Le Musée Cévenol, Le Vigan

À tout seigneur tout honneur. Le plus célèbre des tableaux du Louvre à été exposé sur la façade du Musée Cévenol, la référence muséographique du Vigan et du pays viganais.

Ce musée vaut le détour, pour tous ceux qui songeraient à passer quelques jours de vacances dans les Cévennes. On y découvre les arts et les techniques développés par les Cévenols pour vivre et apprécier la vie sur une terre hostile.

Ouvert en 1963, sous le patronage d’André Chamson, de Claude Lévi-Strauss et de Pierre-Henri Rivière, c’est un des premiers musées ethnologiques de province. La notion d’ écomusée n’existait pas encore je crois mais c’est une des tentatives remarquables qui ont été proposées pour faire circuler les savoirs et les mémoires sur un territoire circonscrit.

Alors quand le projet des expositions de toiles du Louvre a été pensé pour rendre hommage au travail d’André Chamson, on n’a pas beaucoup hésité pour savoir où mettre la Joconde.

Roux le Bandit d’André Chamson, un roman pour notre temps

Manuscrit de Roux le Bandit. Incipit du roman.

Publié en 1925, Roux le Bandit raconte l’histoire d’un déserteur. Le jeune Roux décide de disparaître dans les montagnes des Cévennes lorsque la France mobilise sa population pour aller se battre contre l’Allemagne dans ce qui va devenir la première guerre mondiale.

On comprend immédiatement combien cette histoire m’a charmé dès que mon ami Peter me l’a racontée. J’ai lu ce roman en 2012, lorsque je vivais moi-même dans une cabane cachée dans les montagnes cévenoles. Il était impossible de ne pas identifier le sage précaire quadragénaire et le héros trentenaire de 1914. Un siècle me séparait de Roux, et bien qu’il dût vivre une épreuve difficile et dangereuse, je me sentais proche de lui.

Au tout début, les Français partaient à la guerre la fleur au fusil et pensaient être de retour dans leur ferme quelques mois plus tard. C’est pourquoi les fermiers du roman racontent l’histoire en insistant sur le mépris qu’ils ressentaient vis-à-vis de Roux, quand ils s’aperçurent que le jeune paysan manquait à l’appel, qu’il s’était évaporé dans la nature.

Pendant le premier tiers du roman, peut-être la moitié, les Cévenols traitent Roux de lâche et le méprisent pour avoir cédé à la peur. Alors que les jeunes de la région se faisaient tuer ou blesser sur le champ de bataille, les vieux du village lui reprochaient de mener la vie de bohème et de tirer au flanc.

Mais la guerre s’éternisa et les Français se sentirent floués, trahis par leurs élites encore une fois. Déserter, finalement, n’était plus considéré comme une option aussi monstrueuse. C’est l’Etat qui est monstrueux et, dans des circonstances extrêmes, la désobéissance civile peut être la seule alternative à la barbarie. C’est ce que raconte le roman d’André Chamson à l’époque où l’auteur est pacifiste. Plus la guerre dure dans le temps, plus les paysans acceptent la fuite de Roux. Ils finissent par avoir des contacts avec le fugitif et, petit à petit, on comprend ses motivations : c’est un objecteur de conscience qui fuit la guerre par fidélité pour sa religion. Aujourd’hui, si le même héros était musulman et non protestant, on dirait de lui qu’il est « radicalisé » car il place sa foi au-dessus des lois de la république.

Homme des bois cévenol, déserteur de 14-18. Source inconnue.

Roux a vraiment existé, mais dans une région située plus au nord, en Lozère. Grosse différence entre le vrai Roux déserteur et le personnage de fiction : Alfred Roux ne parlait pas de religion, il se défendait avec des armes et n’attira jamais la sympathie des Cévenols car il était un sauvage incommode.

Le célèbre historien des Cévennes, Patrick Cabanel, qui m’a déçu lors de sa conférence à la médiathèque du Vigan mais dont j’apprécie les écrits, affirme qu’il existe un exemplaire de l’édition originale signée par André Chamson et par Alfred Roux lui-même, ce qui accréditerait l’idée selon laquelle l’écrivain et l’ancien déserteur se seraient rencontrés.

