Tabuk, centre à venir des voyageurs

Tabuk est une très vieille destination pour les êtres humains qui voyagent, c’est-à-dire pour les êtres humains. Sans remonter jusqu’à l’époque préhistorique, Tabuk était une étape importante pour les voyageurs qui faisaient le pèlerinage à la Mecque. Le château médiéval qui se situe en haut du souq traditionnel de la ville est un magnifique vestige de ces voyages sacrés.

Il était construit pour que les pèlerins se reposent, se lavent, fassent boire les dromadaires, sans interrompre leurs prières. Ce fort est tout petit, preuve qu’il ne devait pas héberger une famille régnante mais concentrer en son sein une administration stricte.

J’imagine que le coût d’une nuitée était exorbitant. La plupart des pèlerins, même les riches, dormaient sous des tentes bien mieux aérées et bien plus confortables, puisque les bêtes transportaient des tonnes de tapis, de coussins et de tentures.

C’est pourquoi je pose l’hypothèse que le fort de Tabuk, dont les espaces de prières sont indiscutables, devait servir plutôt de centre administratif et militaire que d’auberge pour pèlerins assoiffés.

Il n’en reste pas moins que Tabuk est un hommage au voyage et au pèlerinage. D’ailleurs c’est une région de Bédouins. Toutes les familles d’ici sont d’origine bédouine et il suffit de discuter avec les gens du coin pour avoir des histoires d’une enfance qui se déroulait sous la tente. Aujourd’hui, la plupart des Bédouins sont sédentarisés mais Tabuk est une des villes au monde qui incarne le mieux cette culture nomade et désertique.

D’ailleurs la ville chante le voyage par d’autres moyens. Quand vous allez au musée de la ville, vous y rencontrez une autre forme d’itinérance. Le musée est ouvert mais comme il est en cours de renouvellement, il ne présente pas d’expositions. On peut juste le traverser et en admirer l’architecture.

En revanche, sur le site du musée, on aperçoit un hangar d’un autre siècle. Et dans ce hangar, un train à vapeur des années 1900. Fabrication allemande. C’est le vestige d’une des grande gares de la fameuse ligne du Hijaz, qui reliait Damas à Médine, pour faciliter le pèlerinage probablement.

Les années 1900 en Arabie étaient sous le contrôle des Ottomans, donc cette ligne de chemin de fer est un signe du pouvoir turc sur le monde musulman.

Si vous lisez Les Sept Piliers de la Sagesse, vous comprendrez combien les Anglais voyaient ces trains comme des adversaires à combattre. Rappelez-vous que T. E. Lawrence participait à la révolte des Arabes contre la domination turque.

The Hijaz railway was the main artery of the Turkish army in Arabia; to cut it was to paralyse their movement, to bleed them slowly to death.

Donc ce roman historique raconte comment les tribus arabes aidées par quelques militaires anglais, sabotaient les chemins de fer et attaquaient les wagons de voyageurs comme si c’était des armées ennemies.

We were not fighting to win battles, but to destroy materials; not to take cities, but to ruin communications; to make the Turks feed their men in the desert instead of in the towns.

Seven Pillars of Wisdom

Pendant longtemps, ces trains et cette voie ferrée étaient donc un sujet sensible et douloureux en Arabie, car c’était le symbole d’une domination extérieure et plutôt humiliante, car tandis que les Turcs et les riches voyageurs du Levant traversaient le désert en toute sécurité, les Arabes regardaient passer les trains et voyageaient en caravanes comme au Moyen-âge. Nous, ça nous fait rêver, ces longues marches dans le désert avec des chameaux, mais eux ne pouvaient pas juger les trains autrement que comme une modernité hostile, dangereuse, puissante et dominatrice.

De plus, les Anglais le disent ouvertement, les Arabes se sont fait avoir de la pire des façons par les militaires britanniques. Les Sept Piliers le raconte de manière poignante, et les archives sont nombreuses à le certifier : les Anglais se servaient des Arabes pour lutter contre l’Empire Ottoman. Ils promettaient aux Arabes qu’une fois la guerre terminée (celle de 14-18), ils leur permettraient d’avoir un grand royaume arabe régnant sur toute la péninsule.

Mais les Anglais mentaient comme des arracheurs de dents. Ils préparaient en fait leur propre domination sur le proche-Orient et partageaient avec la France les territoires qui reviendraient à la Couronne et ceux qui iraient dans l’escarcelle de la République…

Il a fallu du temps pour digérer toutes ces humiliations et panser les plaies de l’histoire. Aujourd’hui que le pétrole l’a rendue riche, l’Arabie Saoudite est assez confiante pour prendre soin de ce patrimoine historique plutôt que de le vouer aux gémonies.

