26 juin 2025 — Vingt ans de blog

Le sage précaire en promenade au bord d’un lac de Bavière. Photo Hajer Nahdi, 2025.

Aujourd’hui est une date un peu spéciale pour moi. Il y a exactement vingt ans, jour pour jour, je publiais mon tout premier billet de blog. C’était le 26 juin 2005, sur un blog qui n’est plus trop actif, que j’avais intitulé Nankin en douce. Comme son nom l’indique, j’habitais alors à Nankin, en Chine, depuis un an. Et ce jour-là, je devenais blogueur.

Cela faisait déjà quelques années que je lisais des blogs, que je m’intéressais à cette forme d’écriture et de publication. Et ce 26 juin, je me suis lancé. Un an plus tard, j’ai quitté Nankin pour Shanghai, et le blog ne pouvant changer de titre, j’ai monté un deuxième blog : Chines avec un S, une tentative un peu plus vaste, d’englober un pays dans ses contradictions et ses diversités. Puis, à l’annonce d’un départ proche de Chine, j’ai senti le besoin d’ouvrir un espace qui ne soit plus ancré dans un territoire en particulier. C’est alors que j’ai fondé ce troisième blog, en reprenant le titre d’un billet ancien : La précarité du sage. Un titre auquel je tiens toujours.

Ce blog, né aussi quelque part entre 2005 et 2007, est devenu un fil conducteur de ma vie d’écriture. Une colonne vertébrale. Je ne saurais dire combien de billets j’ai écrits depuis vingt ans — je ferai le compte un jour — mais je sais qu’écrire ici m’a permis d’écrire, tout simplement. Beaucoup, régulièrement, avec joie.

Je voudrais dire à tous ceux qui hésitent à écrire, ou qui rêvent de se lancer : le blog ne m’a jamais empêché d’écrire ailleurs. Il ne m’a pas freiné dans mes publications papier. Il ne m’a pas fermé de portes. Je ne crois pas qu’un éditeur ait jamais refusé un manuscrit en raison d’un blog. D’ailleurs, je doute qu’ils aillent jusque-là. Je crois que les éditeurs, comme tout le monde, font ce qu’ils peuvent, et que l’édition reste un monde saturé.

Ce qui est certain, c’est que le fait d’écrire ici presque tous les jours pendant vingt ans ne m’a pas empêché d’écrire des textes longs et exigeants. Il ne m’a pas empêché de soutenir une thèse de doctorat, ni de publier cinq livres à ce jour.

Le blog est une activité intéressante. C’est un espace pour faire ses gammes, pour aiguiser sa langue, pour entretenir son regard, pour mettre à jour son esprit. Il m’a accompagné dans mes cheminements intellectuels, mes voyages, mes doutes, mes enthousiasmes. Il m’a offert une opportunité rare d’échanger avec des lecteurs.

Aujourd’hui, je relis mes premiers billets avec une tendresse amusée. Le tout premier s’intitulait La Lune. J’y racontais nos ascensions nocturnes sur la montagne pour observer la lune avec des amis chinois, jeunes, brillants, pleins de charme et d’intelligence. C’était un moment de grâce, et j’en garde encore l’émotion.

Je vous cite le dernier paragraphe de ce premier article, vieux de vingt ans, qui raconte une scène vieille de huit mois. Je mets en ligne en juin une histoire qui eut lieu en septembre.

Nous étions quelques-uns uns sans famille, à Nankin, alors nous allâmes, Français, Belges et Chinois, à la Montagne Pourpre et Or pour manger et boire, et pour regarder la lune. Au sommet, nous escaladâmes des rochers et nous contemplâmes. Luluc et Mimic chantèrent La fameuse chanson : Yue Liang dai biao wo de xin. Elle dit à peu près cela : “Tu veux savoir combien je t’aime et la profondeur de mon amour ? Regarde la lune, elle représente à mon cœur.” Chez nous, cela voudrait dire que mon cœur est plein de tristesse, de froideur ou de douceur maladive. Ici, je ne sais pas vraiment ce que cela veut dire.

Nankin en douce, 2005

Je n’ai pas beaucoup changé en vingt ans. Il faut dire que j’étais déjà un vieil adolescent de 33 ans, je n’allais pas vraiment me métamorphoser à partir de cet âge-là.

Je ne voudrais pas fêter cet anniversaire de blogging sans adresser un immense merci aux lecteurs, et surtout aux commentateurs. Sans eux, je ne sais pas si j’aurais continué.

Aujourd’hui, les blogs ne sont plus à la mode. Les commentaires se font rares. Les réseaux sociaux ont pris le relais, avec leurs formats rapides, leurs vidéos, leurs algorithmes. Cette évolution me donne l’impression de jouer un vieil instrument de musique acoustique comme l’orgue portatif qu’on voyait dans les églises de villages. Ou encore le cymbalum. Avec cet instrument, on n’a pas accès aux médias, on ne fait jamais de tubes, mais on peut animer des soirées et faire la manche dans la rue.