Je vous invite à lire l’article de Cabanel sur Roux le Bandit, il est un peu foutraque mais dans le bon sens du terme : bien écrit, c’est de la recherche historique de qualité, créative et réflexive, avec des sources faciles mais pertinentes, et quelques documents qui paraissent légèrement apocryphes, tout ce qu’on aime dans les bureaux de la Précarité du sage. Voir, en ligne ou sur papier, Patrick Cabanel, « André Chamson : Roux le Bandit, la guerre et la paix », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (1903-2015), Vol. 160, LES PROTESTANTS FRANÇAIS ET LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE (Janvier-Février-Mars 2014), pp. 507-521, ici p. 510.

Connaissant cet historien, plus proche intellectuellement du Sage précaire que d’un scientifique incorruptible, je ne peux exclure qu’il ait purement et simplement inventé ce livre dédicacé, que personne n’a vu à part lui. Les historiens ont parfois aussi de ces envies de légendes et de mythes, comme le sage précaire les fait naître à sa façon.

Roux le Bandit doit donc prendre sa place dans la jeunesse des années 2020, après avoir plus à celle des années 1920. À l’heure des réformes iniques sur l’âge de la retraite, ce roman nous invite à réfléchir sur l’idée de retraite, de mises en retrait. Au temps venu des expérimentations de vie autonome et alternative, ce récit nous montre une vie d’insoumis pacifique et auto-suffisante. Le personnage de Chamson se débrouille tout seul, sans l’aide de la société, mais continue d’entretenir des relations d’entraide avec des vieux et des vieilles, il n’hésite pas à offrir son aide clandestinement à ceux qui le voient sur la draille ou dans les forêts. De ce point de vue, il me fait penser aux jeunes Arc-en-ciel qui vivaient en marge des villages et qui organisaient un système de solidarité inouï. C’est donc le roman des néo-ruraux qui cherchent quelque chose comme une résistance durable aux dérives du capitalisme.

Jeunes gens qui prônez la désobéissance civile, plutôt que de brandir des auteurs américains, lisez dans vos yourtes et exposez dans vos manifs de beaux exemplaires de Roux le Bandit, le roman des réfractaires non violents.

Parler de massacres dans l’herbe tendre

J’ai cette fois loué une voiture et suis allé chercher Peter dans sa maison secondaire, sise sur les hauteurs d’Arrigas, à une vingtaine de kilomètres du Vigan, dans la direction du causse.

Peter est un jeune retraité de l’université. Anglais de naissance, il a enseigné la littérature française toute sa vie dans des universités britanniques. Spécialiste de l’entre-deux-guerres, il a consacré un livre de deux tomes à André Chamson, bien après avoir acheté cette maison dans les Cévennes. Je l’ai rencontré à Belfast, il enseignait précisément dans l’université où je faisais ma thèse. Nous ne manquions pas une occasion de parler un peu de cette région de France à laquelle nous nous sentions liés d’une manière ou d’une autre.

Mais c’est la lecture de Chamson, dans les années 1960, qui lui a fait connaître les Cévennes, où il n’a mis les pieds que vingt ans plus tard. Lui plaisent les paysage, mais aussi la rudesse, l’esprit de résistance aux pensées dominantes, et l’anticonformisme. C’est donc tout naturellement que j’ai voulu enregistrer un entretien avec Peter, dans le cadre de mes documentaires radiophoniques sur les Cévennes.

Vous ai-je dit que la sagesse précaire était aussi une maison de production radiophonique ?

Stèle commémorant les Camisards

Quel meilleur endroit, pour réaliser cet entretien, que la tombe d’André Chamson ? Sur la route sinueuse qui nous y mène, nous tombons sur un monument en mémoire des camisards, ces combattants protestants qui luttèrent contre les dragons de Louis XIV.

