Red Sea Museum, le nouveau musée de Jeddah chante la Mer Rouge

Un musée maritime vient d’ouvrir en Arabie saoudite. Le Red Sea Museum est consacré à l’histoire longue et foisonnante de cette mer qui se termine par le canal de Suez.

Quand vous pensez Arabie Saoudite, dorénavant, il convient d’ajouter la mer à vos images de désert. Et quand vous pensez Mer Rouge, vous pourrez ajouter ce musée à vos souvenirs de lecture d’Henri de Monfreid et de Romain Gary.

Le choix de Jeddah s’impose comme une évidence. Ville portuaire depuis des siècles, porte d’entrée des pèlerins venus de l’ensemble du monde musulman vers La Mecque, Jeddah a toujours été la cité d’Arabie la plus ouverte sur le monde. C’est dans sa vieille ville, Al-Balad, au cœur d’un bâtiment historique du XIXᵉ siècle, la maison Al-Bunt, que le visiteur est invité à explorer ce territoire fascinant. Dès les premières salles, cartes anciennes, objets maritimes, archives, œuvres d’art contemporain et documents scientifiques s’entremêlent pour raconter une histoire sans frontières nettes : celle des routes, des échanges, des paysages sous-marins, des croyances, des pèlerinages, des mythologies et des cauchemars.

Le Red Sea Museum tient à la fois du musée d’art, du musée d’histoire naturelle, de l’institution ethnographique et du centre de géographie historique, sans jamais donner le sentiment d’une accumulation confuse. Cette maîtrise se ressent dans l’organisation spatiale :

  • le rez-de-chaussée s’ouvre comme un vaste hall, évoquant à la fois une gare maritime et un marché au poisson, mais des poissons de luxe, pas des harengs et des sardines. Le rez-de-chaussée est lieu de flux et de rencontres.
  • Le premier étage, à l’inverse, est composé d’une succession de chambres presque domestiques, comme dans un hôtel de province. Un hôtel de voyageurs et de représentants de commerce. Cet étage invite à une déambulation plus intime.
  • Enfin, le troisième étage s’ouvre sur un café sur le toit, que j’interprète comme la cabine d’un bateau : quand on sort sur le pont, on peut voir à bâbord le port et la mer ; à tribord la grande place et la belle mosquée Al-Rahman.
Le sage précaire sur le toit-terrasse du RSM, Jadidah, décembre 2025

L’ensemble se visite sans fatigue car l’équilibre est atteint entre objets naturels, archives, création contemporaine et contenu audio-visuel.

Une équipe au sommet de la muséologie contemporaine

Cette cohérence tient beaucoup à la qualité de l’équipe qui a porté le projet. Le commissariat général a été supervisé par Mona Khazindar, figure majeure de la scène muséale saoudienne, forte de plus de vingt ans d’expérience dans les musées de Paris et du Proche-Orient, aujourd’hui conseillère auprès du ministre saoudien de la Culture. La rénovation du bâtiment a été confiée à François Chatillon, référence incontournable dans le domaine des monuments historiques. Quant à la scénographie, elle est signée par l’agence Nathalie Crinière, garantissant une grande diversité d’ambiances et une attention constante portée à l’expérience sensorielle du visiteur.

Entre science, foi et navigation

L’entrée du musée Dans une nef centrale, une grande table animée retrace les millions d’années de l’histoire géologique de la Mer Rouge. Au fond, une ancre monumentale du XVIIᵉ siècle, récemment remontée des fonds marins, agit comme un point d’ancrage symbolique. Entre ces deux pôles, une vitrine rassemble des objets rares et profondément émouvants : boussoles indiquant la direction de La Mecque, conçues comme de petites boîtes finement décorées ; miniatures colorées où la Kaaba côtoie la mer, les montagnes et les mosquées. Ces objets, à la fois naïfs et sacrés, résument l’essence même de la civilisation de la Mer Rouge : populaire, voyageuse, pieuse et mercantile.

Oriental Blue, d’Anish Kapoor

L’art contemporain irrigue l’ensemble du parcours, avec une attention particulière portée à plusieurs générations d’artistes saoudiens aujourd’hui reconnus à l’international. Leurs œuvres, disséminées dans le musée, dialoguent entre elles et avec les collections historiques.

Dès le rez-de-chaussée, l’installation We Are Coral de Manal AlDowayan capte le regard. Des fils suspendus au plafond, chargés de pièces de verre, composent un récif corallien vu par en dessous. La beauté de la lumière et de la transparence entre en tension avec la conscience aiguë de la fragilité de cet écosystème, plaçant le visiteur dans un état esthétique volontairement inconfortable. En écho, les peintures de Shadia Alem présentent une série de sirènes issues d’un livre d’artiste manuscrit en arabe, figures mythiques surgissant d’un imaginaire maritime et enfantin.