La fragilité d’un art : retour sur « Monique s’évade »

Après avoir été très enthousiaste pour le premier livre d’Édouard Louis, Pour en finir avec Eddy Bellegueule, publié en 2014, je lis avec plaisir mais un soupçon de déception le bon livre de 2024, Monique s’évade.

Ce texte raconte, toujours avec la même méthode puisée chez Annie Ernaux, l’évasion, en effet, de la maman du narrateur, qui avait déjà réussi à quitter son mari et qui vivait avec un nouvel homme qui la maltraitait.

Édouard Louis met en scène une coopération, une alliance entre mère et fils pour organiser la fuite, et même une relation tripartite mère-fille et fils, puisque la sœur apparaît dans le protocole. Ils inventent de nouvelles relations qui ne soient plus simplement filiales et familiales. Ils tâchent, tous les trois, de créer une forme d’amitié d’adultes, comme je le fais moi-même avec ma propre mère

Les Plaisirs de ma mère

La Précarité du sage, 2014

Le texte de Louis est très intéressant mais littérairement, c’est, franchement, un ton en dessous que celui qu’il a publié en 2014. Il faut le dire, mais il ne s’agit pas de critiquer de manière brutale et légère. C’est difficile, l’art de narrer. On voit dans ce livre combien c’est délicat, la littérature. C’est délicat parce que c’est de l’art.

Il y a de nombreuses pages moins puissantes, non pas que Louis manque d’inspiration (il est inspiré, il a du talent), mais son phrasé touche moins au but. Peut-être parce que cela correspond déjà à une recette élaborée par quelqu’un d’autre. Louis accumule les formules qui sont censées frapper au cœur du sujet mais qui se révèlent poussives :

Et je pensais : Arrête de réfléchir ! Il faut agir d’abord, réfléchir après.

Sans ça il n’y aurait jamais d’évasion.

Nulle part.

p. 68.

Par endroits l’auteur essaie plusieurs formules, il s’y reprend à plusieurs reprises, insatisfait et pourtant incapable de tout effacer pour recommencer et trouver le paragraphe qui sonne juste. Je cite trois phrases apparaissant telles quelles dans le livre, dans cet ordre et cette succession :

Je n’avais jamais vu mon père accomplir la moindre de ces tâches en quinze ans.

Elle n’avait jamais fait quoi que ce soit pour elle-même.

Sa vie avait été, jusqu’à maintenant, une vie pour les autres.

p. 34-35.

Cela est bien vrai et peut mériter d’être dit, mais on pourrait continuer ainsi sur des pages car cela demeure malgré tout une sorte de cliché.

J’avais dit, dans mon billet consacré à son premier livre, que le travail génial était celui d’Annie Ernaux parce qu’elle inventait un genre. Personne n’avait vraiment écrit de cette manière-là sur son père, sa famille, et sur la distance qui apparaît avec sa famille quand on grandit, quand on fait des études.

Personne n’avait vraiment dit, de manière très plate et sensible, de manière factuelle et artistique, la rupture dans le langage même, dans les codes, la manière dont les codes et la façon de parler s’inscrivent dans le social. Donc elle, Annie Ernaux, tâtonnait, elle cherchait son style, elle cherchait sa voix.

Édouard Louis, au contraire, partait avec cette capacité d’analyse, mais surtout il avait acquis chez Annie Ernaux le genre littéraire qui était le sien.

Et là, il y a beaucoup de phrases qui sont un peu banales, qui n’ont pas la dimension de surprise, de révélation, que l’on trouve dans les livres réussis.

Et dans ce type de littérature-là, la littérature à la fois factuelle, sociale et personnelle, on s’en rend bien compte aussi quand on lit Didier Eribon lui-même, qui apparaît dans Monique s’évade comme l’ami du narrateur qui peut assister la maman en fuite. Ce type d’écriture peut vite s’avérer banale car elle s’ingénie à parler de choses quotidiennes, apparaissant comme naturelles aux protagonistes. Elle réclame donc beaucoup de travail pour distinguer les notations de micro-événements significatifs et les remarques sans intérêt.

C’est quand même un livre réussi : je vais vous donner un exemple de moments où Monique S’évade, le livre, a quelque chose de fort, d’original, de singulier.

Pendant ces quelques jours de fuite et de préparation de sa Nouvelle Vie, ma mère réclamait une prise en charge totale. Elle estimait qu’elle avait droit au repos et à l’assistance radicale après ce qu’elle venait de vivre, et j’étais d’accord, je le faisais volontiers – Didier l’avait fait pour moi des années plus tôt

p. 42.

Cette volonté d’être entièrement prise en charge est intéressante car elle arrive de manière un peu contre-intuitive. On aime bien donner l’image inverse dans les récits de transfuge de classe : donner l’impression qu’on s’est battu, qu’on a inversé les forces du destin, les forces de l’habitude.