Chose remarquable, cette plaque a été érigée en 1942. En pleine occupation allemande. Peter tend à penser que c’est là l’oeuvre des collaborateurs au pouvoir, soucieux d’attirer les suffrages de la population locale. Moi, je pencherais plutôt pour une sorte d’acte cryptique de résistance. Ceux qui allaient former le maquis Aigoual-Cévennes auraient posé là une stèle apparemment apolitique, mais qui appelait à l’insoumission.

Plaque de 1942 commémorant les rebelles de 1742

Nous continuons la route et arrivons près du col de la Lusette. Deux familles pique-niquent à l’ombre d’un pin, à côté de la tombe de Chamson. Je les interviewe eux aussi, car le sage précaire ne recule devant rien. Ils avouent n’avoir rien à dire sur l’écrivain, mais le connaître de réputation. Ils viennent là surtout parce que ce petit coin de paradis est ignoré de tous, à part de quelques randonneurs qui ne font que passer.

Peter et moi nous asseyons dans l’herbe épaisse, à l’ombre d’un autre pin. De sa belle voix, douce et grave, il raconte les relations que Malraux entretenait avec Chamson. Il révèle que le cévenol envisageait les femmes de manière ambivalente, progressiste dans certains romans, misogyne dans d’autres, et carrément sexiste à l’Académie française. Surtout, Peter parle du passage douloureux qui a mené Chamson du pacifisme causé par la Grande guerre (et qui a conduit à la parution de Roux le Bandit, en 1925), à l’anti-fascisme combattant des années 30.

Petit à petit, nous avons refait le monde de l’entre-deux-guerres, devisant sur les différents mouvements politiques de l’époque, sur Mein Kampf, sur le mystère des trois grands conflits européens (1870, 1914 et 1939) et leur éventuel enchaînement.

J’ai fini par poser le micro sur l’herbe pour profiter pleinement de la fraicheur du moment, du bon air de l’altitude et de ce qui vaut la peine d’être discuté un beau jour d’été entre deux intellectuels courtois et libéraux : des massacres, de la haine et du désir de destruction.

C’est longtemps après l’heure du déjeuner que nous sommes redescendus à Arrigas, et avons retrouvé Barbara, la charmante épouse de Peter, qui nous avait préparé un repas. Je me suis confondu en excuses, ce retard était de ma faute. Barbara me pardonna instantanément.

On peut dire ce qu’on veut sur les universités, mais il y a une douceur de vivre chez les universitaires qui n’a pas grand chose à envier à la précarité des sages.

Sur la tombe d’André Chamson

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Véro m’ayant prêté sa voiture, je tente encore une fois d’aller voir la tombe d’André Chamson. Je prends la plus belle route de la vallée : depuis le Mazel, elle monte vers Talleyrac et rejoint le col de Peyrefiche. Personne n’emprunte cette route car elle est minuscule, sinueuse, et qu’une autre peut être empruntée quelques kilomètres plus loin, pour se rendre plus rapidement aux mêmes endroits.

Je rate la tombe et arrive comme un idiot au col de la Luzette. Je redescends, remonte, redescends, jusqu’à ce qu’un petit tas de pierre attire ma vue. Je me gare et marche sur le chemin qui s’enfonce dans la forêt. Le sentier arrive à une grosse pierre posée au sein d’une toute petite clairière, avec une vue splendide sur la vallée. En face, il doit y avoir le terrain de mon frère, quelque part. Chamson et moi, nous nous sommes fait face pendant une année, et c’est aujourd’hui que nous nous rencontrons.

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Le terrain de mon frère, quelque part, depuis la tombe d’André Chamson

Je reste très peu de temps. Après avoir scruté le paysage, je rentre à la voiture. Le site est beau, il n’y a pas à dire, mais je n’ai reçu aucune inspiration divine. Souvent, la visite des lieux d’écrivains, singulièrement leur demeure, provoque une étrange commotion chez le visiteur, et le marque. Pour moi, la maison de Lu Xun à Pékin, et celle du même Lu Xun à Shanghai, où il vécut les dernières années de sa vie, furent d’intenses occasions de rêveries, et de puissants encouragements à relire les textes de l’écrivain, ainsi que d’en lire de nouveaux. Je m’attendais à quelque chose d’approchant avec Chamson.