Tabuk peut se redéfinir comme une capitale du voyage sous toutes formes : nomadisme pastorale, pèlerinage religieux, voyages d’affaire en train, et tourisme contemporain.

L’histoire mythique qui fonde l’Arabie saoudite

Le roi Abdulaziz, par un artiste brut, nom et date inconnus.

Quel événement incarnerait le mieux la fête nationale en Arabie saoudite ?

Après une recherche minutieuse, je suis arrivé à un consensus avec mes équipes. Ce serait un événement qui a eu lieu en 1902, quand le royaume n’existait pas encore, et que les puissances coloniales étaient encore chez elles en Arabie : Ottomans et Britanniques cherchaient à contrôler la péninsule. En 1902 s’est déroulé un événement majeur et marquant pour tout Arabe, donc déterminant pour tout Saoudien.

Le jeune Abdulaziz n’était pas encore roi et il était en exil au Koweit avec son père et tout son clan. Personne ne misait sur lui et ne lui voyait un rôle quelconque dans le concert des nations. Or, en 1902, il est allé saisir la ville de Riyad, ville perdue dans le désert, ville pauvre et modeste dont il a fait la capitale d’une nation richissime.

Abdulaziz est parti du Koweït avec une poignée d’hommes pour aller reprendre Riyad, qui n’était que la capitale d’une petite province dont les Al Saoud était la famille régnante depuis des siècles. C’est pourquoi je dis qu’Abdulaziz Al Saoud est allé la « reprendre » puisque c’est la ville d’où vient sa famille.
Or pourquoi cette conquête (ou cette reconquête) de Riyad pourrait incarner la fête nationale de tous les Saoudiens ? Parce que les historiens racontent que quand il est devenu roi, Abdulaziz ne cessait de raconter cette épopée, comme une sorte de mythe, de légende personnelle, et avec raison, car cet exploit militaire a été réalisé quand il était pauvre et au bord du néant.

Plutôt que d’aller directement en ligne droite sur Riyad, comme il y avait des espions, Abdulaziz a décidé d’aller dans le sens inverse, direction sud dans le désert. Le fameux désert Rub al Khali. Le fabuleux territoire mortel que l’écrivain anglais, Wilfred Thesiger, appelle Le désert des déserts (ou en anglais le « territoire du vide ».

Et justement, Abdulaziz y est allé, dans ce désert de la mort, et il s’y est fait oublier.

Avec ses hommes il est allé vivre une vie de pauvreté, une vie au bord de la mort, une vie de survie et de patience. Une vie de Bédouin et une vie de prophète. C’est là qu’il a bâti sa légende et son charisme d’homme d’État respecté de tous les Arabes.
Il a passé même un mois de ramadan avec ses hommes dans le désert. Donc quand il fallait rompre le jeûne le soir, il n’avait presque rien que quelques dattes séchées, un peu de farine et un peu d’eau qu’ils mélangeaient pour en faire des galettes cuites sur les braises du feu. Ils buvaient le lait des chamelles et ils priaient.

Une véritable vie de prophète.

C’est là qu’Abdulaziz a su montrer à ses hommes qu’il avait une très grande volonté d’âme, il a su les remotiver chaque soir avec des histoires avec des discours avec des poèmes avec des discussions sur la religion et des promesses sur l’avenir.

Ce séjour dans le désert fut un grand moment de communion entre des hommes qui n’ont pas craqué. C’est un grand moment où l’Arabie Saoudite était en germes, non pas simplement chez cet homme, qui en est devenu le roi et le fondateur, mais dans une communauté réduite à l’état d’une famille, d’un mini clan, de presque rien. On retrouve dans cette narration historique tout ce qui fait une légende arabe avec la dimension bédouine qui est toujours essentielle à l’identité arabe.
Quelque chose que l’on retrouve dans la légende dorée par exemple du prophète Jésus, qui part 40 jours dans le désert. Ou du prophète Mahomet qui reçoit la visite de l’archange Gabriel après avoir longtemps médité dans les montagnes autour de La Mecque.
Grace à sa connaissance de la vie bédouine, Abdulaziz réussit à faire survivre ses hommes, à les faire traverser des épreuves extrêmement dures de chaleur, de soif et de faim, de solitude. Il arrivait à provoquer chez eux l’enthousiasme et la fidélité, ce qui est très difficile compte tenu du fait qu’il n’avait rien pour s’assurer de la loyauté de ses compagnons, rien d’autre que sa personnalité, son charisme personnel et son appartenance à la famille régnante des Saoud.