Les sirènes de Shadia Alem
Le livre d’artiste de Shadia Alem

Au premier étage, plusieurs salles sont consacrées à La Mecque et au pèlerinage. C’est là que l’on découvre Magnetism d’Ahmed Mater : une œuvre devenue emblématique, où la Kaaba est figurée comme un aimant autour duquel des épingles métalliques se courbent en un mouvement circulaire. Une méditation visuelle puissante sur la dévotion, l’attraction spirituelle et la dynamique collective du rite.

People in Context, de Faisal Samra

Plus loin, une chambre entière est dédiée à Faisal Samra et à son projet People in Context, qui recouvre murs et écrans de photographies et de vidéos documentant les métiers traditionnels de Jeddah. Parmi eux, un artisan du bois explique la fabrication des moucharabiehs caractéristiques du quartier ancien Al Balad : Ahmed Angawi. Ce n’est qu’à la fin de la visite que l’on découvre qu’Angawi est également artiste.

Au troisième étage, il signe l’encadrement du café : une composition de modules de bois imbriqués qui, à y regarder de près, dessine des vagues et des silhouettes de poissons emportés par le mouvement.

Du récif suspendu de Manal AlDowayan aux vagues de bois d’Angawi, le musée propose ainsi une méditation plurielle sur la mer, portée par des artistes issus d’un pays que l’on associe rarement à l’univers maritime.

Un dialogue international

L’art international n’est pas en reste. Oriental Blue d’Anish Kapoor résonne dans une salle entièrement baignée de bleu au premier étage.

Robert Polidori, Photographies digitales imprimées sur toile, 2019.

Le Marocain Mohssin Harraki présente une série de gouaches rendant hommage au grand géographe médiéval Al-Idrissi. Le photomontage de l’artiste malgache Maala Andrialavidrazana, d’une puissance visuelle remarquable, a d’ailleurs été choisi par le ministère de la Culture pour illustrer la couverture du catalogue du musée.

Un musée francophile… pour le moment

Un dernier point retiendra particulièrement l’attention des visiteurs francophones. La présence insistante d’artistes, de photographes et d’écrivains de langue française traverse l’ensemble du parcours, du XVIIᵉ siècle à aujourd’hui. À tel point que l’on pourrait imaginer, à partir de ces seules œuvres, un musée parallèle intitulé La Mer Rouge vue par des yeux francophones. Cette prégnance, sans doute appelée à évoluer, témoigne néanmoins de la profondeur historique des échanges culturels autour de la Mer Rouge.

Ne m’accusez pas d’être nationaliste, pour l’amour de Dieu, mais j’ai trouvé émouvant de voir tant d’œuvres et de témoignages venus de France. En toute hypothèse, on peut présumer que cette francophilie inattendue est directement liée aux équipes muséolographiques, et notamment les commissaires. Le jeune médiateur qui me fit visiter le musée ne semblait pas très heureux de ce qu’il voyait comme une hégémonie culturelle.

Portraits d’Egypte, de Denis Dailleux

Si le sentiment de ce jeune homme perdure et s’il est partagé, alors c’est le moment pour vous lecteurs francophones de vous rendre à Jeddah avant que les accrochages ne changent et ne toilettent toute cette collection française au profit de choses plus délibérément saoudiennes.

Autochtone de Jeddah, de Paul Castelnau, 1918.

Lettre ouverte aux entreprises culturelles françaises souhaitant se développer dans le monde arabe

Dans un contexte où les industries culturelles françaises cherchent à renforcer leur présence dans les pays du Golfe persique et, plus largement, dans l’ensemble des mondes arabe et musulman, une exigence fondamentale s’impose : la capacité à produire et communiquer directement en langue arabe.

Je trouve incroyable que des entreprises reconnues pour leur excellence, leur créativité et leur expertise internationale puissent encore déclarer ne pas disposer de compétences arabophones en interne. Je peux le comprendre pour nos voisins, mais pour la France, je déclare que c’est une anomalie.

Il est possible qu’une telle lacune fragilise la crédibilité des acteurs français auprès de partenaires des monarchies pétrolières, mais le problème est ailleurs. Je ne veux pas limiter mon propos à la banalité selon laquelle les pays arabes accordent une importance considérable à la maîtrise de leur langue et à la compréhension fine de leurs contextes culturels.

Mon propos est d’abord dirigé vers la culture française elle-même. C’est pourquoi je m’adresse ici à vous, acteurs français de la culture, des arts et des lettres : affirmez-vous comme français avec tout ce que cela implique de luxe, de raffinement, de musées et de philosophie, mais aussi en soulignant l’arabité de la France.

Un rappel nécessaire : la France entretient un lien ancien et profond avec le monde arabo-musulman

L’histoire française est marquée depuis plus de treize siècles par des échanges multiples avec le monde arabo-musulman :

  • contacts politiques et commerciaux dès le haut Moyen Âge ;
  • guerres et batailles dont la légendaire histoire qui raconte que Charles Martel arrêta les Arabes à Poitiers en 732.
  • influences littéraires, notamment dans la tradition des troubadours, largement inspirée de la poésie arabo-andalouse ;
  • transferts architecturaux, visibles jusque dans l’art roman, nourri des savoir-faire développés en Espagne andalouse ;
  • croisés partis en Terre sainte et devenant arabes au sein de leurs « Royaumes francs » en Orient ;
  • importance d’Averroès dans les Lumières françaises comme l’a rappelé Jean-Luc Mélenchon lors d’une audition d’une commission parlementaire sur l’islam en France ;
  • relations contemporaines issues des dynamiques coloniales, migratoires et culturelles.