Rien de tel. La tombe de Chamson, dominant la vallée de Je-ne-sais-quoi, peut-être la vallée de l’Hérault (après tout, c’est l’Hérault qui trouve sa source là-bas), est aussi inspirante que le mausolée de Chateaubriand à Saint-Malo, et dans les deux cas, je n’ai pas ressenti grand-chose, à part la jouissance attendue du paysage.

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Mausolée d’André Chamson

Il y a encore une partie de l’œuvre de Chamson que je ne connais pas bien, et j’espérais peut-être vaguement que ce pèlerinage m’aurait donné la force de m’y plonger. Il s’agit de sa « Suite camisarde », dans laquelle il raconte la guerre de résistance des protestants cévenols, entre 1702 et 1710, dite « Guerre des Camisards ». Il y raconte l’histoire de son propre ancêtre, envoyé dans les galères, dans La Superbe. Il y raconte aussi le destin des femmes protestantes, enfermées dans le Tour de Constance, à Aigues-Mortes, connues pour avoir gravé le mot « Résister » dans la pierre.

80 ans avant la révolution française, 250 ans avant la deuxième guerre mondiale, les femmes cévenoles ont inventé ce qu’on appelle aujourd’hui l’esprit de résistance. Et c’est quelques années avant la guerre, en 1935, que Chamson prononçait ces paroles à l’assemblée du Désert :

Nous trouvons ici le mot qui nous livre le secret de nos Cévennes, le mot qui est gravé sur la pierre de la tour de Constance et que le vent semble siffler sur les roches ou dans les herbes dures de nos hautes crêtes, par delà le Jardin de Dieu, sur les hauteurs de l’Aigoual et de la Fageole, le mot que l’on répète aux petits enfants dans toutes les maisons de nos vallées, le mot qui semble inscrit dans ce vallon et dans ce petit village : résister.

Il a écrit ses romans historiques dans cet esprit de résistance, pour lui donner une consistance narrative, pour l’incarner dans des personnages.

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Tombeau d’André Chamson, col de la Luzette

Chamson a passé toute sa carrière à Paris, mais il savait qu’il fallait venir de quelque part pour toucher les lecteurs. C’est une banalité, il faut être singulier et personnel pour atteindre l’universalité. Donc un écrivain ambitieux, loin de renier ses origines provinciales, doit souligner son appartenance à une terre en particulier. De même que Giono symbolisait la Provence, Chamson voulait être l’écrivain des Cévennes. Or, pour cela, il a défini un lieu central de son imaginaire, le mont Aigoual. Et il a passé la première partie de sa carrière à raconter des histoires de paysans, de travailleurs et de protestants vivant autour de l’Aigoual. Dans une deuxième partie, il a dû prendre conscience qu’on ne pouvait pas incarner les Cévennes sans raconter les Camisards. C’est ce qui lui a donné l’idée d’en faire carrément une suite, une fresque, ou une saga.

Jean-Yves Tadié dans son dernier essai sur l’histoire du roman au XXe siècle, mentionne justement cette suite camisarde comme un monument inconnu et pourtant digne d’intérêt.

J’ai beau avoir visité le mausolée de Chamson, rien ne vient. Je ne trouve pas la force d’aller lire ces livres. C’est peut-être que j’en ai eu ma dose, de ces héros magnifiques qui luttent contre plus grands qu’eux.

 « Dans l’ordre humain, je ne connais rien de plus beau que cette aventure héroïque d’un peuple montagnard qui semble avoir voulu donner la preuve de la primauté de la conscience humaine », écrit encore l’écrivain en 1935. C’est peut-être que je n’y crois guère, finalement, à la conscience humaine.

Hommage d’un sage précaire à un académicien : André Chamson

Né en 1900, Chamson était trop jeune pour participer à la première guerre mondiale et trop vieux pour être mobilisé lors de la seconde. Il est devenu adulte au moment exact où la France avait besoin de cadres pour se reconstruire. C’est ainsi qu’à 30 ans, il avait déjà toute une carrière derrière lui, alors qu’aujourd’hui, à 30 ans, on est post-adolescent et on se demande encore ce qu’on fera plus tard.