C’est intéressant qu’à l’intérieur de ces récits de lutte, de survie, il y ait ces moments-là où l’on dit qu’on voudrait être entièrement passif.

J’ai beaucoup aimé les détails pratiques concernant le déménagement de sa mère. Le narrateur révèle à la fois la gentillesse du fils qui veut aider et son inaptitude aux tâches simples de la vie populaire : il achète des cartons à distance (je n’ai jamais acheté un carton de ma vie car je sais où me les procurer gratuitement), il se demande combien il en faut, dix ? Vingt ? Ce mec n’a vraiment aucune idée, ça m’a fait sourire, comme son questionnement sur les rouleaux de scotch, et sa dernière question m’a carrément fait rire :

Est-ce qu’il fallait des gants pour se protéger des coupures du carton ?

p. 77.

Alors oui, Édouard, on peut porter des gants, mais pour être franc, si on travaille avec soin, on devrait pouvoir se sortir d’un petit déménagement sans coupures ni blessures.

Imprimer, graver, typographer dans les bois

À deux pas de mon terrain, travaille ce noble artisan qui confectionne des livres de poésie. Il est lui-même artiste-paysan, et ses peintures, ses gravures, ne sont pas seulement faites pour illustrer des livres. Il les expose aussi et les vend comme des œuvres d’art de plein droit.

Marc Granier est un Cévenol qui, après avoir vécu en Bretagne dans les années 1970, a décidé de revenir sur la terre de ses ancêtres à Roquedur et de se former à la typographie pour monter un atelier où il fabrique des livres avec doigté et technicité.

Il utilise des machines qui sont elles-mêmes belles comme des nouvelles de Kafka.

Quand Frédéric Beigbeder pose (enfin) la bonne question à Sylvain Tesson

Frédéric Beigbeder est la seule personne à avoir posé la bonne question à Sylvain Tesson. L’ensemble de l’entretien se cristallise dans ce moment. Soudain, il lui demande : « Mais comment vous payez ces expéditions ? Ça coûte une blinde ! C’est l’éditeur qui vous organise tout ça ? » La question est magistrale. Parce qu’évidemment, tout le monde connaît la réponse, mais il y a davantage que la réponse dans la question.

Moi, dans mes premiers textes critiques sur la littérature de voyage, il y a déjà vingt ans, je le disais : la question de l’argent est fondamentale et trop souvent escamotée par les auteurs. Car pour voyager sans travailler sur place, comme je le fais depuis 1998, il faut pouvoir prendre plusieurs mois de vacances. Partir, c’est bien beau, mais que fait-on au retour ? Que fait-on de ses affaires, si on en a ? Comment gagne-t-on sa vie ? Et quand on part plusieurs mois chaque année, cela demande une organisation conséquente.

Et Tesson, évidemment, ne parle jamais d’argent. Or, quelqu’un qui ne parle jamais d’argent, ce n’est pas parce que cela ne l’intéresse pas. C’est parce qu’il en a suffisamment pour que ce ne soit jamais un problème. Ceux qui ne parlent que d’aventure, d’ailleurs, d’amour, et jamais d’argent, sont souvent ceux qui ont une très bonne gestion financière — et une grande compétence dans ce domaine. C’est son cas.

D’une part, c’est un héritier richissime, propriétaire d’un appartement au centre de Paris. D’autre part, il est aussi héritier d’un capital culturel gigantesque, qui lui donne de nombreux contacts dans les médias et la presse. Mais c’est aussi un très bon businessman. On l’avait déjà noté il y a quinze ans à propos de son livre qui raconte ses vacances au bord d’un lac gelé : à la fin de ce livre, il remercie des entreprises et la diplomatie, qui ont donc financé son voyage.

Car il fait partie des très rares personnes qui non seulement n’ont pas besoin de travailler pour voyager, mais qui n’ont même pas besoin de dépenser de l’argent. Contrairement à tous les Français qui économisent pour partir, puis rentrent pour regagner de l’argent, lui, il se fait financer.

Et sa réponse à Beigbeder est laconique, mais suffisante : « Comme mon père n’a jamais accepté les subventions de l’État pour son amour du théâtre, de même, j’obtiens des financements privés grâce à de merveilleux amis. » Ces merveilleux amis, cela ne veut rien dire. Dans ce milieu de la haute bourgeoisie, les amis sont des collaborateurs, des associés en affaires. Bien sûr, on tisse des liens. Les bourgeois sont des êtres humains comme nous. Mais ce sont des associés avant tout.

