Une promenade dans la « Zone à défendre »

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Dans la maison, l’ambiance est bonne. Tous ceux que nous voyons sont jeunes, ils ont l’âge d’être étudiants, certains le sont peut-être mais nous ne nous sentons pas autorisés à poser des questions. Catherine en pose quand même, car elle se sent plus à l’aise que moi. On apprend que l’eau leur a été coupée, mais qu’il leur reste la source. Ils ont donc de l’eau courante.

On apprend qu’ils se chauffent au bois, mais que le bois sec leur est fourni par des sympathisants de la région. D’ailleurs, ils sont tous éberlués par la solidarité dont ils font l’objet. Les gens leur apportent des victuailles à foison. Etant donné qu’ils sont bloqués sur la zone, que la gendarmerie ne les laisserait pas aller et venir, ils doivent se faire parvenir des vivres depuis l’extérieur, et la question de la survie se pose bel et bien.

Une fille est d’accord pour nous accompagner jusqu’à une intersection. Nous marchons dans la boue et nous retrouvons seuls dans les bois.

Au loin deux silhouettes approchent. Deux femmes d’âge mûr. Elles ne sont pas des zadistes à proprement parler, mais soutiennent leur combat. L’une est la mère d’un des zadistes de vingt ans. Elle se pose donc des questions sur l’éducation et l’avenir de son fils mais, malgré une légère inquiétude, est plutôt apaisée et confiante quant au choix qu’il fait de s’engager dans cette vie militante.

C’est une des choses qui nous intéressent ici : dans quelle mesure les ZAD sont aussi des lieux de socialisation et des lieux d’éducation pour les jeunes. Il est probable que, comme beaucoup de phénomènes de militantisme, le mouvement des ZAD soit aussi pour certains une forme d’université, une école de la vie, dans laquelle ils apprennent des notions de bricolage, voire de jardinage, des méthodes de survie et de combat, mais aussi des rudiments de politique, de stratégie, de leadership, de gestion… Peut-être sont-ce des lieux de transmission des savoirs, et l’un des savoirs majeurs, pour le coup, serait celui de la sociologie des organisation.

En se constituant comme un mixte de camp de scout, d’usine, d’école, de caserne, de syndicat, de lieu de rencontre, de famille, les ZAD expliquent peut-être leur succès dans la jeunesse française (et dans les générations précédentes). L’attraction qu’elles exercent vient peut-être de cette concentration et cette multiplicité de réalités sociales et politiques dont elles sont le théâtre. Après tout, de nombreux écrivains, journalistes, patrons de presse et responsables politiques d’aujourd’hui ont été formés à la seule école du militantisme, dans les années 68 et 70. On les retrouve en costume sur les plateaux de télévision, mais ils ont tout appris sur des barricades, dans des affrontements et des négociations avec la police, dans des bagarres contre des « fachos », dans des AG interminables et des guerres picrocholines.

Nous devons repartir, Catherine doit être rentré à Lyon pour la sortie des classes. Nous proposons de faire du covoiturage, et faisons la route du retour avec un zadiste. Il compte se rendre à Paris en stop. Nous apprendrons qu’il est actuellement en master de sociologie dans une université parisienne, et qu’il écrit un mémoire sur « l’agriculture de proximité ».

ZAD, discuter sur la barrière

Nous sommes entre midi et deux, les gendarmes sont en train de manger et les routes sont libres. Nous atteignons sans encombre la Maquizade : au bord de la route, une barrière bricolée et colorée, une tente de fortune pour ceux qui sont en poste. C’est l’accueil. Au cas où personne ne ferait le gué, une pancarte est adressée à la presse pour indiquer aux journalistes la marche à suivre : présentation de la carte de presse, du média, de l’employeur, des raisons de leur présence, de l’article ou du reportage prévu. Un numéro de téléphone et une adresse électronique sont donnés. La demande journalistique sera discutée « en AG » et une réponse sera donnée sous peu.