Lire aussi : Les rapports anciens de la France avec l’Islam. Comment les identitaires prennent nos ancêtres pour des cons

La Précarité du sage, 2021

Ces liens ont façonné durablement la culture française. Ils rappellent que la France est certes un pays laïque, qu’il est surtout un pays d’athées, et qu’il fut un grand pays catholique puis protestant, mais qu’elle est aussi un territoire marqué par des apports arabo-musulmans pluriels et anciens. Cette réalité constitue une richesse culturelle et diplomatique majeure que vous devriez mettre en avant dans vos démarchages et vos négociations.

Valoriser les compétences françaises pour renforcer la présence à l’international

Dans cette perspective, il est essentiel que les entreprises culturelles françaises mobilisent les ressources arabophones présentes sur le territoire national. Qu’ils soient d’origine arabe ou non n’importe pas puisqu’ils sont Français.

La France dispose d’un vivier de professionnels hautement qualifiés, maîtrisant l’arabe classique, l’arabe culturel, ainsi que l’anglais et le français à un niveau d’excellence. Ils sont capables de produire des contenus exigeants, adaptés aux standards internationaux, et sensibles aux nuances culturelles indispensables à tout projet dans le monde arabe.

Ne venez plus en Arabie Saoudite sans avoir du personnel français arabisant.

Recourir systématiquement à des compétences externes ou étrangères, alors que ces profils existent en France, revient à négliger un atout stratégique majeur et à donner une image affaiblie d’une filière française pourtant riche de sa diversité culturelle.

Un enjeu de crédibilité et de respect mutuel

Pour s’implanter durablement dans les pays du Golfe persique (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Qatar, Oman, Koweït) les entreprises françaises doivent démontrer qu’elles peuvent produire en arabe.

Produire en arabe ne peut pas être un simple service additionnel.

Assumer et mettre en valeur la pluralité culturelle française est également un levier diplomatique puissant, en cohérence avec l’histoire millénaire de la France.

Investir dans les compétences arabophones françaises

Pour accompagner ce mouvement, la Sagesse Précaire peut activer ses réseaux afin de mettre en relation les entreprises avec des Français arabophones formés, expérimentés et capables de répondre aux exigences des partenariats internationaux. Appelez le Sage précaire si vous rencontrez des difficultés pour trouver les perles rares qui vous feront briller : mon carnet d’adresses est plein de profils français arabes excellents.

Ma lettre touche à sa fin. Il me reste un argument pour vous convaincre d’assumer votre dimension orientale : vous vous enrichirez ! La réussite des entreprises culturelles françaises dans le monde arabe repose sur une stratégie claire qui tourne le dos aux discours identitaires et embrasse enfin la France dans son histoire arabo-musulmane.

L’histoire mythique qui fonde l’Arabie saoudite

Le roi Abdulaziz, par un artiste brut, nom et date inconnus.

Quel événement incarnerait le mieux la fête nationale en Arabie saoudite ?

Après une recherche minutieuse, je suis arrivé à un consensus avec mes équipes. Ce serait un événement qui a eu lieu en 1902, quand le royaume n’existait pas encore, et que les puissances coloniales étaient encore chez elles en Arabie : Ottomans et Britanniques cherchaient à contrôler la péninsule. En 1902 s’est déroulé un événement majeur et marquant pour tout Arabe, donc déterminant pour tout Saoudien.

Le jeune Abdulaziz n’était pas encore roi et il était en exil au Koweit avec son père et tout son clan. Personne ne misait sur lui et ne lui voyait un rôle quelconque dans le concert des nations. Or, en 1902, il est allé saisir la ville de Riyad, ville perdue dans le désert, ville pauvre et modeste dont il a fait la capitale d’une nation richissime.

Abdulaziz est parti du Koweït avec une poignée d’hommes pour aller reprendre Riyad, qui n’était que la capitale d’une petite province dont les Al Saoud était la famille régnante depuis des siècles. C’est pourquoi je dis qu’Abdulaziz Al Saoud est allé la « reprendre » puisque c’est la ville d’où vient sa famille.
Or pourquoi cette conquête (ou cette reconquête) de Riyad pourrait incarner la fête nationale de tous les Saoudiens ? Parce que les historiens racontent que quand il est devenu roi, Abdulaziz ne cessait de raconter cette épopée, comme une sorte de mythe, de légende personnelle, et avec raison, car cet exploit militaire a été réalisé quand il était pauvre et au bord du néant.

