, qui aura couru après la gloire en essayant d’incarner la nouveauté alors qu’il ne faisait que se renier, qu’imiter les autres, et que prendre la pose. Petit condensé de sa carrière à grands traits :

Années 1950, il monte à Paris et prend racine dans le « milieu littéraire » qui sera son champ de bataille. Financièrement aisé, il n’enverra pas ses manuscrits par la poste, il les donnera à ses nouveaux amis éditeurs. Il écrit de manière classique, comme ses aînés, pour leur montrer qu’il est aussi bon qu’eux. Il sera donc apprécié et adoubé par des écrivains d’avant-guerre.

Années 1960, il devient d’avant-garde et écrit comme les expérimentateurs d’après-guerre qu’il rallie (lettrisme, situationnisme, nouveau roman, etc.). Pour combler son retard sur eux, il fonde la revue Tel Quel qui les publie, et qui cherche à donner l’impression qu’il est lui-même le créateur des mouvements qu’il singe.

Années 1970, il fait son fameux tournant maoïste, des années après le « Grand bond en avant » et la « Révolution culturelle ». Ayant raté mai 68, il compense en se radicalisant et en incarnant la position chinoise. De fait, il est encore lamentablement en retard : quand Simon Leys publie Les Habits neufs du président Mao, dénonçant le mal que fait Mao à la culture chinoise, Sollers incarne l’intello parisien maoïste qui n’a rien compris. Il va passer des années à se défendre et à essayer d’incorporer Simon Leys à sa propre galaxie pour faire oublier ses égarements.

Années 1975 : il retourne sa veste et rejette le marxisme-léninisme. Il soutient BHL et les « nouveaux philosophes ». Il n’aura vraiment eu aucune colonne vertébrale, sauf celle de la séduction et de la mise en réseaux de ses contacts.

Années 1980, retour à l’ordre, il abandonne les expérimentations, écrit des livres qui parlent de cul. Arrête la revue Tel Quel, se vend aux éditions Gallimard et y fonde la revue L’Infini qui n’a pas de prétention politique. Il fait du marketting culturel. Il surfe sur sa réputation d’écrivain, qui est entièrement due à son entregent dans le milieu littéraire. Participe souvent à l’émission de télé Apostrophe. Devient célèbre à défaut d’être un bon écrivain.

Années 1990, il règne sur le milieu littéraire. Écrit de pleines pages dans le supplément littéraire du Monde. Parle beaucoup du siècle des Lumières car il n’a rien à dire sur le monde contemporain. Il prétend, comme BHL, se cacher derrière son personnage médiatique pour mieux élaborer une œuvre dont on ne saura jamais rien. Il soutient Gabriel Matzneff et la pédophilie quand celle-ci prend des allures littéraires.

Années 2000, années de retraite active, où il peut raconter sa vie en un beau petit livre séduisant. Terminé. Il aurait dû tirer sa révérence après cela, comme Philip Roth l’a fait.

Années 2010 et 2020. Rien.

Ce n’est pas un hasard si le titre de mon billet de 2008 était « Sollers avant la mort ». On avait déjà cette sensation que le vieux monsieur avait bien travaillé et que c’était terminé dorénavant, qu’il devait penser à se reposer. La sagesse consiste souvent à savoir s’arrêter, c’est une décision très difficile à prendre, surtout quand on est un homme de réseaux. Les derniers écrits de Sollers n’avaient plus aucun intérêt, c’était de l’édition en pilote automatique. Il ne savait même plus quel mouvement suivre pour feindre d’en être l’organisateur.

Qu’on me permette de citer mes propres mots comme éloge funèbre :

Pas de doute qu’il sait s’y prendre, et qu’on le regrettera quand il disparaîtra. Il nous laissera avec des gens beaucoup moins légers, beaucoup plus corrects. En effet, ce n’est pas avec des Michel Onfray qu’on va rigoler en parlant de Nietzsche et d’érotisme.

La Précarité du sage, 1er janvier 2008

Au bord de l’eau

Dans cet article publié à Shanghai, je parle de mon émerveillement devant la vie des Nankinois au bord de l’eau. En particulier de ce qui se passe autour du Lac des Nuages Pourpres, dans la montagne de Nankin.
Paru en chinois dans l’hebdomadaire Oriental Outlook.
Regardez le nom chinois que j’ai l’honneur de porter. Un vrai poème à lui tout seul.

Lire à ce sujet, PLOUF

La Précarité du sage, 02 juillet 2008

Ce nom m’a été donné en 2004 quand je suis arrivé à Nankin pour y enseigner le français. J’avais demandé à une collègue chinoise de m’aider dans cette tâche. Elle avait décomposé mon prénom en trois sons : Guillaume – Gi Yao Mou. Puis elle a cherché les meilleurs idéogrammes se rapportant à ces sonorités, et enfin elle leur a donné un ordre qui lui paraissait plus joli.

记慕尧,Ji Mou Yao : L’homme qui admire l’empereur Yao.