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Aujourd’hui, 1er décembre 2025, ce blog a atteint exactement le même nombre de vues que pour toute l’année 2024.

Vous le voyez sur ce graphique : +0 (0 %) signifie que cette année est strictement égale à l’année dernière en termes de vues.

L’année dernière, nous avions atteint ce nombre au dernier moment, dans les arrêts de jeu. Cette année La Précarité du Sage fait donc un peu mieux, avec un mois d’avance sur ces échéances. Il s’agit d’une remarquable stabilité et d’une croissance qui se tient à la limite de la stagnation.

Nos enfants d’immigrés sont dans la même situation que les écoliers français de la troisième république

L’immigration n’est pas un problème pour les pays européens, et ceux qui disent que l’immigration coûte cher, incluent l’instruction des enfants dans l’équation.

Or, les enfants d’immigrés en France sont des petits Français et doivent être considérés comme tels, pas comme des étrangers qui nous coûtent de l’argent. Qu’on le veuille ou non, ils sont les adultes de demain, alors autant s’occuper d’eux sans attendre. Et si possible d’une manière intelligente et bienveillante, dans la mesure où l’on préférerait avoir une nation d’adultes intelligents et bienveillants quand nous serons des vieillards grincheux et impotents…

Il est vrai que de nombreux enfants ne maîtrisent pas la langue française car ce n’est pas forcément leur langue maternelle. Il faut donc les aider à devenir de bons francophones, pas seulement pour eux mais pour le bien de la France car ils sont bel et bien là pour rester et ce sont eux qui nous soigneront, construiront nos logements et inventeront les technologies nouvelles.

Nos écoles et nos collèges doivent donc recevoir une aide massive en Français Langue Étrangère (FLE). Un plan national doit être mis en place pour que se déploie sur tout le territoire des adultes qui encadreront nos enfants.

La situation actuelle me fait penser aux investissements de l’école républicaine entre 1870 et 1914. La troisième république a construit 35.000 écoles et formé 100.000 instituteurs dans de nouvelles universités appelées « écoles normales ». Cette nouvelle population de fonctionnaires a été logée et salariée par l’Etat, les départements et les communes. Cela a « coûté » tellement cher aux Français qu’on a préféré appeler cela un « investissement » sur le long terme.

Or cet effort colossal qui a été consenti par la nation il y a 150 ans doit être renouvelé aujourd’hui pour nos enfants de 2030. Comme en 1870, la nation craque et se divise, manque de cohésion et d’inclusion.

En 1870, je le rappelle, la plupart des enfants de France ne parle pas le français et doit donc suivre une instruction dans une langue commune qui est vécue comme une langue étrangère.

C’est probablement la raison pour laquelle Jean-Luc Mélenchon, leader de La France Insoumise, parle de plus en plus de « langue commune » pour désigner le français appris à l’école. Je n’ai aucun doute que le vieux politicien prépare un programme qui fait le parallèle entre la troisième république et « sa » sixième république : l’école républicaine commencée en 1870 a permis l’installation de la raison républicaine dans les consciences de la nation ; de même l’école inclusive de la sixième république se donnera pour objectif le développement d’une nation réconciliée avec elle-même.

Or, si les gens ont peur de l’immigration, plutôt que de chercher à exclure, renvoyer, enfermer, persécuter, il serait plus judicieux de faire comprendre aux électeurs d’extrême droite que nous avons plus à gagner en investissant dans un plan scolaire qui se propose d’inclure, d’instruire, d’embrasser toutes les familles qui ont choisi de vivre avec nous et de participer à notre nation. L’école est le meilleur instrument pour cet effort d’intégration et de cohésion nationale.

Et cela tombe bien, le nombre d’enfants dans les écoles françaises baisse à cause d’une natalité en berne. Profitons-en pour avoir des classes moins chargées, créer des groupes de FLE , de théâtre et de jardinage, de sciences naturelles au grand air, élaborer une pédagogie créatrice, faire plus d’activités physiques et manuelles, enfin donner à ces enfants l’encadrement de qualité qui permettra à tous de maîtriser le français et d’acquérir de nombreux savoir-faire utiles à la vie quotidienne.

Pour élever un enfant, dit un proverbe africain, il faut un village entier. Nos enfants seront accompagnés d’adultes un peu partout, à l’école, au sport, à la maison. Moi quand j’étais petit, j’avais toujours conscience que des adultes étaient non loin. C’était cela qui m’empêchait de devenir délinquant, pas une structure morale ni je ne sais quelle respect civil.