Un peu plus loin, sur la zone à défendre, une grande maison semble être le camp de base des zadistes. C’est la maison forestière, qui a dû être prise d’assaut. De la maison viennent les cafés, les vivres et les info pour les militants de la barrière.

Nous sommes gentiment accueillis par deux jeunes hommes habitués aux médias. Ils nous écoutent et ne voient pas l’intérêt de notre projet de documentaire. Je laisse Catherine parlementer, expliquer notre démarche. Les zadistes accusent l’ensemble des médias de faire des papiers tendancieux et éloignés de la vérité, et dans le même temps, n’ont pas très envie de nous laisser voir la réalité.

L’un des points d’achoppement est que la maison forestière, ainsi que l’ensemble de la zone, est en fait leur lieu de vie, et qu’il s’agirait pour nous de nous immiscer dans leur intimité, leur quotidien, et d’y poser des questions, ce qui est un peu trop intrusif. « C’est la même chose que dans tout collectif autogéré, toute communauté. Imaginez qu’on vienne faire un reportage dans votre salon, et qu’on vous pose des questions au petit déjeuner. »

Catherine proteste du fait qu’il ne s’agit pas du tout d’une simple communauté : ils occupent illégalement un site qui était promis à de grands travaux, donc ils savaient dès le début que leur geste était politique, attirerait l’attention des forces de l’ordre et des médias, il n’est donc plus question d’intimité. Ils sont obligés d’accepter, en effet, que l’on s’intéresse à eux. Dans leur aventure, même prendre un café est un geste politique.

Ils en ont conscience, c’est pourquoi ils ne nous ferment pas la porte, ne montrent aucun signe d’hostilité, et finalement nous proposent d’aller nous promener sur la zone pour nous faire une idée par nous-même. Sur ce point, zadistes et gendarmes adoptent le même ton et les mêmes méthodes : ils érigent des barrages, demandent des papiers et des cartes de presse, mais affirment que tout le monde est libre d’aller et venir à pied, comme bon nous semble.

Ils nous prêtent des gilets jaunes, car c’est la règle, les journalistes doivent porter des gilets jaunes. Nous sommes accueillis dans la maison forestière, bien chauffée au feu de bois. Des filles font des crêpes pour toute l’équipe. Les crêpes partiront dans les différentes directions, les différentes zones où les cabanes sont en train d’être construites, et où vivent des zadistes.

ZAD, la vie derrière les barrages, dans les bois, sous les radars

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Les chauffeurs sont de paisibles retraités qui n’ont pas peur d’afficher leur soutien total aux zadistes. Ils ont collecté des palettes ici et là et viennent les apporter aux campements qui en feront bon usage : essentiellement des constructions de cabanes.

Nous discutons près d’un chemin barré, gardé par deux jeunes vigiles employés par une entreprise privée. Quand midi sonne, les deux jeunes gens partent manger, laissant le chemin libre.

Les deux sympathisants retraités considèrent les jeunes zadistes comme des résistants des temps contemporains, et veulent leur apporter autant de (ré)confort qu’il est possible. Ils parlent de ces gamins comme de leurs propres enfants, et mâtinent leurs propos anarcho-gauchistes d’une tendresse paternelle tout à fait touchante.

Nous les accompagnons jusqu’au campement qui se trouve au bout du chemin, à l’orée de la forêt. Nous nous interdisons de prendre du son ou des photos, car nous supposons que les zadistes peuvent être méfiants. A juste titre, les deux jeunes qui nous accueillent sont courtois mais relativement froids : l’un d’eux annoncent tout de suite la couleur, il n’acceptera ni interview, ni prise d’image, ni prise de son. Nous n’insistons pas, préférant jouer la carte de la compréhension. Notre but étant de faire un documentaire, il nous paraît plus urgent d’établir des relations de confiance au préalable.

Les relations avec la presse se passe ailleurs, dans une zone nord appelé « La Maquizade ». Là-bas, nous pourrons exposer notre projet de reportage à des zadistes habilités à traiter avec « les journalistes ».

