
Dans les vieilles écoles médiévales où se bousculaient quelques étudiants, l’atmosphère est celle d’un recueillement qui sied à la sagesse précaire. L’oeil y est constamment attiré et stimulé par des détails de décoration infinis. L’oeil est diverti et se perd.

L’oeil se perd car on cherche à étourdir l’esprit, on recherche l’ivresse sans alcool. L’ivresse dans les mots, dans les sons, dans la profusion des signes.

L’art islamique se dévoile dans une de ses caractéristiques les plus charmantes : un art de l’ascèse qui passe par le débordement des plaisirs plutôt que par leurs restrictions.
Fès, au nord du Maroc. C’est ici qu’au XIVe siècle, les brillants sultans de la dynastie berbère Mérinides ont voulu construire une capitale culturelle et n’ont reculé devant aucune dépense. Il n’est pas indifférent que leurs chefs d’oeuvre les plus marquants soient précisément des medersa (écoles, ou université).
Abou Inan Faris, le dernier sultan mérinides avant le déclin, a donné son nom à plusieurs medersa au Maroc, dont celle de Fès. Il s’est aussi illustré en accueillant le grand voyageur Ibn Battuta et en lui permettant d’écrire son grand récit de voyage qui immortalise le nom de Fès.
C’est ici, mes frères, dans la Medersa Bou Inania, havre de paix dans le tumulte des ruelles de Fès, qu’Ibn Battuta venait parfois enseigner la géographie et l’anthropologie aux étudiants. Par contrat, il devait passer un peu de temps avec la jeunesse de Fès et l’édifier un peu avec le récit de ses voyages. Ibn Battuta faisait rêver les jeunes du Maroc comme les lettrés d’Andalousie.

Quand il n’y avait pas cours, ni professeurs, ni obligation d’aucune sorte, les étudiants pouvaient toujours venir et profiter de la sagesse étourdissante qui s’étale, encore aujourd’hui, sur les façades intérieures de l’école.
Un art décoratif qui a rendu fous des orientalistes français. Venus apprendre, venus contempler, ils se sont mis en tête d’imiter et de reproduire les motifs décoratifs de l’art d’islam, et cela leur a fait tourner la tête.

C’est un art devant lequel il faut faire silence et prier, parce qu’on se sent perdu et pourtant dirigé par un ordre supérieur que l’oeil ne parvient pas à dominer.

C’est pourquoi l’eau, la fontaine, coule au centre des vieilles écoles de Fès.
Non seulement on peut s’y laver (on n’oublie pas l’obsession de la propreté chez les musulmans),
non seulement on y trouve la fraîcheur sacrée (on n’oublie pas le bonheur simple de s’asperger d’eau claire quand il fait chaud), obsession naturelle d’une culture née dans le désert,
non seulement on fait jaillir le bien le plus précieux au centre de l’enseignement coranique pour souligner la dimension miraculeuse de la parole divine,
mais aussi, l’eau incarne l’absence de motifs décoratifs, l’absence de forme plastique, le vide des couleurs. L’étudiant, dont l’esprit et les sens sont chamboulés par la prolifération des formes à contempler, peut trouver refuge vers l’eau muette, l’eau informe, l’eau incolore, la transparence du savoir.
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