Hélas, les gouvernements successifs nous annoncent des suppressions de postes dans l’Education nationale. Nos politiciens ne sont pas à la hauteur de l’époque. Il fallait penser investissement dans l’instruction pour revivifier la nation, ils pensent économie et baisses des dépenses.

Pourquoi je ne parle pas de ceci ni de cela

On me reproche parfois de passer sous silence des sujets jugés plus graves, plus urgents que ceux que j’aborde ici. Mais il faut que je le dise clairement : La Précarité du sage n’a jamais eu pour ambition de courir après l’actualité ni de répéter ce que tout le monde sait déjà.

Si je parle ici d’un genre littéraire, d’un auteur ou même d’un muret en pierre sèche, c’est précisément parce que je n’ai pas trouvé ailleurs les mots, les intuitions ou les points de vue que je m’apprête à poser. C’est cette absence qui justifie mon geste. On ne vient pas ici chercher des redites, des indignations légitimes ou des commentaires de culture générale. Je le sais comme vous qu’Israël commet l’irréparable, que tuer des enfants c’est mal, pourquoi en parlerais-je au moment même où tout le monde en parle ?

On vient sur ce blog pour entendre quelque chose d’autre, je crois. Lire quelque chose d’autre. Peut-être d’insolite. Parfois de maladroit, probablement aussi d’un peu idiot, mais quelque chose qui vient d’une vision, d’une prise de conscience.

Cela me vaut des désaccords et cela blesse parfois. Rappelez-vous mes textes sur la musique populaire : quand j’ai dit que rock, reggae, folk, punk, hard rock – tout cela, en réalité, procédait du même modèle de chanson que la variété. Que c’étaient des ritournelles, ni plus ni moins complexes les unes que les autres, avec des changements de surface, de texture, de style. Des lecteurs se sont sentis insultés.

De la même manière, quand j’ai commencé à écrire sur Sylvain Tesson, j’ai vu avant tous les journalistes et les critiques le nœud stylistique et idéologique de ses textes. Il ne s’agissait pas seulement de dire qu’il était “de droite” ou “réactionnaire” comme une étiquette jetée à la va-vite, mais d’analyser une construction d’écriture, une façon de faire du style un masque. Là encore, les réactions ont été vives. Mais force est de constater que mes intuitions se sont révélées exactes.

Dans le champ politique, je ne parle pas de Gaza parce que d’autres en parlent, et le font très bien. Je n’ai rien à ajouter aujourd’hui à ce qui est su, documenté, analysé, disséqué, montré, crié. Et si j’en ai parlé, ce fut il y a vingt ans. Mon angle d’attaque était moins la Palestine elle-même que la pression exercée par les soutiens d’Israël sur nos médias. À une époque où nommer les réseaux pro-israéliens en France vous valait l’accusation d’antisémitisme, le soupçon, l’isolement. Je me souviens de textes de 2008 où j’alertais déjà sur ce que je percevais : une hégémonie silencieuse, un pouvoir d’influence plus que de conviction.

Aujourd’hui, les choses se sont clarifiées. On sait. On voit. Les masques sont tombés. Les partisans inconditionnels d’Israël, qu’ils soient d’extrême droite ou dans une position devenue intenable au centre – comme Mme Braun-Pivet, comme Mme Bergé – apparaissent pour ce qu’ils sont : les derniers défenseurs d’une cause désespérée. Ils ont perdu la bataille des images, la bataille des idées. Il n’y a plus besoin de les dénoncer. Les médias s’en chargent.

J’ai défendu l’humoriste Dieudonné quand c’était courageux de le faire, entre 2007 et 2014. Maintenant qu’il n’est plus radioactif, je n’ai plus besoin d’en parler. En revanche, j’ai toujours la conviction que Dieudonné est la figure française la plus importante de l’histoire culturelle de notre pays au XXIe siècle.

Ce que j’essaie de faire ici, dans la Précarité du sage, c’est de nommer ce que je ne lis nulle part. D’amorcer des chemins là où personne ne semble vouloir s’aventurer. C’est mineur, c’est fragile, c’est parfois solitaire. Mais c’est aussi cela, ma manière de contribuer.

Dans quelques jours, je publierai un billet sur un terrain dans la montagne. Sur la manière de regarder un chemin, de remonter un muret en pierre sèche, de raconter ce geste. J’espère que vous ne lirez pas cela comme une simple “ode à la campagne” façon supplément week-end d’un journal national. J’essaierai d’en faire quelque chose de singulier.

26 juin 2025 — Vingt ans de blog

Le sage précaire en promenade au bord d’un lac de Bavière. Photo Hajer Nahdi, 2025.