Il remerciait autrefois les entreprises à la fin de ses livres, mais il a probablement arrêté, la ficelle étant trop grosse. Cela entachait l’image d’aventurier vagabond qu’il cherche à se donner. Il existe sans doute aujourd’hui des associations ou collaborations financières, gérées par son agent, avec des entreprises richissimes. Il leur propose peut-être des stages, des rencontres, des moments privilégiés avec les hauts cadres de telle ou telle boîte. Des entreprises profitent de l’image de Sylvain Tesson, mais à un niveau confidentiel, réservé aux invités de marque.

C’est toute la stratégie des happy few : on conserve l’aura de mystère, celle du clochard céleste, et en même temps on développe un business model redoutable, extrêmement efficace — mais uniquement parce qu’il est rare. Ce modèle ne peut être reproduit ni par vous, ni par moi. Il repose sur une personnalité construite comme exceptionnelle, comme rare. C’est de la rareté organisée. C’est un produit de luxe.

La question posée par Beigbeder nous permet de comprendre cela. Donc bravo à lui. Et seul un mec de droite comme lui pouvait poser cette question. Il fallait que ce soit une conversation entre bourgeois, dans un lieu feutré. Si Mediapart avait posé cette question, Tesson n’y aurait même pas répondu, et la fachosphère aurait hurlé à l’inquisition idéologique menée par des médiocres hostiles à l’argent. Il fallait que ce soit un grand bourgeois pour que la question ne paraisse ni négative ni malveillante.

Et c’est précisément ce qui la rend si éclairante.

Esclavagisme ou salariat : quel est le modèle préféré du sage précaire ?

Ce jour-là, où je me morfondais dans un embouteillage, je me suis dit que l’on traitait mieux un esclave que moi. J’avais accepté l’offre d’emploi de professeur dans un lycée privé de Montpellier, mais cela exigeait que je fasse le déplacement à mes frais, et donc deux heures de cours dans cet établissement situé en lointaine banlieue me bloquait une journée entière.

J’ai demandé qu’on me loge dans une cellule de moine, une chambrette quelconque. On aurait aménagé mon emploi du temps sur deux jours et j’aurais dormi sur place. C’était impossible.

Il y a des pensées qui traversent l’esprit comme une intuition désagréable, mais insistante. Et celle-ci en fait partie : et si l’esclavagisme était un système aussi digne que le salariat précaire du XXIe siècle ?

Solution pour trouver des professeurs dans vos collèges et vos lycées

La Précarité du sage, 2023

Cette idée n’est pas une provocation gratuite. C’est une hypothèse de lecture. Quand on écoute les discours politiques ou managériaux, on sent poindre cette nostalgie trouble d’un monde où le travail humain ne coûte rien, où il est docile.

Mais le plus troublant, c’est qu’aujourd’hui, dans certains cas, le salarié semble traité avec moins de considération que ce que recevrait un esclave dans un système rationnel. Prenons un exemple réel : celui d’un professeur de philosophie, affecté loin de chez lui, mal payé, contraint à de longs trajets quotidiens à ses frais, à préparer ses cours sur son propre temps, avec son propre matériel. Il n’a pas vraiment choisi son lieu de travail, son salaire est non négociable, et aucune aide n’est prévue pour le logement ou les transports. Sa liberté est théorique ; sa dignité, conditionnelle.

Imaginons maintenant un scénario absurde mais révélateur : le même professeur, non salarié cette fois, mais esclave. Supposons un lycée privé où l’on exploite des professeurs esclaves. Sur le papier, le patron y gagne : pas de salaires à verser. Et pourtant… dans ce cadre, j’aurais obtenu ma cellule de moine et n’aurait pas perdu ma vie dans les embouteillages. Il faut bien loger ces esclaves, les nourrir, les vêtir, les maintenir en état physique et mental pour qu’ils fassent correctement cours. Il faut aussi leur donner le temps nécessaire pour corriger les productions d’élèves

(combien de temps passeriez-vous à corriger une dissertation de philosophie ? Réponse libre compte tenu que vous êtes attendu au tournant que si vous faites mal votre travail, élèves et parents d’élèves se retournent contre vous. Alors combien de temps ? Et maintenant multipliez ce chiffre par 100 ou 200. Cela vous donnera une idée de ce que l’entrepreneur esclavagiste devra donner à ses professeurs pour qu’ils viennent à bout de leur tâche.)

L’héroïsme silencieux des professeurs français

La Précarité du sage, 2023

Car sans cela, les élèves fuiront, les parents ne paieront plus. L’entrepreneur perdra de l’argent. Il faudra donc, dans le cadre d’un esclavagisme banal, construire des dortoirs, des réfectoires, fournir des vêtements décents, organiser une vie collective supportable. En somme : assumer une série de coûts fixes bien plus élevés que le simple versement d’un salaire modeste.