En revanche, ils sont très heureux d’apprendre que des palettes sont arrivées. Nous partons tous ensemble jusqu’au camion. Nous devisons un peu en marchant. Le jeune homme refuse de me parler de lui, comme si j’étais un prédateur qui allait voler le moindre mot, un charognard qui allait se jeter sur le moindre renseignement. Comme souvent, en communauté assiégée, ont voit tout étranger comme un journaliste potentiel, et tout journaliste comme un ennemi en puissance, qui va dire du mal et désinformer. J’ai connu cela avec les Travellers irlandais, et aussi avec les Souffleurs de rêve des Cévennes. Je ne leur en veux pas, mais je ressens une fatigue physique devant cette méfiance et ces multiples barrages qu’il faut franchir pour établir une relation humaine.

Nous repartons et nous dirigeons vers le campement dit « La Maquizade ».

Roybon : « Les zadistes reçoivent 90 euros par jour »

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En repérage pour un possible documentaire sur les contestataires de Roybon, je me suis rendu avec Catherine sur les lieux de l’occupation des terres par les « zadistes ». Située dans les fameuses Terres froides, près de la Côte-Saint-André, au confins de l’Isère et de la Drôme, sur les contreforts du Vercors. Un groupe informel d’activistes s’oppose à la construction d’un Center Parcs dans la forêt.

Concrètement, pour s’opposer à ce projet, les activistes vivent sur les terres nuit et jour, construisent des cabanes et s’y relaient pour qu’elles soient toujours habitées. Ils élèvent des barrages et des barricades sur toutes les routes forestières pour empêcher la tenue des travaux. Ils appellent ces terres la « Zone à défendre » (ZAD), d’où leur appellation de « zadistes », qui rappellent d’autres noms de combattants tels que les zapatistes du Mexique.

Nous voulions voir, et le cas échéant témoigner, de ce qui se vit derrière les barricades, sur lesdites terres occupées, dans les cabanes. Que se passe-t-il là-bas, chez les zadistes ? Comment vivent-ils ? Quel genre de communauté est en train de se créer ? Nous subodorons qu’il ne s’agit pas seulement de jeunes inactifs poussés par l’envie d’en découdre avec la gendarmerie, mais qu’il doit y avoir une vie plus profonde, une rencontre de plusieurs désirs et de plusieurs activités.

Dans le village de Roybon, les habitants ont affiché un peu partout leur soutien au projet du centre de loisirs. Sur les vitrines des boutiques : « Commerce à défendre », « Oui au Center Parcs ». Sur le sapin de Noël qui trône près de la mairie, une lettre d’enfant demande au Père Noël « un beau Center Parcs ». Une riposte aux zadistes s’est organisée. Une résistance à la résistance écologiste. Les habitants du village, en tout cas les plus visibles d’entre eux, affirment haut et fort qu’ils ne veulent pas de ces activistes. Même la statue en bronze sur la place centrale, une réplique de la statue de la Liberté, est mise à contribution, supportant une pancarte qui dit : « Libérez mon village ».

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Françoise et Claude, notamment, nous expriment leur déception face à l’impuissance des politiques qui sont incapables de faire régner l’ordre dans la forêt. Ils sont convaincus que le centre de l’entreprise Pierre et Vacances créera de l’emploi, de l’activité, du tourisme, et qu’il aidera à désenclaver le village. Très gentil, affable et ouvert à notre micro, le couple de retraités est remonté contre les zadistes qui imposent leur volonté, envers et contre toute légalité. Claude affirme que les zadistes sont manipulés par des groupes politiques, des syndicats ou des lobbies : « Ils reçoivent 90 euros par jour, pour tenir le coup, et évidemment, ils ne travaillent pas. » Qui leur donne cet argent ? On ne le sait pas.

Sur la route, quand on s’approche de la ZAD, un barrage de gendarmes nous arrête. Vérification des papiers, fichage, consignation des adresses et même enregistrement vidéo de notre présence. Les gendarmes nous déconseillent de continuer notre route, car la route est barrée deux kilomètres plus loin, mais ne nous interdisent pas de passer.