Aujourd’hui est une date un peu spéciale pour moi. Il y a exactement vingt ans, jour pour jour, je publiais mon tout premier billet de blog. C’était le 26 juin 2005, sur un blog qui n’est plus trop actif, que j’avais intitulé Nankin en douce. Comme son nom l’indique, j’habitais alors à Nankin, en Chine, depuis un an. Et ce jour-là, je devenais blogueur.

Cela faisait déjà quelques années que je lisais des blogs, que je m’intéressais à cette forme d’écriture et de publication. Et ce 26 juin, je me suis lancé. Un an plus tard, j’ai quitté Nankin pour Shanghai, et le blog ne pouvant changer de titre, j’ai monté un deuxième blog : Chines avec un S, une tentative un peu plus vaste, d’englober un pays dans ses contradictions et ses diversités. Puis, à l’annonce d’un départ proche de Chine, j’ai senti le besoin d’ouvrir un espace qui ne soit plus ancré dans un territoire en particulier. C’est alors que j’ai fondé ce troisième blog, en reprenant le titre d’un billet ancien : La précarité du sage. Un titre auquel je tiens toujours.

Ce blog, né aussi quelque part entre 2005 et 2007, est devenu un fil conducteur de ma vie d’écriture. Une colonne vertébrale. Je ne saurais dire combien de billets j’ai écrits depuis vingt ans — je ferai le compte un jour — mais je sais qu’écrire ici m’a permis d’écrire, tout simplement. Beaucoup, régulièrement, avec joie.

Je voudrais dire à tous ceux qui hésitent à écrire, ou qui rêvent de se lancer : le blog ne m’a jamais empêché d’écrire ailleurs. Il ne m’a pas freiné dans mes publications papier. Il ne m’a pas fermé de portes. Je ne crois pas qu’un éditeur ait jamais refusé un manuscrit en raison d’un blog. D’ailleurs, je doute qu’ils aillent jusque-là. Je crois que les éditeurs, comme tout le monde, font ce qu’ils peuvent, et que l’édition reste un monde saturé.

Ce qui est certain, c’est que le fait d’écrire ici presque tous les jours pendant vingt ans ne m’a pas empêché d’écrire des textes longs et exigeants. Il ne m’a pas empêché de soutenir une thèse de doctorat, ni de publier cinq livres à ce jour.

Le blog est une activité intéressante. C’est un espace pour faire ses gammes, pour aiguiser sa langue, pour entretenir son regard, pour mettre à jour son esprit. Il m’a accompagné dans mes cheminements intellectuels, mes voyages, mes doutes, mes enthousiasmes. Il m’a offert une opportunité rare d’échanger avec des lecteurs.

Aujourd’hui, je relis mes premiers billets avec une tendresse amusée. Le tout premier s’intitulait La Lune. J’y racontais nos ascensions nocturnes sur la montagne pour observer la lune avec des amis chinois, jeunes, brillants, pleins de charme et d’intelligence. C’était un moment de grâce, et j’en garde encore l’émotion.

Je vous cite le dernier paragraphe de ce premier article, vieux de vingt ans, qui raconte une scène vieille de huit mois. Je mets en ligne en juin une histoire qui eut lieu en septembre.

Nous étions quelques-uns uns sans famille, à Nankin, alors nous allâmes, Français, Belges et Chinois, à la Montagne Pourpre et Or pour manger et boire, et pour regarder la lune. Au sommet, nous escaladâmes des rochers et nous contemplâmes. Luluc et Mimic chantèrent La fameuse chanson : Yue Liang dai biao wo de xin. Elle dit à peu près cela : “Tu veux savoir combien je t’aime et la profondeur de mon amour ? Regarde la lune, elle représente à mon cœur.” Chez nous, cela voudrait dire que mon cœur est plein de tristesse, de froideur ou de douceur maladive. Ici, je ne sais pas vraiment ce que cela veut dire.

Nankin en douce, 2005

Je n’ai pas beaucoup changé en vingt ans. Il faut dire que j’étais déjà un vieil adolescent de 33 ans, je n’allais pas vraiment me métamorphoser à partir de cet âge-là.

Je ne voudrais pas fêter cet anniversaire de blogging sans adresser un immense merci aux lecteurs, et surtout aux commentateurs. Sans eux, je ne sais pas si j’aurais continué.