Plutôt que d’aller directement en ligne droite sur Riyad, comme il y avait des espions, Abdulaziz a décidé d’aller dans le sens inverse, direction sud dans le désert. Le fameux désert Rub al Khali. Le fabuleux territoire mortel que l’écrivain anglais, Wilfred Thesiger, appelle Le désert des déserts (ou en anglais le « territoire du vide ».

Et justement, Abdulaziz y est allé, dans ce désert de la mort, et il s’y est fait oublier.

Avec ses hommes il est allé vivre une vie de pauvreté, une vie au bord de la mort, une vie de survie et de patience. Une vie de Bédouin et une vie de prophète. C’est là qu’il a bâti sa légende et son charisme d’homme d’État respecté de tous les Arabes.
Il a passé même un mois de ramadan avec ses hommes dans le désert. Donc quand il fallait rompre le jeûne le soir, il n’avait presque rien que quelques dattes séchées, un peu de farine et un peu d’eau qu’ils mélangeaient pour en faire des galettes cuites sur les braises du feu. Ils buvaient le lait des chamelles et ils priaient.

Une véritable vie de prophète.

C’est là qu’Abdulaziz a su montrer à ses hommes qu’il avait une très grande volonté d’âme, il a su les remotiver chaque soir avec des histoires avec des discours avec des poèmes avec des discussions sur la religion et des promesses sur l’avenir.

Ce séjour dans le désert fut un grand moment de communion entre des hommes qui n’ont pas craqué. C’est un grand moment où l’Arabie Saoudite était en germes, non pas simplement chez cet homme, qui en est devenu le roi et le fondateur, mais dans une communauté réduite à l’état d’une famille, d’un mini clan, de presque rien. On retrouve dans cette narration historique tout ce qui fait une légende arabe avec la dimension bédouine qui est toujours essentielle à l’identité arabe.
Quelque chose que l’on retrouve dans la légende dorée par exemple du prophète Jésus, qui part 40 jours dans le désert. Ou du prophète Mahomet qui reçoit la visite de l’archange Gabriel après avoir longtemps médité dans les montagnes autour de La Mecque.
Grace à sa connaissance de la vie bédouine, Abdulaziz réussit à faire survivre ses hommes, à les faire traverser des épreuves extrêmement dures de chaleur, de soif et de faim, de solitude. Il arrivait à provoquer chez eux l’enthousiasme et la fidélité, ce qui est très difficile compte tenu du fait qu’il n’avait rien pour s’assurer de la loyauté de ses compagnons, rien d’autre que sa personnalité, son charisme personnel et son appartenance à la famille régnante des Saoud.

Et c’est après cette longue période de disette et d’ascèse qu’il est allé, en pleine nuit, reprendre le fort de Masmak, au sud de Riyad, ce fort qui est aujourd’hui un musée d’histoire.
Il n’a fallu que quelques hommes pour emprisonner le gouverneur de la ville, tuer quelques soldats, et retourner toute un ville et une province.

Élégance, économie de moyen, courage, voisinage de la mort et de Dieu, nuit, poésie et désert. Toute l’Arabie est dans ce récit mythique et c’est pourquoi on devrait en faire la date de célébration de la fête nationale.

Le Sage précaire en mission archéologique

Depuis que je fais des missions pour le monde de la culture en Arabie Saoudite, j’ai visité plusieurs sites archéologiques. Trois d’entre eux figurent depuis quelques années sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Sur le papier, je pensais visiter des lieux bien connus, déjà étudiés, qui s’ouvrent peu à peu au public. En réalité, ce que j’ai vu m’a surpris à deux niveaux : c’est à la fois exceptionnel et, pour beaucoup d’éléments, d’une rareté presque totale.

Lion, site de Shuwaimis

Je travaille en ce moment sur un texte para-journalistique et je cherche des illustrations dans l’art rupestre saoudien. Ce qui me frappe, et qui me met face à une petite perplexité professionnelle, c’est l’absence presque totale de reproductions de haute qualité et l’absence d’analyses scientifiques accessibles sur certaines des figures que j’ai photographiées.

Cavaliers combattants et chasseurs, Bir Hima

À Bir Hima, dans la région de Najran, j’ai vu des gravures et des dessins en tout point remarquables : des silhouettes humaines, des scènes de danse, de guerre et de chasse, des motifs dont la facture m’a paru originale et puissamment évocatrice.

Œuvre rupestre la plus extraordinaire qui m’ait été donnée de voir. Bir Hima. Chef d’œuvre qui impose le silence au sage précaire.

Mais quand je me tourne vers les sources scientifiques, je ne trouve pas l’aide dont j’ai besoin pour en parler. Bibliothèques en Allemagne et en Arabie, revues archéologiques européennes et Saoudiennes (notamment les numéros d’ATLAL qui rendent compte des missions franco-saoudiennes dans la province de Najran menées entre 2007 et 2012), catalogues d’expositions (Roads of Arabia, 2020) me laissent dans le silence de mon ignorance. Je ne trouve ni images en haute résolution ni études détaillées centrées sur mes panneaux préférés.