Alors nous continuons, et nous nous retrouvons devant une autre voiture de la gendarmerie.  On nous redemande nos papiers, on note à nouveau nos adresses, on nous filme encore, et on nous donne une nouvelle marche à suivre : « On ne peut pas vous laisser continuer sans accréditation. D’ailleurs, c’est pour votre sécurité, car les zadistes sont des gens violents, il y a déjà eu des journalistes agressés. Retournez à Boyron, et voyez avec la gendarmerie, ils vous donneront des consignes ».

L’ambiance est douce, la campagne est belle mais on se croirait en guerre civile, avec des check points qu’il faut traverser en montrant patte blanche. L’accès à la « Zone à défendre » est donc déjà lui-même défendu sur toutes les routes qui y mènent. Moi qui viens de lire Les Evénements, le dernier roman de Jean Rolin, je me trouve toujours plongé dans cette atmosphère de cessez-le-feu précaire.

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Sur le chemin du retour vers le village de Roybon, nous sommes à nouveau arrêtés par un barrage, et les mêmes gendarmes nous demandent  à nouveau nos papiers, notre adresse et nous filment à nouveau. Devant nous, un camion à benne est arrêté, la benne chargée de palettes en bois. Nous devinons qu’il s’agit là de matériel pour les zadistes.

Quand les gendarmes relâchent ce camion, qui fait demi-tour, nous décidons de le suivre. Nous pensons confusément que, peut-être, ces palettes vont nous mener, plus sûrement que la gendarmerie de Roybon, à la ZAD. Il emprunte des petites routes de campagnes qui montent sur la colline et s’arrête à une route barrée. Catherine va parler au chauffeur. Bingo, il s’agit bien de militants qui viennent aider les zadistes en leur apportant du matériel pour construire des cabanes.

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Reportage chinois (1) Femmes en surplus

JUIN 2014 078

Ci- dessous l’adresse de mon reportage diffusé sur la RTS. Un documentaire radiophonique sur les femmes chinoises célibataires.

http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/detours/6169467-detours-du-08-10-2014.html

Reporter furtif à Nankin

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En Chine pour revoir mes amis, j’en profite pour faire des reportages radio.

Ou plutôt non, c’est l’inverse. En Chine pour faire des reportages, j’en profite pour revoir mes amis. Et retourner sur des lieux aimés.

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Dans la Montagne Pourpre et Or, à l’ouest de Nankin, j’interviewe Neige qui répond à mes questions avec beaucoup d’aisance et sans manières. En particulier, elle parle de son travail d’écriture francophone, de ses blogs, de ses lecteurs et des passions qui l’ont conduite à écrire. Je suis ravi d’avoir enregistré ces sons, car j’étais persuadé qu’elle allait refuser, prétextant qu’elle ne voulait pas être sur le devant de la scène, qu’elle ne voulait plus entendre parler de ces blogs, etc.

Elle dit qu’elle n’écrit plus car elle est mariée et qu’elle a un enfant.

Ecrivain, c’est donc un métier de célibataire ? Neige rit. Elle dit oui, en quelque sorte. Je ne me souviens plus exactement des mots qu’elle a employés, ça m’avait fait rire. Il faut que je réécoute mes fichiers audio.

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Nous passons devant un temple en hommage à un grand lettré du VIe siècle. Plus loin, un autre jardin abritant une forêt de stèles en mémoire d’un des plus grands calligraphes de l’histoire. Neige en profite pour prendre furtivement quelques photos.

Un juste retour des choses : je prends des sons de sa voix, elle prend des images de moi. C’est le reporter reporté.

Reportage californien (3) Vivre sur l’eau à Sausalito

C’est hier que l’émission Détours, sur la RTS, a diffusé mon reportage sur le village flottant de Galilee Harbor, sur la baie de San Francisco.

https://www.rts.ch/la-1ere/programmes/detours/5734285-detours-du-14-04-2014.html

Je me suis rendu à Lyon pour faire le duplex avec Lausanne, dans les studios de Radio France, rue des Archers. Une femme, dont j’ai oublié le nom, m’a ouvert la porte et m’a installé dans un minuscule studio pour faire notre émission.