On se rend compte alors que le salariat est une solution rusée : on transfère au salarié tous les coûts d’entretien. Le logement ? À lui de se débrouiller. La nourriture ? Pareil. Les vêtements, les trajets, les outils de travail, l’énergie nécessaire à la préparation des cours et à la correction ? On ne s’en occupe pas, on a déjà versé un salaire qui couvre tout cela. Le salariat, loin d’être une forme d’émancipation, est dans bien des cas une externalisation sophistiquée des coûts de l’esclavage. L’esclave coûte cher à l’achat et à l’entretien ; le salarié, lui, s’entretient tout seul.

C’est ici que Marx revient en force. Ce qu’il appelait l’ « aliénation », ce n’est pas seulement la dépossession du produit de son travail, c’est aussi la mise à distance de soi-même comme sujet. Le travailleur ne se reconnaît plus dans son labeur, dans ses conditions, dans les termes du contrat. Il devient étranger à sa propre activité, et accepte, par nécessité, des formes d’exploitation qu’il n’aurait jamais tolérées dans un autre contexte. L’aliénation n’est pas que physique ou économique, elle est existentielle.

Ceci étant dit, je suis satisfait de ne pas être un esclave car, en tant que sage précaire, je suis un petit malin et j’ai su tirer mon épingle du jeu : j’ai abandonné de lycée privé dès qu’un autre lycée, public celui-ci et plus proche de chez moi, m’a proposé un emploi de prof de philo. Evidemment, les élèves et le personnel du lycée privé ont dû me maudire, les parents d’élèves ont dû se plaindre, mais que voulez-vous, leur système basé sur la précarité des diplômés fonctionne moins bien que le bon vieil esclavagisme qui va probablement renaître de ses cendres.

Alors, esclavage ou salariat ? Le premier est une violence nue ; le second, une violence masquée. Dans les deux cas, il s’agit de faire produire sans payer le prix réel du travail. L’un choque, l’autre s’installe. L’un est illégal, l’autre est institutionnel. Mais l’horizon idéologique qu’ils partagent, c’est celui d’un monde où le travail de l’autre doit rapporter sans jamais coûter.

L’Entrepôt projette un film bouleversant sur l’avortement au Yémen

Les Lueurs d’Aden : un film d’Amr Gamal, sorti en 2023. Titre original : « المرهقون » (Al Murhaqoon), ce qui peut se traduire par « les Accablés ».

C’est grâce à Laurent Bonnefoy, directeur de recherche au CNRS et chercheur au CERI, spécialiste du Yémen et de l’Arabie Saoudite, que je suis allé au superbe cinéma L’Entrepôt, dans le 14ᵉ arrondissement de Paris. Ce soir-là, on y projetait Les Lueurs d’Aden, un film bouleversant d’Amr Gamal, dont le titre anglais, The Burdened, me semble d’ailleurs plus évocateur et plus fidèle à l’original arabe. « Burdened » signifie “chargé d’un fardeau”. Je ne sais pas si ce mot existe en anglais, mais en français, il faudrait dire “les gens alourdis d’un fardeau”.

Ce fardeau, c’est la quatrième grossesse d’Israa. Avec son mari Ahmed, ils ont déjà trois enfants. Ils ont perdu leur emploi, ou en tout cas, leurs salaires sont suspendus à cause de la guerre et des difficultés de l’État yéménite. Ils veulent donc avorter.

Tout le film repose sur cette décision. C’est un film extrêmement bien écrit, d’une efficacité narrative remarquable. Je n’y ai décelé aucune imperfection, ni esthétique ni dramatique. Franchement, c’est le meilleur film que j’ai vu au cinéma depuis le début de 2025. Chaque plan est utile, nécessaire à la narration, et en même temps d’une grande beauté. Amr Gamal est un cinéaste que je ne connaissais pas mais dont je veux tout voir désormais.

On apprend dans le film que, si l’avortement est interdit au Yémen, il fait néanmoins l’objet de débats au sein des autorités religieuses. Certains estiment que, sous certaines conditions, il ne serait pas forcément un péché. C’est sur cet espoir que repose toute la quête du couple.

Ce qui est bouleversant, c’est qu’il s’agit d’un couple fonctionnel. Ahmed et Israa s’aiment profondément, ils aiment leurs enfants. Ils ne sont pas égoïstes, ils ne cherchent pas à se “débarrasser” d’un enfant. Ils n’en peuvent juste plus. La vie est devenue trop dure. Le coût de la nourriture, du loyer, des écoles est trop élevé. On les voit changer d’appartement pour une maison décrépite. Leur décision n’a rien de léger : ils veulent cet avortement par nécessité absolue.

La tension est telle que le mari, à bout de nerfs, finit par lever la main sur sa femme. Mais il s’effondre immédiatement, en larmes, demandant pardon à trois reprises. C’est Israa qui porte la famille à bout de bras. C’est le cas dans ma vie, dans la tienne : la femme est le pilier d’une famille. Mais ici, l’homme, déchu de son rôle traditionnel de soutien financier, s’effondre peu à peu. Et ce sont les femmes qui vont lui sauver la vie ainsi que ses apparences.