Figure humaine masquée, divine, épigraphique ? Probablement un peu tout cela à la fois. Site de Bir Hima

Je me suis posé plusieurs hypothèses. Peut-être que des restrictions empêchent la diffusion d’images, peut-être que certaines recherches existent mais ne sont pas publiées ou restent cloisonnées. Puis, plus simplement, j’ai fini par accepter l’idée que beaucoup de ces œuvres n’ont tout simplement pas encore été étudiées en profondeur. Il n’est pas impossible que je sois l’un des rares êtres humains à avoir vu, et photographié, certaines figures humaines du Néolithique sur ces parois.

Je me croyais visiteur, je me retrouve témoin d’un patrimoine inconnu.

Rencontre entre le Sage précaire et des figures masquées, mi-humaines mi-animales, d’il y a 7 000 ans. Décembre 2024.

Je ne cherche pas la mise en lumière pour elle-même. Mon objectif est pragmatique : terminer mon texte avec des images et des informations fiables, rendre compte de ce que j’ai vu sans l’embellir inutilement. Cela exige du temps de recherche, de la vérification rigoureuse et parfois des démarches pour retrouver des archives ou des chercheurs qui ont travaillé sur le terrain. C’est aussi un rappel de ce que signifient aujourd’hui les missions de terrain : on peut croire qu’on visite des lieux « connus » et découvrir qu’ils restent, sur bien des points, mystérieux.

Couple de musiciens pastoraux du Néolithique, visées par des tirs de carabines bédouines

Si ce billet a une portée narcissique, c’est celle-ci : la pratique du terrain et l’arpentage des terres arabes ont fait de moi un voyageur digne de la chasse au trésor. À force de petites visites, je me rends compte que je fais un travail d’exploration. Ce constat est davantage qu’une marque de prétention, c’est une prise de conscience qui change la manière dont je regarde mes photos, mes notes et les lieux eux-mêmes.

Je poursuis donc ma recherche documentaire et photographique pour alimenter le texte. Mon ambition est de rester fidèle à ce que j’ai vu, d’éviter les phrases toutes faites et les effets littéraires qui n’apportent rien, et d’offrir au lecteur une description claire, audacieuse mais plausible : ce qui est là est précieux, souvent silencieux et parfois encore en attente d’un regard scientifique attentif.

Je me croyais en promenade, j’étais en mission scientifique.

Je me croyais simple touriste, appareil photo en bandoulière, curieux de ce que l’UNESCO avait déjà validé comme patrimoine mondial. En fait, sans le savoir, je me suis retrouvé explorateur. À la manière de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose « sans qu’il en sût rien », le Sage précaire se découvre en chercheur de trésors discrets. À son insu.

Carnet de route à Haïl. Ses sites trop extraordinaires pour le sage précaire

Ce billet me coûte beaucoup. J’ai un peu honte de l’écrire, et par conséquent, j’ai du mal à l’écrire. Mon problème est le suivant : il est des choses trop belles pour moi, trop extraordinaires pour la sagesse précaire.

À Haïl, j’ai eu la chance de visiter le Musée Régional, qui n’est pas encore ouvert au public. C’est la grande institution culturelle de la région, et elle sera consacrée principalement à l’archéologie. Le musée présentera l’art rupestre, les gravures et inscriptions des peuples qui habitaient la région depuis le Néolithique. Cela m’a immédiatement rappelé mes explorations de l’année dernière à Bir Hima (Najran), un site classé à l’UNESCO. Le personnel m’a d’ailleurs confirmé que ce musée évoquera aussi Bir Hima, et plus largement l’archéologie de toute l’Arabie, avec probablement des liens internationaux. À voir l’ampleur du projet, je suis convaincu que ce sera un lieu important à visiter pour mes amis archéologues.

J’ai appris que la région de Haïl compte aussi des sites archéologiques classés à l’UNESCO. On m’a proposé de visiter Jubbah dès le lendemain, mais pas Shuwaymis, trop éloigné pour eux, nécessitant un 4×4 et une journée entière de route. C’est finalement Mohamed, un membre du musée, qui m’y a conduit.

Le sage précaire en explorateur prétentieux, scrutant la plaine, sur des roches volcaniques, août 2025

À Jubbah, j’ai connu une petite déception. Mon point de comparaison restait Bir Hima, et ici, l’expérience était moins forte. La visite commence par un centre d’accueil où un guide récite son texte appris par cœur et où l’on nous fait voir un film, alors que l’on voudrait simplement accéder au site. Tout s’explique ensuite : sur place, il y a finalement peu à voir. On a installé des escaliers métalliques et des passerelles pour donner accès à la gravure principale, impressionnante certes, mais d’à peine un mètre sur deux. En dehors de cela, quelques chameaux et scènes de chasse, mais rien de plus.

Le lendemain à Shuwaymis, ce fut encore plus long et plus frustrant : plus de sept heures de route aller-retour pour un site au contenu limité. Entendez-moi, c’est probablement un site merveilleux pour ceux qui s’y connaissent. Par exemple il y a ce lion gravé dans la roche, unique en Arabie, vieux de plus de 7 000 ans, et c’est exceptionnel. À n’en point douter.

