
Un musée maritime vient d’ouvrir en Arabie saoudite. Le Red Sea Museum est consacré à l’histoire longue et foisonnante de cette mer qui se termine par le canal de Suez.
Quand vous pensez Arabie Saoudite, dorénavant, il convient d’ajouter la mer à vos images de désert. Et quand vous pensez Mer Rouge, vous pourrez ajouter ce musée à vos souvenirs de lecture d’Henri de Monfreid et de Romain Gary.
Le choix de Jeddah s’impose comme une évidence. Ville portuaire depuis des siècles, porte d’entrée des pèlerins venus de l’ensemble du monde musulman vers La Mecque, Jeddah a toujours été la cité d’Arabie la plus ouverte sur le monde. C’est dans sa vieille ville, Al-Balad, au cœur d’un bâtiment historique du XIXᵉ siècle, la maison Al-Bunt, que le visiteur est invité à explorer ce territoire fascinant. Dès les premières salles, cartes anciennes, objets maritimes, archives, œuvres d’art contemporain et documents scientifiques s’entremêlent pour raconter une histoire sans frontières nettes : celle des routes, des échanges, des paysages sous-marins, des croyances, des pèlerinages, des mythologies et des cauchemars.

Le Red Sea Museum tient à la fois du musée d’art, du musée d’histoire naturelle, de l’institution ethnographique et du centre de géographie historique, sans jamais donner le sentiment d’une accumulation confuse. Cette maîtrise se ressent dans l’organisation spatiale :

- le rez-de-chaussée s’ouvre comme un vaste hall, évoquant à la fois une gare maritime et un marché au poisson, mais des poissons de luxe, pas des harengs et des sardines. Le rez-de-chaussée est lieu de flux et de rencontres.
- Le premier étage, à l’inverse, est composé d’une succession de chambres presque domestiques, comme dans un hôtel de province. Un hôtel de voyageurs et de représentants de commerce. Cet étage invite à une déambulation plus intime.
- Enfin, le troisième étage s’ouvre sur un café sur le toit, que j’interprète comme la cabine d’un bateau : quand on sort sur le pont, on peut voir à bâbord le port et la mer ; à tribord la grande place et la belle mosquée Al-Rahman.

L’ensemble se visite sans fatigue car l’équilibre est atteint entre objets naturels, archives, création contemporaine et contenu audio-visuel.
Une équipe au sommet de la muséologie contemporaine
Cette cohérence tient beaucoup à la qualité de l’équipe qui a porté le projet. Le commissariat général a été supervisé par Mona Khazindar, figure majeure de la scène muséale saoudienne, forte de plus de vingt ans d’expérience dans les musées de Paris et du Proche-Orient, aujourd’hui conseillère auprès du ministre saoudien de la Culture. La rénovation du bâtiment a été confiée à François Chatillon, référence incontournable dans le domaine des monuments historiques. Quant à la scénographie, elle est signée par l’agence Nathalie Crinière, garantissant une grande diversité d’ambiances et une attention constante portée à l’expérience sensorielle du visiteur.
Entre science, foi et navigation

L’entrée du musée Dans une nef centrale, une grande table animée retrace les millions d’années de l’histoire géologique de la Mer Rouge. Au fond, une ancre monumentale du XVIIᵉ siècle, récemment remontée des fonds marins, agit comme un point d’ancrage symbolique. Entre ces deux pôles, une vitrine rassemble des objets rares et profondément émouvants : boussoles indiquant la direction de La Mecque, conçues comme de petites boîtes finement décorées ; miniatures colorées où la Kaaba côtoie la mer, les montagnes et les mosquées. Ces objets, à la fois naïfs et sacrés, résument l’essence même de la civilisation de la Mer Rouge : populaire, voyageuse, pieuse et mercantile.

L’art contemporain irrigue l’ensemble du parcours, avec une attention particulière portée à plusieurs générations d’artistes saoudiens aujourd’hui reconnus à l’international. Leurs œuvres, disséminées dans le musée, dialoguent entre elles et avec les collections historiques.
Dès le rez-de-chaussée, l’installation We Are Coral de Manal AlDowayan capte le regard. Des fils suspendus au plafond, chargés de pièces de verre, composent un récif corallien vu par en dessous. La beauté de la lumière et de la transparence entre en tension avec la conscience aiguë de la fragilité de cet écosystème, plaçant le visiteur dans un état esthétique volontairement inconfortable. En écho, les peintures de Shadia Alem présentent une série de sirènes issues d’un livre d’artiste manuscrit en arabe, figures mythiques surgissant d’un imaginaire maritime et enfantin.


Au premier étage, plusieurs salles sont consacrées à La Mecque et au pèlerinage. C’est là que l’on découvre Magnetism d’Ahmed Mater : une œuvre devenue emblématique, où la Kaaba est figurée comme un aimant autour duquel des épingles métalliques se courbent en un mouvement circulaire. Une méditation visuelle puissante sur la dévotion, l’attraction spirituelle et la dynamique collective du rite.

Plus loin, une chambre entière est dédiée à Faisal Samra et à son projet People in Context, qui recouvre murs et écrans de photographies et de vidéos documentant les métiers traditionnels de Jeddah. Parmi eux, un artisan du bois explique la fabrication des moucharabiehs caractéristiques du quartier ancien Al Balad : Ahmed Angawi. Ce n’est qu’à la fin de la visite que l’on découvre qu’Angawi est également artiste.




Au troisième étage, il signe l’encadrement du café : une composition de modules de bois imbriqués qui, à y regarder de près, dessine des vagues et des silhouettes de poissons emportés par le mouvement.

Du récif suspendu de Manal AlDowayan aux vagues de bois d’Angawi, le musée propose ainsi une méditation plurielle sur la mer, portée par des artistes issus d’un pays que l’on associe rarement à l’univers maritime.
Un dialogue international
L’art international n’est pas en reste. Oriental Blue d’Anish Kapoor résonne dans une salle entièrement baignée de bleu au premier étage.

Le Marocain Mohssin Harraki présente une série de gouaches rendant hommage au grand géographe médiéval Al-Idrissi. Le photomontage de l’artiste malgache Maala Andrialavidrazana, d’une puissance visuelle remarquable, a d’ailleurs été choisi par le ministère de la Culture pour illustrer la couverture du catalogue du musée.

Un musée francophile… pour le moment
Un dernier point retiendra particulièrement l’attention des visiteurs francophones. La présence insistante d’artistes, de photographes et d’écrivains de langue française traverse l’ensemble du parcours, du XVIIᵉ siècle à aujourd’hui. À tel point que l’on pourrait imaginer, à partir de ces seules œuvres, un musée parallèle intitulé La Mer Rouge vue par des yeux francophones. Cette prégnance, sans doute appelée à évoluer, témoigne néanmoins de la profondeur historique des échanges culturels autour de la Mer Rouge.




Ne m’accusez pas d’être nationaliste, pour l’amour de Dieu, mais j’ai trouvé émouvant de voir tant d’œuvres et de témoignages venus de France. En toute hypothèse, on peut présumer que cette francophilie inattendue est directement liée aux équipes muséolographiques, et notamment les commissaires. Le jeune médiateur qui me fit visiter le musée ne semblait pas très heureux de ce qu’il voyait comme une hégémonie culturelle.

Si le sentiment de ce jeune homme perdure et s’il est partagé, alors c’est le moment pour vous lecteurs francophones de vous rendre à Jeddah avant que les accrochages ne changent et ne toilettent toute cette collection française au profit de choses plus délibérément saoudiennes.


















