
Aujourd’hui est une date un peu spéciale pour moi. Il y a exactement vingt ans, jour pour jour, je publiais mon tout premier billet de blog. C’était le 26 juin 2005, sur un blog qui n’est plus trop actif, que j’avais intitulé Nankin en douce. Comme son nom l’indique, j’habitais alors à Nankin, en Chine, depuis un an. Et ce jour-là, je devenais blogueur.
Cela faisait déjà quelques années que je lisais des blogs, que je m’intéressais à cette forme d’écriture et de publication. Et ce 26 juin, je me suis lancé. Un an plus tard, j’ai quitté Nankin pour Shanghai, et le blog ne pouvant changer de titre, j’ai monté un deuxième blog : Chines avec un S, une tentative un peu plus vaste, d’englober un pays dans ses contradictions et ses diversités. Puis, à l’annonce d’un départ proche de Chine, j’ai senti le besoin d’ouvrir un espace qui ne soit plus ancré dans un territoire en particulier. C’est alors que j’ai fondé ce troisième blog, en reprenant le titre d’un billet ancien : La précarité du sage. Un titre auquel je tiens toujours.
Ce blog, né aussi quelque part entre 2005 et 2007, est devenu un fil conducteur de ma vie d’écriture. Une colonne vertébrale. Je ne saurais dire combien de billets j’ai écrits depuis vingt ans — je ferai le compte un jour — mais je sais qu’écrire ici m’a permis d’écrire, tout simplement. Beaucoup, régulièrement, avec joie.
Je voudrais dire à tous ceux qui hésitent à écrire, ou qui rêvent de se lancer : le blog ne m’a jamais empêché d’écrire ailleurs. Il ne m’a pas freiné dans mes publications papier. Il ne m’a pas fermé de portes. Je ne crois pas qu’un éditeur ait jamais refusé un manuscrit en raison d’un blog. D’ailleurs, je doute qu’ils aillent jusque-là. Je crois que les éditeurs, comme tout le monde, font ce qu’ils peuvent, et que l’édition reste un monde saturé.
Ce qui est certain, c’est que le fait d’écrire ici presque tous les jours pendant vingt ans ne m’a pas empêché d’écrire des textes longs et exigeants. Il ne m’a pas empêché de soutenir une thèse de doctorat, ni de publier cinq livres à ce jour.
Le blog est une activité intéressante. C’est un espace pour faire ses gammes, pour aiguiser sa langue, pour entretenir son regard, pour mettre à jour son esprit. Il m’a accompagné dans mes cheminements intellectuels, mes voyages, mes doutes, mes enthousiasmes. Il m’a offert une opportunité rare d’échanger avec des lecteurs.
Aujourd’hui, je relis mes premiers billets avec une tendresse amusée. Le tout premier s’intitulait La Lune. J’y racontais nos ascensions nocturnes sur la montagne pour observer la lune avec des amis chinois, jeunes, brillants, pleins de charme et d’intelligence. C’était un moment de grâce, et j’en garde encore l’émotion.
Je vous cite le dernier paragraphe de ce premier article, vieux de vingt ans, qui raconte une scène vieille de huit mois. Je mets en ligne en juin une histoire qui eut lieu en septembre.
Nous étions quelques-uns uns sans famille, à Nankin, alors nous allâmes, Français, Belges et Chinois, à la Montagne Pourpre et Or pour manger et boire, et pour regarder la lune. Au sommet, nous escaladâmes des rochers et nous contemplâmes. Luluc et Mimic chantèrent La fameuse chanson : Yue Liang dai biao wo de xin. Elle dit à peu près cela : “Tu veux savoir combien je t’aime et la profondeur de mon amour ? Regarde la lune, elle représente à mon cœur.” Chez nous, cela voudrait dire que mon cœur est plein de tristesse, de froideur ou de douceur maladive. Ici, je ne sais pas vraiment ce que cela veut dire.
Nankin en douce, 2005
Je n’ai pas beaucoup changé en vingt ans. Il faut dire que j’étais déjà un vieil adolescent de 33 ans, je n’allais pas vraiment me métamorphoser à partir de cet âge-là.
Je ne voudrais pas fêter cet anniversaire de blogging sans adresser un immense merci aux lecteurs, et surtout aux commentateurs. Sans eux, je ne sais pas si j’aurais continué.
Aujourd’hui, les blogs ne sont plus à la mode. Les commentaires se font rares. Les réseaux sociaux ont pris le relais, avec leurs formats rapides, leurs vidéos, leurs algorithmes. Cette évolution me donne l’impression de jouer un vieil instrument de musique acoustique comme l’orgue portatif qu’on voyait dans les églises de villages. Ou encore le cymbalum. Avec cet instrument, on n’a pas accès aux médias, on ne fait jamais de tubes, mais on peut animer des soirées et faire la manche dans la rue.







