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En ces temps d’examens de fin d’année, j’ai fait passer les oraux de français à des étudiants de deuxième et troisième année. Beaucoup d’entre eux ont choisi de faire une présentation sur l’immigration en France.
Ce qui m’a frappé, c’est l’image qu’ils se font de l’histoire de France. En gros, ils voient un pays qui fut homogène tout le long de son histoire jusqu’à la décolonisation. Il a alors vu l’arrivée en masse de nord-Africains. Personne ne semble s’apercevoir que l’immigration a été constante en France, dans le passé, et cela est d’autant plus symptomatique que les Britanniques voient leur pays comme multiculturel. La tendance lourde, dans les conversations comme dans la presse (mais aussi dans les recherches universitaires des French Studies) semble être que les Français sont racistes, peu tolérants, car ils ont un sens très aigu de la Frenchness (l’identité française, ou la « francité »).
Quelqu’un m’a dit : « La chose nouvelle avec les musulmans, c’est que c’est la première fois qu’une immigration pose problème. » C’est ainsi qu’on oublie la souffrance des Italiens et des Espagnols, combien ils ont connu le racisme. C’est oublier le calvaire des Arméniens qui, pour certains, étaient quasiment réduits en esclavage dans les fermes. Oublier le sort des juifs d’Afrique du nord et d’ailleurs. Beaucoup de ces gens se sont mariés avec des Français ou avec des immigrés venus d’un autre pays. Tous les enfants, petits enfants et descendants de ces immigrés sont aujourd’hui Français, et ont souvent un rapport assez nationaliste à la France, sans renier leur héritage.
La seule étudiante qui a rappelé l’origine étrangère de nombreux Français était une fille dont le père est italien. Elle-même disait se sentir plus italienne qu’irlandaise ou britannique. En revanche, des cousines à elle vivent en France et se disent françaises. Elle savait que l’immigration italienne avait été massive en France, et qu’elle fut difficile pour beaucoup de gens. Elle révéla le chiffre, corroboré par les historiens de l’immigration, que 40% des Français ont un parent ou un grand-parent étranger.
Gérard Noiriel, historien de l’immigration, le martèle depuis des décennies : « Avec les Etats-Unis et le Canada, la France est le pays industrialisé dont la population doit le plus à l’immigration. » (article de 1986!) C’est pour cette raison que nous avons développé un sens historique (parfois à la limite de la propagande) qui permette d’intégrer tous ces étrangers et d’en faire des concitoyens à part entière. Le mythe, ou la légende, des phrases du type : « Nos ancêtres les Gaulois », enseignées à des Africains, ne doit pas nier la réalité d’un discours républicain qui enseignait aux enfants de toutes les origines que ce qui les unissait n’était pas une race, ni une religion, ni une origine ethnique, mais un projet commun. Il faut lire les souvenirs de François Cavanna, immigré italien dans les années 1930, et comprendre comment la France a su développer à la fois une identité forte et un accueil incessant d’étrangers.
Ce sens de l’histoire, c’est ce qui permet de comprendre pourquoi un Juif alsacien, accusé à tort de traîtrise contre la patrie, alors qu’une partie de la population suinte l’antisémitisme, n’a eu qu’une parole au moment de la dégradation de son statut : « Vive la France ». Ce n’est pas une parole chauvine, ce n’est pas du respect pour un pays, mais c’est une forme de fidélité à un message, à une promesse de vie commune.
Si les Britanniques nous voient comme racistes, c’est entre autre parce qu’ils ont distendu leur rapport à l’histoire. D’ailleurs, l’histoire est une discipline scolaire qui n’est obligatoire ni pour l’équivalent du bac, ni pour l’équivalent du brevet des collèges, au Royaume-Uni. En ces temps de fortes migrations, je trouve cette indifférence à l’histoire presque dangereuse.

Freedom Sculpture, International Slavery Museum, Liverpool.