Aujourd’hui, les blogs ne sont plus à la mode. Les commentaires se font rares. Les réseaux sociaux ont pris le relais, avec leurs formats rapides, leurs vidéos, leurs algorithmes. Cette évolution me donne l’impression de jouer un vieil instrument de musique acoustique comme l’orgue portatif qu’on voyait dans les églises de villages. Ou encore le cymbalum. Avec cet instrument, on n’a pas accès aux médias, on ne fait jamais de tubes, mais on peut animer des soirées et faire la manche dans la rue.

Vingt ans de blogs, ça se fête ou pas

Juin 2025, dans la roseraie d’Aulas, Cévennes. Photo Hubert Thouroude.

Nous entrons dans le mois de juin. Et c’est en juin 2005 que j’ai commencé l’activité de blogueur. D’abord avec un blog sur la ville chinoise où j’habitais et où je trouvais beaucoup d’inspiration. Le blog s’appelait Nankin en douce. J’aurais dû penser un peu mieux les choses, car l’année suivante je me trouvais à Shanghai et ne pouvais plus me satisfaire d’un titre de blog qui mettait Nankin en exergue. J’ai ouvert un nouveau blog.

Mais je sentais que je n’allais pas faire un blog uniquement sur Shanghai, alors je me suis dit : je vais élargir, et j’ai appelé mon deuxième blog Chines avec un S. Chine au pluriel. Ce qui était une forme de provocation involontaire, car les Chinois tiennent à ce qu’on dise toujours « une seule Chine, deux systèmes ». Pour dire qu’on peut accepter qu’il y ait plusieurs façons de faire de l’économie, mais qu’il faut garder l’unité absolue de la Chine. Sous-entendu que le Tibet, que le Xinjiang, que Taïwan ou Hong Kong ne songent pas trop à se séparer de manière essentielle. Dans mon blog, le pluriel du mot Chines ne visait pas seulement ces questions-là. Je voulais parler des différents aspects de la Chine. Du fait que la Chine est plurielle en tant que telle. Mais pourquoi ai-je nommé mon deuxième blog de cette manière là ? Je n’avais pourtant pas l’intention de devenir un expert de la Chine, ni d’y rester toute ma vie, pourquoi m’être encore à ce point réduit à un pays ? À cette époque, personne ne pouvait imaginer qu’un blog durerait vingt ans et pourrait devenir une archive vivante.

Quand l’idée m’est venue de quitter la Chine pour continuer mes aventures dans le monde, il a bien fallu que je change à nouveau de titre.

C’est pour cela que j’ai pensé à ce titre qui pouvait être suffisamment large : La précarité du sage, dans lequel je pouvais parler de tout. De la Chine, des pays où je me trouvais, de moi-même, et de toute autre chose. On pouvait y inclure à peu près tout.

Mais il m’a fallu deux blogs avant de réaliser cette évidence : qu’un blog est avant tout une sorte de journal personnel, un journal de bord. Et qu’il vaut mieux lui donner un titre accroché sur soi-même, plutôt que sur un territoire ou une activité.

Je voudrais donc célébrer le 20e anniversaire de blogging. Mais je ne sais toujours pas comment faire. Ma sœur Cécile suggéra que je produise un livre composé de vingt billets, un par an. Sur la proposition de mon frère Hubert, j’ai demandé à l’intelligence artificielle de procéder à une sélection d’articles pour confectionner ce livre à part que je pourrais offrir. Mais l’intelligence artificielle n’a pas su le faire, ou je n’ai pas su poser les bonnes questions. En tout cas, ça n’a pas marché, et je suis toujours sans rien pour célébrer ce vingtième anniversaire.

Marc Granier, dans son atelier d’imprimeur à Roquedur

Je suis allé voir un éditeur local, près de mes terres cévenoles, pour éventuellement lui demander de publier un de mes livres. Ce fut une rencontre éblouissante car ce monsieur est un véritable artiste, peintre, graveur, mais aussi typographe et imprimeur, mais il confectionne de très beaux livres d’art, avec peu de textes et des textes courts. Séduisant mais inadapté à la prose bavarde du sage précaire. Peut-être pour un autre projet de livre, porté par une autre écriture.

Je sens poindre, pour ce qui concerne les vingt ans de blogs, l’échec d’un anniversaire mal préparé.

Vingt ans de blog : aidez-moi à célébrer l’anniversaire qui approche

Photo gratuite générée automatiquement quand j’ai saisi les mots « Blog de vingt ans »

En juin, qui arrive à grands pas, ce blog fêtera ses vingt ans d’existence. Le tout premier billet date de juin 2005. Vingt ans d’une expérience d’écriture qui m’a fait plaisir et dont je suis même un peu fier.