Entre les séquences enregistrées, il fallait faire ni court ni long, et plutôt moins que plus.

Tout s’est bien passé, et comme d’habitude, les choix musicaux étaient chouettes. Une certaine Sophie Maurin chantait Far Away, une chanson très entraînante et guillerette, en duo avec un chanteur anglais. Et un certain Neil Young nous gratifiait de Boxcar.

https://www.youtube.com/watch?v=RsrJNs1bTcE

Pendant que les chansons passaient, je lisais dans L’Equipe le compte rendu de la victoire de Lyon sur Paris.

C’était décidément une belle journée entre Rhône et Saône.

Mes reportages radio viennent au jour à Lausanne

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Les studios de la Radio Télévision Suisse (RTS) se trouvent à Lausanne, près d’un parc qui jouxte le périph’, sur les hauteurs de la ville.

J’y suis allé pour « faire les micros » de mes reportages. C’est moi qui ai voulu me rendre sur place, pour enfin rencontrer les producteurs, animateurs et réalisateurs de l’émission de reportages à laquelle je collabore depuis un an.

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La façon de procéder, habituellement, est la suivante : je leur envoie mon reportage par séquences de dix minutes, en les téléchargeant sur un site spécial. Quand les responsables décident de le diffuser, ils confient ces séquences à un réalisateur qui transforme mes sons en un produit fini et audible. Puis le jour de la diffusion du reportage, l’animatrice introduit la chose et propose des transitions entre les différentes séquences. Pour ce faire, quand le reporter est loin, on organise une interview en direct, mais en duplex dans des studios de radio partenaires. L’année dernière, j’avais fait ces duplex chez France Bleu Hérault, à Montpellier.

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Cette année, comme il y a un paquet de trois reportages effectués en Californie, je me suis proposé de me déplacer dans la maison mère. J’ai bien fait, ce fut une excellente expérience. Madeleine Caboche, la productrice-animatrice de l’émission Détours, fut charmante avec moi tout le long de mon séjour, ainsi que le furent les autres membres de l’équipe. Avec Carmen et Denis, les réalisateurs, j’ai appris des choses essentielles sur la prise de son et sur la réalité ondulatoire du son lui-même.

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C’était un vrai stage de formation pour moi. Je savais qu’être présent, physiquement, dans les studios, enrichirait ma connaissance et augmenterait mes compétences de reporter.

Après ma première journée d’observation, je suis allé me promener jusqu’au centre ville. Dans le parc, on peut monter dans une tour en bois grâce à un escalier à double révolution, comme dans le château de Chambord. Du haut de cette tour, une vue magnifique sur le lac Léman.

Puis les chemins descendent. Lausanne est très agréable pour le piéton. Plus bas, la fondation de l’Hermitage propose une exposition sur l’époque et l’entourage de Diderot. C’était fermé à mon passage.

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J’ai descendu les pentes de la ville jusqu’au café où j’avais rendez-vous pour dîner avec Madeleine. Elle me demanda si j’étais bien installé et elle se confondit en excuses de ne pas pouvoir m’héberger chez elle. J’ai prétendu que j’avais réservé une chambre dans un hôtel modeste et que tout allait bien. C’était faux, je n’avais rien réservé, je comptais dormir dans la voiture pour économiser les indemnités que verserait la RTS.

Le lendemain, j’ai continué mon stage d’observation et ai enregistré l’émission en direct, celle qui diffusait mon reportage sur une ferme urbaine au plein cœur d’une ville sinistrée de la baie de San Francisco.

J’adore les ambiances de studio. J’aime la concentration qui s’en dégage, la lumière tamisée, l’équipement technologique qui permet de donner sa plénitude au son.