C’est une famille qui a tout pour être heureuse mais qui, dans la modernité, se retrouve incapable d’assumer un enfant de plus.

Après la projection, Laurent Bonnefoy a repris le micro pour un éclairage passionnant. Il nous a révélé que le film avait été financé en partie par des fonds saoudiens. Ce qui est surprenant, car on pourrait penser que l’avortement est totalement tabou en Arabie Saoudite. Mais ce financement montre peut-être qu’au sein des pays du Golfe, en Arabie Saoudite comme au Yémen, certains pouvoirs souhaitent ouvrir le débat : jusqu’où peut-on discuter de l’avortement ? Dans quelles conditions peut-il être acceptable ? Le cinéma se fait ici porteur de débats trop sensibles pour être vraiment lancés sur la place publique, mais assez cachés dans les festivals et les plateformes de streaming pour nourrir des réflexions parmi une certaine élite culturelle.

Ce film était une expérience marquante pour moi, qui ai passé tant de temps dans des hôpitaux similaires avec la femme de ma vie pour des problématiques inverses de celles que connaissent les personnages du film. Et L’Entrepôt fut un cadre parfait pour cette dernière soirée à Paris. Ce type de cinéma, avec son café confortable et son ambiance accueillante, me manque souvent dans les pays où je m’expatrie parfois.

Montreuil, une halte familière

De passage à Paris, j’ai préféré ne pas solliciter une énième fois mes amis, cousins, oncles et tantes. Alors, comme je l’ai fait déjà jadis, j’ai cherché un hôtel et naturellement, j’ai atterri à Montreuil, un coin où j’ai mes habitudes depuis plus de vingt ans.

C’est là que Mathieu m’hébergeait à l’époque, et c’est là que j’aime toujours revenir, même depuis que Mathieu s’est expatrié chez les bourgeois de Pantin et de Bobigny. Montreuil m’a toujours convenu. Un quartier populaire, animé, qui s’étire autour de la rue de Paris. Cette fois encore, j’ai trouvé un hôtel juste à côté de la station de métro Robespierre, celle que j’utilisais déjà il y a deux décennies. Une chambre à 57 euros la nuit, de quoi s’attendre au pire, mais il n’en fut rien.

Avant même mon arrivée, mon épouse, inquiète, avait mené une petite enquête. Selon elle, Montreuil serait “la ville la plus dangereuse de France”. Elle m’a donc longuement recommandé d’éviter les transports en commun, de ne pas me déplacer la nuit, de prendre un taxi le cas échéant, de rester vigilant et de ne pas parler aux inconnus.

Obéissant à ce bel ange qui veut mon bien, je suis arrivé à minuit par le bus et le métro, j’ai été au théâtre et au cinéma, je n’ai pas hélé le moindre taxi et j’ai échangé avec mes frères et sœurs que j’ai trouvés souriants, polis et bien élevés.

Après trois nuits sur place, je ne peux que recommander chaudement cet hôtel Robespierre (anciennement Hôtel Idéal). Propre, calme, tenu impeccablement. Une chambre assez petite mais suffisante : un lit pour dormir, un deuxième pour poser ma valise et étaler mes affaires, un bureau où écrire des lettres d’amour à la femme de ma vie, une télévision pour absorber les mauvaises nouvelles du monde et une salle de bain exiguë. Vue sur la cour intérieure d’une vieille maison et sur un jardin abandonné. Le luxe.

Je suis sorti tard, très tard, au milieu de la nuit. J’ai marché dans les rues de Montreuil, tôt le matin, en pleine journée, et jamais je n’ai ressenti la moindre insécurité. Au contraire. Ce qui m’a frappé, c’est cette atmosphère tranquille, presque douce. Oui, c’est un quartier à forte présence arabo-musulmane et africaine, mais c’était déjà le cas il y a vingt-cinq ans. Rien n’a changé de ce point de vue.

Ce qui a changé, en revanche, c’est l’âge des habitants. L’immigration qui peuplait ce quartier il y a vingt-cinq ans a vieilli. Aujourd’hui, on a l’impression d’une ville assagie, d’une “Nouvelle-France pépère” où les marchands et entrepreneurs ne sont plus de la première jeunesse. Un Montreuil presque endormi, sauf pour ces restaurants ouverts à minuit où des jeunes, étudiants sans doute, blancs et arabes, mangent tranquillement leurs kebabs en terrasse.

Il y a vingt ans, j’y venais en invité. Aujourd’hui, j’y retourne par habitude et par envie.

La jolie fresque mosaïque de la Bourse du Travail, Lyon

Tout le monde la connaît, elle habille le mur de la Bourse du travail depuis 1934. On a tous été à des concerts ou des réunions publiques dans ce haut lieu du syndicalisme. Elle nous rappelle que Lyon a toujours été une grande ville de gauche, de révolte, de soulèvement et d’expérimentations dans l’organisation du travail.