Je voudrais marquer le coup, mais je ne sais pas comment. J’aimerais pouvoir faire des cadeaux à mes lecteurs, mais je ne sais pas lesquels. Si certains parmi vous ont des idées, elles sont les bienvenues. Des Thermos à l’effigie du sage précaire ? Non, ça n’a pas de sens. Des T-shirts ? Certainement pas, je suis opposé à la surproduction de textiles.

S’il me reste des exemplaires de mes livres publiés, je serais heureux d’en offrir quelques-uns, dédicacés, mais je ne suis pas certain que ce soit un cadeau très intéressant. En tout cas ce serait des raretés car tous mes livres se sont très bien vendus et sont aujourd’hui épuisés…

Peut-être pourrions-nous publier un petit livre avec une sélection de billets du blog, et l’offrir à quelques lecteurs ? Par tirage au sort ? Une espèce de tombola du sage précaire ?

Quelque chose s’annonce à l’horizon. Son regard commence à poindre.

Tenez-vous prêts. Et si vous avez des idées, n’hésitez pas à me les souffler. Car, en vérité, je ne suis pas très fort pour célébrer les anniversaires.

L’étrange réception de l’éloge

Depuis vingt ans que je tiens un blog, j’ai eu l’occasion d’écrire des textes critiques et des billets d’admiration. Et s’il y a une chose qui me fascine encore aujourd’hui, c’est la différence de réception entre les uns et les autres. Les billets les plus critiques, ceux où je démonte une œuvre ou une figure publique, provoquent du remous, suscitent la discussion, parfois des contre-feux violents. Mais lorsqu’au contraire, je m’efforce d’écrire un texte élogieux, la réaction est souvent bien plus étrange.

L’éloge est un exercice rare. Toi-même, lecteur, as-tu déjà fait l’éloge de quelqu’un ? D’une certaine manière, cet exercice demande autant de courage que la critique. Oser dire du bien de quelqu’un – et pas seulement en lançant un « il est génial, elle est formidable », mais en construisant un véritable portrait, en cherchant à traduire en mots la valeur d’un travail, d’une œuvre ou d’une personnalité – est une entreprise délicate. Nous vivons dans un monde où l’on admet difficilement les jugements détaillés sur des personnes, qu’ils soient négatifs ou positifs, alors que la critique est encouragée quand elle concerne un plat, un hôtel ou un film. La norme sociale nous pousse à une certaine réserve, une pudeur des opinions. Critiquer avec force choque, mais louer avec sincérité déstabilise aussi.

Car, et c’est là ce qui me frappe le plus, les bénéficiaires de l’éloge ne perçoivent souvent pas l’effort qu’il représente. Ils le prennent pour un acquis, comme si c’était une simple constatation de la réalité, et non le fruit d’une attention, d’une écriture, d’une mise en valeur patiente. J’en ai eu l’expérience plusieurs fois.

Je me souviens d’un blogueur qui était aussi écrivain. J’avais écrit un billet élogieux sur son travail, sur sa démarche de venir dans le monde des blogs. À la suite de cela, il avait mis en lien quelques blogs amis, et avait omis le mien. Puis, un ou deux ans plus tard, il m’écrit : « J’ai changé d’adresse électronique, mon blog ne correspond plus à celui que tu as mis en lien sur ton blog, peux-tu faire le changement pour mettre à jour ? » Je vais voir son blog, et je constate que le mien n’y figure toujours pas. Mon travail ne valait donc pas la peine d’être mentionné ? Probablement pas par mépris frontal, mais par une forme de modestie perverse : ne pas afficher ce qui est trop élogieux de peur que cela ne semble complaisant. J’ai entendu cela plusieurs fois. « C’est tellement élogieux que je ne peux pas en faire la publicité. » Pourquoi pas ? Mais ce qui me surprend, ce n’est pas tant l’absence de publicité – je n’en ai pas besoin, je ne gagne pas d’argent sur mon blog – c’est l’étrange réaction psychologique qui suit. Non seulement ces personnes ne voient pas l’effort de l’éloge, mais elles considèrent en plus que je leur suis redevable.

Celui qui me demande de mettre à jour son lien, par exemple. Il ne lui vient pas à l’idée qu’il pourrait faire un effort symétrique. Le travail d’écriture que je fais vaut largement celui de ceux dont je parle. Mais non, il attend que j’accomplisse ce service, sans contrepartie, sans même envisager que le respect puisse fonctionner dans les deux sens.

Quand il s’est permis d’insister pour que je mette à jour l’adresse de son blog sur le mien, je lui ai répondu : « Tu as raison, ton blog a changé d’adresse, j’y suis allé pour vérifier. Et d’ailleurs, je te le dis en passant, je n’y ai pas vu mon blog dans ta liste d’adresses recommandées. » Je n’ai plus jamais entendu parler de lui. Il me prenait pour un panneau publicitaire.