Et c’est après cette longue période de disette et d’ascèse qu’il est allé, en pleine nuit, reprendre le fort de Masmak, au sud de Riyad, ce fort qui est aujourd’hui un musée d’histoire.
Il n’a fallu que quelques hommes pour emprisonner le gouverneur de la ville, tuer quelques soldats, et retourner toute un ville et une province.

Élégance, économie de moyen, courage, voisinage de la mort et de Dieu, nuit, poésie et désert. Toute l’Arabie est dans ce récit mythique et c’est pourquoi on devrait en faire la date de célébration de la fête nationale.

Je publie un essai sur un musicien juif tandis qu’Israel commet l’irréparable

Je suis heureux d’annoncer la publication de mon article consacré à Léo Sirota dans l’ouvrage collectif L’Asie ou la mort (Éditions Hermann), sous la direction de Gérard Siary et Philippe Wellnitz.

Lire aussi : Fuir les Nazis en Asie

La Précarité du sage, 22 octobre 2021

Ce livre rassemble des recherches sur l’exil de nombreux juifs en Asie, qui, au XXe siècle, ont fui les persécutions en Europe. Mon texte s’intéresse au parcours de ce grand pianiste juif d’origine ukrainienne, contemporain d’Arthur Rubinstein, qui choisit de vivre au Japon. Entre Sirota et le Japon, il y eut une véritable histoire d’amour : celle d’un artiste cosmopolite incarnant la meilleure tradition européenne, et d’un pays en marche vers la modernité.

Lire aussi : Le Pianiste juif et le Japon

La Précarité du sage, 29 août 2021

Au-delà de la musique, le destin de Sirota nous rappelle combien les artistes exilés ont façonné des ponts culturels inattendus. Son parcours, de Kiev à Vienne, Paris, Berlin, Tokyo puis les États-Unis, illustre une culture européenne ouverte sur le monde, généreuse et créatrice, loin des enfermements identitaires et des essentialisations qui sont en train de s’imposer aujourd’hui dans le débat public.

Dans le contexte tragique que nous traversons aujourd’hui – guerres, génocide, persécutions, manipulations idéologiques – il me semblait important de rappeler que les juifs ne sont pas les Israéliens, qu’ils sont porteurs d’une culture flamboyante et qu’ils doivent être protégés de ceux mêmes (les sionistes fanatiques qui ont table ouverte dans nos médias) qui les amalgament au projet mortifère du grand Israël.

C’est maintenant, quand les Israéliens commettent l’irréparable, qu’il faut célébrer les artistes juifs exceptionnels qui, du fond de leur fragilité constitutives, ont su résister par la musique et la pensée.

Je profite de cette publication pour rappeler que les juifs, les Arabes, les Ukrainiens, et tant d’autres, ne sont pas d’abord des étiquettes communautaires, mais des êtres humains porteurs d’une histoire universelle.

Je dédie ce travail à tous ceux qui croient encore à une culture européenne ouverte aux échanges et à la diversité, capable de résister aux discours de haine et de racisme.

Pourquoi je ne parle pas de ceci ni de cela

On me reproche parfois de passer sous silence des sujets jugés plus graves, plus urgents que ceux que j’aborde ici. Mais il faut que je le dise clairement : La Précarité du sage n’a jamais eu pour ambition de courir après l’actualité ni de répéter ce que tout le monde sait déjà.

Si je parle ici d’un genre littéraire, d’un auteur ou même d’un muret en pierre sèche, c’est précisément parce que je n’ai pas trouvé ailleurs les mots, les intuitions ou les points de vue que je m’apprête à poser. C’est cette absence qui justifie mon geste. On ne vient pas ici chercher des redites, des indignations légitimes ou des commentaires de culture générale. Je le sais comme vous qu’Israël commet l’irréparable, que tuer des enfants c’est mal, pourquoi en parlerais-je au moment même où tout le monde en parle ?

On vient sur ce blog pour entendre quelque chose d’autre, je crois. Lire quelque chose d’autre. Peut-être d’insolite. Parfois de maladroit, probablement aussi d’un peu idiot, mais quelque chose qui vient d’une vision, d’une prise de conscience.

Cela me vaut des désaccords et cela blesse parfois. Rappelez-vous mes textes sur la musique populaire : quand j’ai dit que rock, reggae, folk, punk, hard rock – tout cela, en réalité, procédait du même modèle de chanson que la variété. Que c’étaient des ritournelles, ni plus ni moins complexes les unes que les autres, avec des changements de surface, de texture, de style. Des lecteurs se sont sentis insultés.