J’ai longtemps dédaigné cette mosaïque mais aujourd’hui, en l’apercevant par hasard, au détour d’une promenade sans direction ni destination, sa beauté m’a frappé pour la première fois.

Qui sont ces deux personnages à la gauche de la fresque, qui semblent être peintres et architectes, et qui ne suivent pas le mouvement des travailleurs ? J’ai pensé que c’étaient les artistes qui ont conçu et fabriqué cette œuvre.

Du coup, j’ai regardé le reste et ai reconnu Édouard Herriot, avec sa moustache et sa pipe. Homme de gauche, Herriot a été maire pendant une bonne partie du XXe siècle, et a dirigé le gouvernement dit du « Cartel des gauches » dans les années 1920. Malheureusement, ce gouvernement n’a pas laissé de grandes traces dans l’histoire.

Il me parait évident qu’en lançant une petite recherche, on pourrait trouver de nombreux personnages réels de l’histoire de la région. Ce dernier personnage, par exemple, à l’extrême droite de la fresque, je ne peux pas croire qu’il symbolise seulement la vieillesse de l’ouvrier qui a bien mérité sa retraite.

Lui et même cette infirmière qui l’aide à marcher, je suis prêt à parier qu’ils furent des acteurs identifiables de la vie culturelle, politique ou syndicale de Lyon. D’ailleurs, l’idée m’a traversé que ce fut la première « fresque des Lyonnais », bien avant celle peinte dans le 1er arrondissement, et qu’on y voit des personnages historiques fondus dans la mode populaire des années 1930. Saint Irénée, Sainte Blandine, le facteur Cheval, Puvis de Chavanne, je pourrais faire des hypothèses sans m’arrêter pendant un après-midi entier.

Hommage à la rue Paul Bert. De la renaissance d’une ville française

Ce matin, en sortant de ma chambre de location, j’ai ressenti une joie inattendue, une sorte d’élan d’amour pour la rue Paul Bert, dans le 3ᵉ arrondissement. Une rue qui, pour beaucoup de Lyonnais comme moi, n’évoquait rien d’autre qu’un axe de passage, un tronçon urbain sans saveur, où l’on ne s’arrêtait pas.

Soyons précis : cette analyse se limite à la section qui part de la Place du Pont jusqu’à la rue Villeroy. Au-delà, évidemment, la rue Paul-Bert est beaucoup plus pittoresque, mais tout le monde le sait déjà, on ne va pas revenir là-dessus.

Je suis né tout près, dans le 7ᵉ arrondissement, en 1972. J’ai grandi à quelques pas, j’ai étudié la philosophie dans une université voisine. La rue Paul Bert, je la connais depuis toujours. Et depuis toujours, elle était terne, grise, indifférente. Une rue qu’on empruntait sans jamais la remarquer.

Je prends le lecteur à témoin : personne n’a de souvenir romantique, épique ou poétique dans la rue Paul Bert.

Mais aujourd’hui, en 2025, je la redécouvre. Une transformation spectaculaire. Couleurs, lumières, commerces. Une rue autrefois oubliée est devenue une rue vibrante. Des boutiques en tout genre, des étals débordants, des passants affairés. Un dynamisme économique évident. Et signe paradoxal de cette prospérité retrouvée : la présence de mendiantes, venues rappeler aux passants que donner en période de Ramadan rapporte des hasanat, ces bonnes actions comptabilisées pour l’au-delà. Les mendiants ne s’installent pas dans les rues désertées, ils vont là où circule l’argent.

Au détour d’une arcade, un nom attire mon regard : Galerie Dubaï. L’intérieur, un foisonnement de tissus, de parfums, d’encens, de babioles orientales. Une impression de souk, une parenthèse arabesque au cœur de Lyon. La rue Paul Bert est devenue une rue arabe. Et c’est un beau signe de renaissance.

À ceux qui s’indignent et s’écrient : Ce n’est pas la France !, je réponds : Au contraire, c’est la France qu’on aime, une France de commerçants, de travailleurs, de bâtisseurs. Une France qui se lève tôt et se couche tard. Hier soir, à minuit, la boulangerie en face de mon appartement était encore ouverte. Ce matin, dès 8 heures, elle accueillait des clients depuis pas mal de temps. Quelle plus belle image de l’énergie française ?

Je trouve deux barbiers qui peuvent s’occuper de les cheveux et de la barbe, mais ils sont tellement occupés que je dois revenir une heure plus tard.

Dans cette effervescence, je croise même des youtubeurs et instagrammeurs en pleine captation. Ils filment, commentent, documentent cette métamorphose urbaine. Une ville bourgeoise comme Lyon, avec ses façades Art déco, ses avenues cossues, sait bousculer les clichés, grâce à des rues comme celle-ci, une rue qui vit, qui crée, qui commerce.

Alors, hommage à la rue Paul Bert.