Son premier roman, Roux le bandit (Grasset, 1925), se passe déjà dans les Cévennes : c’est l’histoire d’un paysan qui refuse d’aller faire la guerre (la première guerre mondiale) et qui va se cacher dans les montagnes. Cela a fait un scandale monstre. Les anciens combattants n’ont pas supporté qu’on fasse d’un déserteur un héros. Chamson a raté le prix Goncourt à cause de cela. Aujourd’hui, on peut lire Roux-le-bandit comme un chant à la liberté individuelle, au désir de vivre contre la raison d’Etat. C’est un grand livre précurseur de la mode hippie, où la nature est vécue comme l’alliée des hommes libres. Il fallait un courage immense pour écrire cela.

Le roman qu’il préfère, de son propre aveu, c’est Les hommes de la route (1927). L’histoire se passe sous le second empire, entre Le Vigan et le mont Aigoual, et raconte la vie des gens qui travaillaient à la route qui montait jusqu’au sommet. Aucune intrigue, aucune péripétie, juste un grand poème en prose, inspiré par ce travail de titan qui consistait à creuser la montagne pour faire apparaître une route. C’est un fait que vivre en Cévennes provoque de ces rêveries : constamment, on se dit que les gens d’autrefois ont trimé vaillamment, génération après génération.

L’ouvrage qui me parle le plus, c’est peut-être Les Quatre éléments (1935). Quatre nouvelles qui sont des plongées dans son enfance : un texte sur la langue, un sur la haine d’un ennemi (un garçon catholique du Vigan), un sur une bête et un sur une femme (une « étrangère »).

La nouvelle sur la langue est à mes yeux d’une beauté bouleversante. Les langues, devrait-on dire. Y sont abordés le patois, ou l’occitan, parlé dans la rue ; le français parlé à l’école, et la langue de la bible, ce français si spécial que les protestants entendaient lors de leurs soirées de lecture. La grand-mère de Chamson, tous les mercredi soir, recevait chez elle des fidèles qui se réunissaient pour lire des passages de la bible.

André Chamson à l'assemblée du Désert

Il s’agit là d’une très belle méditation sur la langue, sur les divers degrés de « langue française » que l’on parcourt dans une vie, dans les tensions entre langue savante et langue populaire, langue latine et langue parisienne, langue ancienne et langue moderne, langue sacrée et langue profane. Il fallait un écrivain modeste et discret pour entreprendre une méditation aussi limpide.

Les protestants sont des Français vraiment intéressants, voilà ce qu’on pense quand on lit Chamson. Des Français qui donnent l’impression d’être en exil dans leur propre pays, qui rêvent d’une France qui peine à exister.

La prose de Chamson est ferme, assurée et modeste. Il s’est construit un style qu’on pourrait appeler « cévenol ». Une langue belle mais peu colorée, peu fleurie, un peu rugueuse et râpeuse. Une langue précise et scrupuleuse, où la tendresse est cachée sous des rythmes saccadés. Un style de pierre et de lumière, une écriture sèche. Chamson a trouvé le moyen d’exprimer la lumière éblouissante du soleil, l’ombre fraîche, et le contraste entre les deux. Il y a peu de nuance entre les deux, car dans les Cévennes, en plein mois d’août, il y a en effet peu de nuance entre les deux.

Ainsi, les personnages des romans de Chamson sont décrits dans leurs actes, leurs mouvements et leur immobilité de bête. En le lisant, on ne pense pas à Pagnol ni à Giono, ces grands provençaux hauts en couleur, mais on songe au « behaviourisme » américain : Hemingway, Faulkner. Peu d’analyse psychologique, peu ou pas de sentiment. Des vies humaines faites d’actions tranchées. Peu d’hésitations existentielles.

C’est pourquoi Sartre se sentait proche de Chamson, et lui a proposé de collaborer au Temps modernes après la guerre. Mais Chamson, qui aurait pu incarner une grande figure éthique et esthétique de l’existentialisme, a préféré se faire oublier à l’académie française, et mourir dans l’oubli il y a trente ans.