Un autre exemple. L’autre jour, je prends contact avec un chercheur dont j’admire un livre. Je lui propose un travail d’écriture rémunéré. En réponse, il ne me dit pas non, il ne me dit pas qu’il n’a pas le temps ou que cela ne l’intéresse pas. Il me répond qu’il préférerait carrément être employé comme consultant dans l’institution qui m’emploie. Ce qui n’a rien à voir avec ma demande. À mes yeux, c’était même un manque de respect. Comment peut-on répondre ainsi ? Ai-je jamais prétendu avoir un poste à offrir ? Ce chercheur a bêtement déduit de mes témoignages construits d’admiration sincère que j’étais disposé à me mettre en quatre pour satisfaire des exigences qui n’avaient aucun rapport avec ce qui unissait nos deux esprits.

Je ne vais pas multiplier les exemples mais ils sont nombreux et, en vingt ans de blog, ils ont pris toutes sortes de formes.

J’en viens à penser que certaines personnes ont moins de respect pour moi depuis que j’ai fait leur éloge. Comme si, au lieu de créer une complicité, un lien de fraternité, l’éloge me plaçait dans une position d’infériorité. Comme si admirer le travail d’un autre faisait de moi un serviteur, alors qu’à mes yeux, c’est tout le contraire : admirer un vivant non célébré par les médias est un signe d’intelligence et d’autonomie de la pensée. Exprimer cette admiration, la mettre en forme dans un texte est le fruit d’un savoir-faire rare.

Lire aussi : Qu’être impressionné est la contraire d’admirer.

La précarité du sage, 2007

Il y a là quelque chose d’assez profond, qui touche aux lois implicites de la sociabilité. On accepte qu’un mort soit loué, comme chez Chateaubriand quand il parle de Napoléon, ou Lamartine et sa galerie de portraits des Girondins, car cela ne change plus rien et peut renvoyer à un exercice scolaire. Le meilleur de tous est peut-être Saint-Simon qui, dans ses Mémoires, fait revivre de manière baroque les personnages hauts en couleurs de la cour de Louis XIII. (Je me suis souvent inspiré de Saint Simon dans mes tombeaux et mes chroniques). Mais faire le portrait d’un vivant, et pire encore, d’un vivant qui n’est pas célèbre, semble briser un tabou. Comme si cela créait un déséquilibre, une mise en lumière inattendue qui faisait péter les plombs à la personne concernée.

L’éloge, je conclurai ainsi, bien loin d’être une soumission, est un geste de souveraineté. Si vous recevez une parole admirative de la part d’un pauvre mortel, comprenez bien que vous vous trouvez en présence d’un esprit fort et rebelle, pas d’une groupie prête à vous servir.

Le sage précaire et son chaton dans un hamac, Cévennes, 2012.

Bilan 2024 des statistiques de La Précarité du sage

Contre toute attente, 2024 s’est avéré être une année meilleure que 2023. Une amélioration qui s’est jouée sur le fil, mais une amélioration tout de même.

Les chiffres

En 2024, le blog a enregistré 20 825 vues, contre 20 549 vues en 2023. Une légère progression, mais qui évite de justesse la récession. En revanche, le nombre de visiteurs uniques a connu une nette augmentation : 12 558 visiteurs en 2024, soit une progression de 15 % par rapport aux 10 876 visiteurs de 2023.

Lire aussi: Bilan statistique de 2023

Si l’on devait extrapoler ces chiffres, tout en tenant compte de l’érosion naturelle de l’influence des blogs face aux autres formats numériques, on pourrait espérer pour 2025 atteindre environ 13 000 visiteurs uniques et dépasser les 21 000 vues. Ce serait déjà une belle réussite pour un espace en ligne comme celui-ci.

Les articles les plus lus

1. Page d’accueil et archives

Sans surprise, la page d’accueil et les archives arrivent largement en tête. Ce sont les portes d’entrée principales du blog, celles où les visiteurs arrivent pour naviguer entre les articles.

2. “Faut-il publier chez L’Harmattan ?”

Une constante depuis plusieurs années. Cet article, publié il y a déjà quelques années, continue de générer un trafic important, avec près de 10 vues par jour en moyenne.