Mais, comment vous dire, visiter ce site archéologique présente quand même quelque chose de décevant, et cela m’embête beaucoup de l’écrire. Pour donner un élément de comparaison, cela est un peu analogue à un voyageur peu connaisseur en peinture qui ferait des heures de route en Belgique pour atteindre un village sans charme particulier, dont la seule attraction serait pour une petite fresque authentique d’un Primitif flamand. Pour un passionné qui a tout son temps, cela vaut le détour. Pour un visiteur non spécialiste, c’est beaucoup demander.

Cela dit, je ne considère jamais ces journées comme perdues. Le voyage et la découverte font partie du plaisir, même quand l’intérêt scientifique dépasse l’intérêt visuel immédiat. Simplement je ne recommanderais pas forcément ces excursions à tous mes lecteurs.

À ce titre, le projet de regrouper ces témoignages dans un musée prend tout son sens : cela permet de donner une vision d’ensemble sans imposer ces longs trajets.

Un moment inattendu m’a cependant enchanté : après Jubbah, Mohamed m’a emmené dans un village oasis voisin, où un homme avait transformé une vieille maison en musée privé. La bâtisse en terre avait beaucoup de charme, et l’intérieur ressemblait à une caverne d’Ali Baba. Sur les murs, des tapis Sadu. Dans les vitrines, des pièces d’argent anciennes, des armes, des pointes de flèches, et, de toute évidence, des objets archéologiques récupérés sans autorisation sur les sites.

J’adore ces musées privés qui couvrent l’Arabie, beaucoup plus nombreux en Arabie Saoudite qu’en Oman d’ailleurs. Ces petites structures sont souvent pleines de passion et d’émotion.

Rien n’était vraiment mis en valeur ni présenté scientifiquement, mais l’ensemble avait une force et une atmosphère qui m’ont davantage marqué que les sites archéologique classés au patrimoine mondial de l’humanité.

Dans les montagnes d’Arabie. J’ai fixé des vertiges

Toujours dans le village de Rijal, province d’Assir, j’ai exploré les maisons abandonnées dans l’espoir de trouver des décorations murales connues pour être l’œuvre des femmes. Œuvres à la fois géométriques et vertigineuses.

Lire sur ce sujet: Qatt Al-Aseeri, l’art caché des femmes saoudiennes

La Précarité du sage, 2025

Dans mes explorations je rencontre des Saoudiens qui me parlent. Je suis trop peu liant, selon ma femme, mais elle ne comprend pas que j’ai des antennes : je distingue les gens qui posent toujours les mêmes questions de ceux qui sont susceptibles de nouer une relations intéressante.

Celui-ci est de la seconde catégorie. Je me suis donc laissé aller à la conversation de surface.

Il s’appelle Abdullah et offre de m’aider à trouver les décorations murales de mes rêves.

Il m’annonce qu’il est le petit-fils de Fatima Abou Gahas, rien de moins.

La maison où elle habitait a été transformée en petit musee.

Les petits musées familiaux sont très nombreux en Arabie Saoudite, et ils sont toujours touchants et répétitifs. Celui-ci est singulier de fait des peintures d’une grande artiste du Qatt Al-Assiri.

Abdullah ne le sait pas encore, et moi non plus, mais il va me révéler bien plus de secrets de la région qu’il ne l’imagine.

Dans les montagnes d’Arabie. Al Namas: un facteur Cheval entrepreneur

Je me réveille à Al Namas d’humeur plus légère qu’hier. L’air s’y fait plus respirable, sans doute parce que mon corps s’est acclimaté aux 2000 mètres d’altitude. La fraîcheur est délicieuse. En chemise, je me promène sans gêne ; le soleil tape, certes, nous sommes en juillet, mais dès qu’on trouve un peu d’ombre, l’air devient d’un agrément rare.

Je pars à la recherche d’un café sans succès. Pas à l’hôtel, pas davantage dans les rues. On trouve en revanche le café arabe : une infusion légère, ocre plutôt que noire, servie dans de petites tasses, accompagnée de dattes. Et surtout, je trouve facilement de quoi petit-déjeuner à la manière saoudienne ou indienne : plats de fèves, de lentilles, de pois chiches, de fromage. C’est simple, nourrissant, et très bon.

Je décide de visiter un palais dont j’ai entendu parler. Il n’y a ni transport collectif ni voiture de location. Plutôt que de passer par une plateforme de taxis, je tente le stop. C’est une manière comme une autre de tester mon autonomie, et aussi de ne pas me sentir piégé dans un lieu faute de moyens de sortie.

Une voiture s’arrête au bout de cinq minutes. Le conducteur ne parle pas anglais. Je me débrouille en arabe approximatif, sans savoir très bien où je vais. Nous trouvons finalement le lieu grâce à Internet. Il ne le connaît pas, ce qui m’étonne. Mais il accepte de m’y conduire, refuse d’être payé, puis propose de revenir me chercher deux heures plus tard pour poursuivre la route ensemble. Cette fois, je paierai.