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Je suis ravi d’être là, en compagnie de Madeleine dont je ne connaissais que la voix jusqu’à présent. Sa voix est très reconnaissable, un timbre très spécial. Il y a une magie des voix. La plupart des voix sont monocordes, celle de Madeleine est chatoyante et presque polyphonique. Quand on écoute une voix, des images apparaissent, en correspondance. Quand j’écoute celle de Madeleine, ce sont des fleurs, comme dans un tableau de l’époque de Diderot.

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Plus tard, nous avons enregistré d’autres « micros » pour d’autres reportages.

Reportage californien (2) Oakland, une ferme dans le ghetto

Ci-dessous le lien de mon reportage radio sur la ferme urbaine d’Oakland, dans la baie de San Francisco.

www.rts.ch/la-1ere/programmes/detours/5679526-detours-du-25-03-2014.html

 

Reportage californien (1) : Nobody Walks in LA

Ci-dessous le lien de mon reportage radio à Los Angeles, diffusé sur la Radio Télévision Suisse.

www.rts.ch/la-1ere/programmes/detours/5683336-detours-du-26-03-2014.html

J’étais en Californie en octobre 2013. Le décalage horaire et la santé précaire de mes parents provoquaient en moi des angoisses épouvantables. En même temps, je bénéficiais d’une chance incroyable, étant logé luxueusement par un gentleman comme on n’en fait plus.

C’est donc dans un état de conscience altéré que je me suis contraint à sortir mon micro-enregistreur et suis allé battre le pavé pour prendre du son. Dans la banlieue favorisée où j’habitais, j’explorais les alentours à pied, j’allais visiter les centres commerciaux, j’essayais de ne pas me ruiner en fruits bio délicieux. En marchant dans les zones résidentielles, je me sentais devenir fantôme, ou pire, rôdeur. Ne pas avoir de voiture vous rend suspect.

En revanche, le bus est très agréable. C’est en prenant le bus que j’ai pensé à cet angle de reportage : comment évoluer à Los Angeles sans voiture ?

En Europe et en Asie, attendre et prendre le bus m’ennuient tellement que je me déplace à vélo la plupart du temps. Ici, dans la culture de la voiture, prendre le bus devient grisant, excitant à bien des égards.

D’abord c’est compliqué. Ces sont des systèmes de pensée à part. Il faut étudier la chose, jongler avec des brochures, comprendre qu’il y a plusieurs compagnies, plusieurs systèmes, plusieurs logiques. Intellectuellement, c’est assez stimulant. Réussir à se rendre d’un point A à un point B apporte une réelle satisfaction d’ordre narcissique. On y est arrivé et on n’en est pas peu fier.

C’est tellement complexe que les compagnies de bus proposent des cours pour se familiariser avec la technique. La brochure le stipule : « Prendre le bus pour la première fois peut être intimidant« , d’où la nécessité d’une session de cours intensifs, adaptée à l’âge et au niveau de l’usager désireux d’en savoir davantage.

Ensuite, les bus sont des lieux passionnants à observer. On y voit des vieux, des handicapés, des femmes de ménage latinas, des gens qui n’ont plus de permis, des gens qui n’en ont jamais eu. Peut-être aussi des gens qui prennent le bus par choix environnemental.

On y fait des rencontres, car les usagers latinos sont plus bavards que les « blancs anglo-saxons ». Une dame du Salvador m’a parlé pendant tout un trajet. Elle est divorcée, ses deux enfants sont grands et mariés quelque part aux Etats-Unis. Elle fait des ménages dans les banlieues huppées et elle rentre chez elle, dans le sud de la ville. Elle n’a pas refait sa vie car « les hommes ne sont pas fiables ». Il y en a trop qui, paresseux, ne cherchent à se marier que pour obtenir des papiers.

Un Latino lit le Los Angeles Times un crayon à la main, et souligne des mots, met des croix un peu partout. Sans doute apprend-il l’anglais par ce moyen, pendant ces longs trajets qui le mènent à ses chantiers d’ouvrier en bâtiment.

Beaucoup de gens dorment. Peut-être sont-ils sous le coup du décalage horaire, comme moi. Car mes yeux commencent à me bruler vers 4 ou 5 heures de l’après-midi.