3. “Sylvain Tesson et la haine des musulmans”

Ce billet, écrit en février 2021 a pris beaucoup d’ampleur dans le contexte d’une polémique autour du voyageur poète raciste, en janvier 2024. Curieusement, ce n’est pas l’article directement lié à la controverse qui a eu le plus de succès, mais celui-ci, probablement poussé par des algorithmes ou référencé ailleurs, notamment sur la page Wikipédia de Sylvain Tesson.

4. « Les époux Poussin traversent l’Afrique et soutiennent Zemmour »

Un autre article sur la littérature de voyage, un thème récurrent ici, même si abordé de manière critique. Entre Sylvain Tesson et les époux Poussin, on reste dans l’univers des écrivains voyageurs, un domaine dont je suis un spécialiste international. Dommage que le goût du sang attire plus les lecteurs vers la dénonciation des mauvais auteurs ! J’aurais tant voulu que l’on lise davantage les travaux de célébration et les exercices d’admiration, qui sont chez moi plus nombreux et plus puissants.

5. “Le savoir nuit-il à la sensibilité ?”

Cet article, écrit en 2023 à l’occasion d’un sujet de bac HLP, continue de figurer parmi les plus lus. Il semble avoir trouvé son public parmi les enseignants de philosophie en quête d’exemples pour leurs élèves.

6. “Le sage précaire en quelques dates”

Enfin, ma petite biographie reste une valeur sûre. Ceux qui découvrent le blog ou se demandent qui est l’auteur génial de ces lignes cliquent sur cette page régulièrement. Chaque jour, quelques égarés se demandent qui est le sage précaire.

Quelques réflexions

Ce bilan illustre un paradoxe : les articles critiques attirent bien plus de lecteurs que les textes dans lesquels je célèbre des œuvres ou des idées qui me touchent profondément. Le goût du scandale, de la controverse l’emportent sur celui de l’éloge. Or cela me désole car mon rapport à la l’art, aux idées et à la littérature est profondément amoureux. Mes recherches sur le récit de voyage, par exemple, sont un effort pour démontrer qu’il s’agit d’un genre merveilleux malgré les mauvais auteurs qui prennent trop de place et trop de lumière.

Je constate aussi, non sans agrément, que les billets les plus populaires concernent le livre, la littérature de voyage, et la philosophie esthétique. Tiercé gagnant de mes vieilles amours.

Perspectives pour 2025

Pour l’année à venir, l’objectif sera de maintenir ce cap, voire de le dépasser. Continuer à écrire sur des sujets qui me passionnent, même si l’audience préfère parfois le croustillant au moelleux. Et, qui sait, peut-être que quelques articles positifs trouveront enfin leur public.

Merci à vous, fidèles lecteurs, d’être toujours présents, malgré les tentations qui vous sollicitent ailleurs.

DAF, Diriyah Art Futures : Une plongée dans les futurs de l’art en Arabie saoudite

À Riyad, un nouveau musée a récemment ouvert ses portes que nous avons visité pendant nos récentes pérégrinations arabesques : DAF (Diriyah Art Futures).

Situé à Diriyah, berceau historique du royaume saoudien, ce lieu combine passé et futur. Diriyah, avec son palais historique du XVIIIe siècle, est une ville chargée d’histoire. À quelques pas de ces ruines, le ministère de la Culture a choisi d’implanter un musée d’art contemporain tourné vers l’avenir.

La première exposition, intitulée “Art Must Be Artificial”, explore les intersections entre art, numérique et intelligence artificielle. À travers des œuvres pionnières, elle propose une sorte d’archéologie des futurs possibles, nous plaçant en observateurs d’un présent déjà empreint des marques du futur. C’est un projet ambitieux et conceptuellement intrigant.

Une scénographie impressionnante, mais…

Le musée lui-même est une œuvre. L’architecture est remarquable, les volumes spacieux et les scénographies parfaitement exécutées. L’expérience visuelle et sensorielle est indéniable. Pourtant, une question essentielle m’a habité tout au long de ma visite : où est l’émotion esthétique ?

En tant qu’amateur d’art contemporain depuis les années 1990, j’ai souvent été confronté à des œuvres technologiques ou interactives. La première Biennale de Lyon dont je me souviens concernait justement les nouvelles technologies et c’était bien avant internet puisqu’elle devait avoir lieu autour de 1995.

Mais ici, devant ces installations numériques, une impression domine chez moi : l’absence de véritable profondeur émotionnelle. Les œuvres, bien qu’intéressantes sur le plan conceptuel, semblent souvent dépassées dès leur apparition, tant les technologies vieillissent rapidement.

Interaction ou distraction ?