Le palais s’appelle Al Meqr, mais je note sur la porte d’entrée un nom anglais qui donne peu envie et qui, surtout, prête à confusion : Al Meger Touristic Village. En arabe, le mot « touriste » n’est pas mal vu ni péjoratif. En tout cas, ce n’est pas un village vacances, mais un ensemble architectural qui se visite parce que bizarre.

On croirait une œuvre d’art brut, un peu comme le Palais idéal du facteur Cheval dans la Drôme. Une explosion de couleurs, une profusion de motifs. Je ne sais pas s’il l’a construit de ses propres mains ; probablement pas. Mais tout laisse penser à un projet personnel, dirigé, assumé.

Peut-être a-t-il fait appel à des ouvriers venus du sous-continent indien, peut-être des Égyptiens aussi — certains motifs évoquent leur drapeau. Le plus fascinant est cette réinterprétation libre et généreuse de l’art mural traditionnel de la région d’Assir. Les formes sont nouvelles, les couleurs s’échappent des conventions. C’est vivant, inventif, et proprement enchanteur.

Autour du palais, un petit ensemble de maisons en contrebas s’accroche à la falaise. Elles forment un hameau tourné vers les vallées profondes. Nous sommes bien dans les hautes terres du Sarawat, où l’œil se perd dans l’espace.

Dans les Montagnes d’Arabie. D’Al Baha à Dhee Ayin

Le sage précaire fatigué dans un cadre islamique. N’ayant pas pris de photo d’Al-Baha, j’ai pensé que ce portrait pourrait illustrer avantageusement un récit de voyage en montagne arabique

Al-Baha, capitale de la province du même nom, je l’ai visitée dès l’aube. L’altitude coupait ma respiration, ce qui me réveillait et entrecoupait mon sommeil. Je me suis donc baladé à la recherche d’un café ouvert. C’est un endroit sympathique, mais ce n’est pas vraiment une ville. Je n’ai pas identifié de centre-ville. Je regarderai plus précisément l’histoire de cette cité, qui semble être plutôt un centre agricole, avec énormément de champs en terrasses dans les collines qui l’entourent. Cela a plutôt l’air d’être un grand centre d’échanges, de marchés et de commerce pour les produits agricoles.

Les parcs y sont très importants, apparemment. Beaucoup d’investissements ont été faits dans ces espaces, qui sont agréables, mais qui manque d’eau. Le musée régional est fermé, mais il promet d’être magnifique, car l’architecture est très impressionnante. Elle ressemble à un cylindre incliné. Ce qu’on peut en voir de l’extérieur est assez grandiose. Les grandes baies vitrées permettront aux visiteurs de faire communiquer l’exposition avec les montagnes environnantes, car le musée est situé en haut d’un piton rocheux. Tout autour, comme je l’ai déjà dit, on trouve des fermes avec des champs en terrasses.

J’ai trouvé, à force de discussions, le nom et le numéro de téléphone d’un homme qui accepte de me conduire et de me faire découvrir la région autour de la ville. En particulier, je désirais ardemment visiter le village de Dhee Ayn. Je ne savais pas exactement où c’était, mais les photos que j’avais vues m’intéressaient beaucoup. C’est un village en pierre sèche qui semble assez extraordinaire. Et lui, Saïd, me conduit. Le prix est assez modeste.

Chose à savoir pour ceux qui voudraient visiter l’Arabie saoudite : cela ne coûte pas très cher d’avoir un accompagnateur connaisseur, qui parle anglais, un Saoudien de la région, très sympathique et très serviable. Pour cent ou deux cents euros, on peut s’assurer une journée entière de découvertes dans des endroits non desservis par les transports en commun et peu connus du grand publics. Il me conduit vers ce village, qui se trouve en fait au fond de la vallée. Il y a une route toute neuve, creusée dans les années 1980, avec de nombreux tunnels. Il faut au moins une demi-heure pour que la voiture la parcoure en entier.

Quand on arrive en bas, on a une sensation très étrange : un village de pierre sombre sur un massif rocheux blanc.

Dhee Ayin, province d’Al-Baha

Il y a quelque chose de très fort, de très grand. Le village a été entièrement rénové, mais de façon respectueuse. On ne voit pas de traces de ciment ou de mortier. Il n’y a guère que la mosquée à laquelle on a ajouté un minaret. Mais à part cela, c’est très sobrement réalisé.

La chaleur est absolument suffocante, car on descend de plusieurs centaines de mètres d’altitude. Mais surtout, après cette visite d’une architecture dont je ne sais pas s’il faut la qualifier de vernaculaire, Saïd me fait découvrir que la visite ne s’arrête pas là. Il faut encore descendre sur le côté pour rejoindre la source d’eau. Car le nom du village, Dhee Ayn – “Ayn” en arabe signifie “la source” – évoque justement cela.