De la même manière, quand j’ai commencé à écrire sur Sylvain Tesson, j’ai vu avant tous les journalistes et les critiques le nœud stylistique et idéologique de ses textes. Il ne s’agissait pas seulement de dire qu’il était “de droite” ou “réactionnaire” comme une étiquette jetée à la va-vite, mais d’analyser une construction d’écriture, une façon de faire du style un masque. Là encore, les réactions ont été vives. Mais force est de constater que mes intuitions se sont révélées exactes.

Dans le champ politique, je ne parle pas de Gaza parce que d’autres en parlent, et le font très bien. Je n’ai rien à ajouter aujourd’hui à ce qui est su, documenté, analysé, disséqué, montré, crié. Et si j’en ai parlé, ce fut il y a vingt ans. Mon angle d’attaque était moins la Palestine elle-même que la pression exercée par les soutiens d’Israël sur nos médias. À une époque où nommer les réseaux pro-israéliens en France vous valait l’accusation d’antisémitisme, le soupçon, l’isolement. Je me souviens de textes de 2008 où j’alertais déjà sur ce que je percevais : une hégémonie silencieuse, un pouvoir d’influence plus que de conviction.

Aujourd’hui, les choses se sont clarifiées. On sait. On voit. Les masques sont tombés. Les partisans inconditionnels d’Israël, qu’ils soient d’extrême droite ou dans une position devenue intenable au centre – comme Mme Braun-Pivet, comme Mme Bergé – apparaissent pour ce qu’ils sont : les derniers défenseurs d’une cause désespérée. Ils ont perdu la bataille des images, la bataille des idées. Il n’y a plus besoin de les dénoncer. Les médias s’en chargent.

J’ai défendu l’humoriste Dieudonné quand c’était courageux de le faire, entre 2007 et 2014. Maintenant qu’il n’est plus radioactif, je n’ai plus besoin d’en parler. En revanche, j’ai toujours la conviction que Dieudonné est la figure française la plus importante de l’histoire culturelle de notre pays au XXIe siècle.

Ce que j’essaie de faire ici, dans la Précarité du sage, c’est de nommer ce que je ne lis nulle part. D’amorcer des chemins là où personne ne semble vouloir s’aventurer. C’est mineur, c’est fragile, c’est parfois solitaire. Mais c’est aussi cela, ma manière de contribuer.

Dans quelques jours, je publierai un billet sur un terrain dans la montagne. Sur la manière de regarder un chemin, de remonter un muret en pierre sèche, de raconter ce geste. J’espère que vous ne lirez pas cela comme une simple “ode à la campagne” façon supplément week-end d’un journal national. J’essaierai d’en faire quelque chose de singulier.

Tous passaient sans effroi, de Jean Rolin

Le dernier livre de Jean Rolin (2025) est un court opus, qui se lit lentement car c’est comme une randonnée en montagne quand on est fatigué, malade ou vieux.

Jean Rolin se concentre sur les Pyrénées et les passages que faisaient tant de résistants et de juifs qui fuyaient vers l’Espagne. L’auteur, vieux de 75 ans, témoigne de ses difficultés à gravir les sommets et même à atteindre les cols. Il doit rebrousser chemin bien vite.

On suit les destins de gens célèbres comme le penseur allemand Walter Benjamin qui se suicida en Espagne après la traversée, et comme le cinéaste Jean-Pierre Melville qui, sous son vrai nom, fit le voyage jusqu’au bout. Le livre raconte l’histoire du cinéaste et surtout celle de son frère Jacques qui fut assassiné par l’homme même qui était censé l’aider à passer la frontière. Du coup, on suit aussi le destin de ce passeur/meurtrier qui demandait des sommes folles aux exilés pour les faire passer de l’autre côté des Pyrénées. Cet escroc fut à la fois un héros qui a sauvé la vie à de nombreux juifs et un salaud qui a dépouillé et liquidé des pauvres gens qui mettaient toute leur vie entre ses mains.

Sans nous le dire explicitement Jean Rolin nous parle des passeurs de migrants, prêts à faire mourir, prêts à tuer, à voler, et à l’occasion à venir en aide.

Son livre est un peu analogue à une promenade de septuagénaire élégant : des bribes d’histoires et une reconstitution incomplète des passages des Pyrénées sous l’Occupation. Quelques oiseaux et autres reptiles. Ou plutôt : le livre commence avec l’observation d’un oiseau assez rare, le cingle, et se termine avec un serpent qui fait sa mue, et qui immobilise le narrateur. L’auteur, lui, prend la décision selon laquelle s’arrêter un instant pour observer un serpent est une raison suffisante pour mettre fin au récit.