Hommage aux Arabes de Lyon.

Hommage à la France, celle qui n’a pas peur de ses enfants, ni de son propre avenir.

Un ramadan alternatif en Arabie Saoudite : quand le sacré devient un jeu d’horaires

Ahmad Angawi, « Simplicity in Multiplicity », 2025.

En mission dans la région du Golfe persique, je découvre une manière de vivre le Ramadan que je n’avais encore jamais observée, ni en Oman, ni en Tunisie, ni en Algérie, ni en France ni ailleurs. Ce n’est pas tant une question de ferveur ou de pratiques cultuelles qu’une approche singulière du rapport au temps, qui transforme le mois sacré en une inversion totale des rythmes de vie.

Dans la société saoudienne que je fréquente– et je ne prétends pas avoir une vision exhaustive – il semble tout à fait naturel d’adopter un mode de vie nocturne : puisque le jeûne interdit de manger et de boire du lever au coucher du soleil, autant dormir pendant cette période et vivre sa meilleure vie pendant la nuit. Ce qui pourrait apparaître comme une astuce de contournement est en réalité assumé avec une candeur déconcertante.

Un mois sacré, une vie renversée

Le résultat est frappant : les bureaux sont désertés en journée, les esprits somnolents, les rues calmes… mais dès la tombée de la nuit, tout s’anime. On assiste à des matchs de football à minuit, à des rencontres culturelles à des heures où, moi, je tombe de sommeil. On se réunit dans les cafés, on fait du shopping et on se rend visite jusqu’à l’aube.

Ahmed Mater, « Golden Hour », 2011.

Loin d’être vécu avec culpabilité, ce renversement des horaires est revendiqué comme une adaptation logique. Après tout, si le Ramadan impose une restriction diurne, pourquoi ne pas simplement déplacer la vie active à un autre moment ? Vu sous cet angle, on pourrait presque croire à une contrainte administrative : “de 5 h à 18 h, suspension de l’eau, de l’électricité et des approvisionnements”. Et comme face à toute interdiction temporaire, la solution semble évidente : ajuster son emploi du temps pour minimiser l’inconfort.

Ramadan : épreuve ou vacances ?

Ce mode de vie transforme alors le ramadan en une période de semi-vacances. Certes, même dans d’autres pays musulmans, ce mois entraîne une baisse de pression au travail et un ralentissement général. Mais à Riyad je remarque une inversion parfaitement explicite, et même systématisée.

Or, si l’on en revient au sens du ramadan, cette pratique semble en contradiction avec l’esprit du jeûne. Ce mois est censé être une épreuve, non pas pour souffrir gratuitement, par dolorisme masochiste, mais pour éprouver une forme de manque qui rapproche de la spiritualité. C’est un exercice de maîtrise de soi, une occasion de ressentir la faim et la soif pour mieux comprendre ceux qui les subissent au quotidien. C’est aussi une manière de créer un cadre de réflexion et de transformation intérieure.

En vivant la nuit et en dormant le jour, cette épreuve disparaît presque totalement. Le jeûne devient une formalité technique, un simple ajustement logistique. Or, sans cette sensation de manque, l’expérience spirituelle s’en trouve plus ou moins neutralisée elle aussi.

Une forme de résistance ?

Je ne porte aucun jugement et regarde cette manière de vivre le ramadan avec amusement et bienveillance. Après tout, chacun pratique sa foi comme il l’entend, et les cultures adaptent toujours les traditions à leurs réalités locales.

Cette manière de vivre le ramadan, si délibérée et assumée par la petite bourgeoisie saoudienne semble presque mécanique. Et si cette approche était en réalité l’héritage d’une relation ambivalente à la religion, façonnée par des décennies d’un pouvoir autoritaire qui en faisait une contrainte institutionnelle plus qu’un choix personnel ?

Pendant des années, la religion en ce royaume n’était pas seulement une affaire de foi individuelle, mais une structure imposée, encadrée par une police des mœurs. Dans un tel système, il est possible que la population ait appris à voir ces injonctions non comme des pratiques intimes, mais comme des règles administratives à contourner avec habileté. La stratégie était alors simple : respecter les formes sans en subir pleinement les conséquences, en adaptant la vie autour des restrictions plutôt qu’en les habitant pleinement. Résistance passive par l’obéissance passive.

Avec l’assouplissement récent du contrôle religieux, cette habitude semble avoir perduré. Pour moi, qui suis arrivé à cette religion par choix et par amour, il en va autrement : je ressens l’envie de vivre ce mois dans sa rigueur, non par excès de zèle ou par quête de pureté, mais parce que j’y trouve une valeur incomparables. Là où certains perçoivent une contrainte, j’y vois une liberté intérieure, une discipline choisie et assumée. Mais j’aime penser que la population saoudienne pratique la fête nocturne comme une sorte de subversion douce face au pouvoir.