Effectivement, il y a un contraste frappant entre la sécheresse, la minéralité du village, et la verdure en contrebas : cultures de café, d’arbres fruitiers et de fleurs, là où les habitants se lavaient et s’approvisionnaient en eau potable. Le paysage de cette eau qui coule dans un falaj, avec des sycomores gigantesques, des manguiers et d’autres arbres fruitiers, est véritablement paradisiaque. Il semblerait qu’il soit autorisé d’y camper, si l’on demande la permission.

Ce village a quelque chose de vraiment majestueux. Cet ensemble dégage une grande noblesse. Je mets en doute l’idée selon laquelle il aurait été occupé par de simples paysans. Je pense qu’il s’agissait d’un clan d’une grande importance. Il y a, je ne sais combien de centaines d’années.

Mon ami Saïd me dit : “Tu as sans doute vu sur Internet que Dhee Ayn a été construit il y a 400 ans. C’est faux.” Selon lui, la réalité est bien plus ancienne. Il m’en donne pour preuve des inscriptions en pierre, rédigées dans une langue antérieure à l’arabe. Ce serait donc un village datant de l’ère préislamique. Mais je n’ai pas d’opinion sur la question. Je ne suis convaincu par aucune théorie jusqu’à présent.

Ce dont je suis certain, c’est que cela devait être un lieu habité par une famille puissante, un clan influent, ou peut-être même une famille royale, qui venait ici pour profiter de la source. Il se dégage des lieux une grande noblesse. Dhee Ayin a des airs de château fort médiéval.

À bas le voile, « bien sûr », et vive la peinture

Toujours à Berlin, j’ai vu entrer le ministre de l’intérieur dans une salle du musée, qui affirmait avec force qu’une femme européenne ne pouvait pas se mettre un voile sur les cheveux.

Il était en grande conférence avec un journaliste payé par un milliardaire. Les deux hommes tombaient d’accord sur l’ignominie que représentait le fait de se voiler la tête.

Il y avait d’autres hommes avec eux mais je ne les reconnaissais pas. Certains disaient que se voiler la tête était un habitude venue d’Orient et même « d’une certaine religion », mais je ne sais pas à laquelle ils faisaient référence.

Toujours dans le musée de la peinture classique à Berlin, la Gemäldegalerie, je voyais mon ministre s’agiter avec gourmandise car son auditoire l’encourageait. « La tradition, en France et en Europe, c’est d’aller se baigner dans la mer en maillot de bain. »

La peinture, disait-il, devait refléter la laïcité, et les valeurs de l’Europe chrétienne. Cela me paraissait contradictoire comme parole, mais je préférais ne rien dire, pour éviter qu’on m’accuse de soutenir les Mollah d’Iran.

Je ne sais pas pourquoi tous ces touristes français, personnels politique et journalistique confondus, étaient à ce point obsédés par le voile sur les cheveux des femmes.

La peinture et l’art, disait le ministre, c’est le lieu de l’émancipation des femmes, pas de sa soumission à Dieu.

Porter un voile, reprenait le journaliste vedette, empêche de s’instruire et nous gêne dans notre identité, car c’était une manière pour les étrangers de nous envahir et de coloniser nos cerveaux.

Les étrangers imposent leur culture en forçant les femmes à mettre ce « tchador » sur la tête et le voile à lui seul est le signe que nous sommes en train de nous faire remplacer.

Rythme d’accrochage

Vermeer et ses contemporains

Ils ont accroché intelligemment ce tableau de Vermeer, La dame au collier de perle. Regardez les quatre tableaux accrochés sur la même cimaise : trois tailles différentes mais qui répondent à un rythme binaire et croisé. Simple et efficace. Le Vermeer n’est pas eu centre d’un module impair, ce qui aurait trop souligné son importance et sa supériorité manifeste.

Regardons à nouveau les quatre tableaux : même espace, fenêtre sur la gauche d’où vient la lumière. Un personnage féminin tournée de trois quarts vers la fenêtre. Une œuvre de Vermeer, et trois œuvres de peintres dont j’ai oublié le nom. Le quatrième présente la chambre seule, la femme est partie. On comprend qu’elle était là et on devine où elle est allée grâce aux trois tableaux qui la précèdent : ces femmes renvoient aux vanités, c’est-à-dire aux courtisanes qui ôtent leurs bijoux. Le message est toujours ambivalent dans l’histoire de l’art : une femme se défait de ses parures pour rejoindre un amant ou pour se consacrer à Dieu et tourner le dos au luxe.

Je n’avais jamais vu les tableaux des grands Hollandais sous cet angle, mais je suis instantanément convaincu.

Voir un tableau de Vermeer pour de vrai, c’est toujours un événement dans une journée. Je ne m’y attendais pas et cela m’est tombé dessus comme une nouvelle incroyable qu’on m’aurait annoncée.

Visiter un musée est analogue à l’exploration d’une ville ou d’un territoire. Cela consiste à mettre au point des techniques d’approche où les focales varient : parfois on ne fait que passer, parfois on fait une pause et on se concentre sur un détail, puis on décale le regard pour noter une perspective, ou encore un jeu d’encadrements enchevêtrés.