Un exemple marquant est une œuvre interactive datant des années 2000. Elle propose un paysage stylisé où les arbres et les fleurs bougent en fonction des déplacements du spectateur. Certes, c’est ludique, et probablement captivant pour des enfants. Mais en tant qu’adulte et médiateur culturel, cette interaction m’a laissé le cœur froid.

Un détail révélateur : l’une des médiatrices m’a affirmé que l’art interactif est « supérieur à l’art non interactif ». Une déclaration péremptoire qui soulève des questions sur la manière dont ces œuvres sont présentées au public. L’interaction, bien qu’amusante, ne suffit pas à créer une émotion artistique durable.

Une fétichisation des nouvelles technologies

Cette exposition illustre une tendance générale : la fétichisation des nouvelles technologies dans les mondes culturels et éducatifs. Depuis les années 1990, j’observe comment l’art numérique, bien qu’impressionnant sur le moment, peine à susciter une véritable connexion esthétique.

Cela me rappelle cette première Biennale d’Art Contemporain dont j’ai parlé, il y a trente ans, qui explorait les débuts de l’Internet et des questions cybernétiques. Certaines œuvres étaient conceptuellement intéressantes, mais beaucoup ont déçu les Lyonnais, qui sont il est vrai des gens faciles à décevoir.

Une réflexion nécessaire

En visitant DAF en Arabie saoudite, je suis ressorti partagé. Le musée et son architecture sont des réussites incontestables. L’exposition, quant à elle, interroge notre rapport à l’art, à la technologie et au futur. Mais elle met aussi en lumière un défi fondamental : comment les nouvelles technologies peuvent-elles transcender leur dimension ludique, enfantine et même puérile ?

Pour l’instant, je reste en quête d’une œuvre numérique ou générée par intelligence artificielle que l’on pourrait qualifier de chef d’œuvre, et qui pourrait me faire réfléchir, m’émouvoir ou me faire rire.

En attendant, le musée reste une visite incontournable, ne serait-ce que pour son cadre extraordinaire et son ambition de questionner les futurs possibles de l’art.

Hourras pour 2024 : une année charnière pour ce blog

Aujourd’hui, à quelques jours de la fin de l’année 2024, j’ai le plaisir d’annoncer que, grâce à Dieu, le nombre de vues sur ce blog a dépassé celui de 2023. Ce dépassement s’est joué sur le fil du rasoir. À quelques jours près, cette année aurait marqué un recul pour La Précarité du Sage, une première depuis son changement d’adresse en 2019. Jusqu’ici, la progression avait été constante, presque exponentielle.

Ce moment invite à une réflexion plus large : la récession de la forme blog est inéluctable. La lecture sur les blogs décline face à l’omniprésence des vidéos et, dans une moindre mesure, des livres qui restent heureusement le médium principal de la lecture. Moi-même, je lis moins mes amis blogueurs qu’à l’époque où, vivant en Chine dans les années 2000, je consultais chaque semaine leurs travaux. C’était un âge d’or des blogs, une époque où des rencontres réelles naissaient d’échanges numériques. Aujourd’hui, ce monde s’efface.

Une forme éphémère

À terme, les billets de ce blog connaîtront probablement le sort des œuvres d’un musicien ayant enregistré sur des supports aujourd’hui obsolètes. Faut-il chercher à les préserver, à les graver dans un format intemporel ? Je ne le crois pas. Écrire, c’est donner le meilleur de soi, non pour durer, mais pour vivre pleinement l’instant de création.

L’histoire nous enseigne que les textes gravés dans la pierre sont souvent dépourvus de réelle valeur artistique ou intellectuelle. Les plus belles œuvres littéraires, celles qui touchent à l’universel, n’ont survécu que par miracle. Ce n’est pas tant leur contenu que leur support fragile – le papier – qui a permis leur transmission. Ce miracle grec, qui nous a offert Platon, Aristote, Sophocle ou Hérodote, repose sur une fragile chaîne de conservation, bien plus éphémère que les blocs de pierre.

Une promesse pour 2025

Malgré cette fragilité, je continuerai à alimenter La Précarité du Sage. Ce blog reste, pour moi, l’expression la plus adéquate de ce dont je suis capable. Bien que la production de mes livres – en particulier La Pluralité des Mondes – m’ait apporté une immense fierté et représenté un travail de recherche considérable, ce blog incarne ma voix la plus personnelle et la plus originale.

Alors, hourras pour 2024, et 2024 fois hourras pour tous les lecteurs fidèles. Merci à toi lecteur et que l’année à venir te soit douce. Les années à venir connaîtront la récession du nombre de vues, mais pas la décroissance des articles ni le désinvestissement du sage précaire.