On n’ose pas voir dans cette mue un symbole de quoi que ce soit.

Le lecteur que je suis a aimé cette fin, abrupte comme un accord de piano dissonant.

Comment la Chine va récupérer Taiwan

La Chine va s’y prendre de la manière suivante. Elle va attendre que l’île de Formose ait perdu tout espoir, elle va la circonscrire par d’incessants carousels de ballets militaires et, un jour, fera tomber l’île comme un fruit trop mûr. La Chine va récupérer Taïwan sans coup férir.

Voir sur ce sujet un billet de blog que j’avais mis en ligne quand j’habitais en Chine : https://chines.over-blog.com/article-19864082.html

Comme vous le savez il y a deux partis principaux dans la vie démocratique de Taïwan : 1. Le parti nationaliste, qui veut un rattachement à la Chine mais pas la Chine communiste. Ces descendants de Tchang Kai Tchek veulent une Chine nationaliste et capitaliste (c’est ce qu’elle est devenue mais en passant par quelques décennies de communisme).

2. Un parti indépendantiste, qui voit Taïwan comme un pays de langue chinoise mais comme un pays indépendant de toute autre puissance. Il veut protéger les minorités ethniques, notamment les populations natives, les aborigènes non chinois

Pour réussir son coup d’une réunification harmonieuse, la Chine continentale n’a qu’à faire ce que j’ai déjà appelé de mes vœux dans les années 2005, quand le president s’appelait Hu Jintao et que je vivais en Chine :

Lire aussi : Projecteurs sur la Chine : l’ignorance et le rejet des Européens

La Précarité du sage, 2009

Autoriser sur le continent ces partis politiques et organiser des élections gagnées d’avance par le PCC. Le parti nationaliste ne serait là que comme vestige du passé.

Les autonomistes pourraient se réinventer sur le continent comme un parti centriste et libéral, proche des nombreuses minorités, à tendance écologiste et wokiste.

Ainsi, la Chine deviendrait une démocratie illibérale comme la Russie, la Turquie et la Hongrie, et tout le monde verrait là un progrès et un espoir.

Qui alimente le plus la haine des juifs en France ?

Caroline Yadan, députée de la 8ème circonscription des Français établis hors de France, interpelle Dominique de Villepin en lui posant la question suivante : Votre positionnement politique et vos jugements anti-israéliens, vos attaques contre Israël, ne sont-ils pas propices à alimenter la haine des juifs en France ?

Ici Caroline Yadan fait un amalgame entre Israël et les juifs. Tout un peuple, des gens qui ont une certaine confession, et les actions d’un État qui par définition est critiquable. Donc critiquer Israël revient à être antisémite. C’est précisément cet amalgame entre un régime et une religion qui est propice à créer des confusions intellectuelles. Car ceux qui aujourd’hui alimentent le plus une image négative, ce ne sont pas ceux qui critiquent mais ceux qui soutiennent les actions d’Israël. Des crimes de guerre à répétition, des massacres.

La députée Caroline Yadan participe, avec ses interventions, à l’opération mondiale de manipulation qui vise à intimider toute personne qui voudrait toucher à Israël. Mais cette stratégie qui vise à se faire craindre ne fonctionne plus et se retourne contre elle-même.

Lire aussi : L’amour des juifs plutôt que la crainte

La Précarité du sage, 2009

Voyons quelques analogies dans l’histoire. Qu’est-ce qui a donné la pire image des Allemands ? Les actions des Allemands pendant la deuxième guerre mondiale. Pourquoi la langue allemande est une langue aujourd’hui peu populaire ? Parce que dans le monde entier, les gens continuent d’associer, même inconsciemment, les Allemands à Hitler. Et aujourd’hui encore, pourquoi personne ne se revendique nazi ou fasciste ? Non pas parce qu’il y a eu des anti-allemands, des anti-fascistes et des anti-nazis qui disent des choses désagréables sur le fascisme ou sur le nazisme, mais parce que les nazis ont commis des crimes horribles.

Pourquoi l’anticommunisme est beaucoup plus fort que le communisme ? Non pas à cause des anticommunistes, mais parce que des gens qui se sont autoproclamés communistes ont commis des actes répréhensibles. Donc Staline a beaucoup plus fait pour alimenter l’anticommunisme que tous les anticommunistes réunis.

Pour continuer sur l’amalgame que l’on fait trop souvent entre l’idéologie de certains et tout un peuple, prenez par exemple la haine des musulmans qui est très nette en France aujourd’hui. La haine des musulmans n’est pas seulement due aux islamophobes d’extrême droite, mais elle est due en première instance à des assassins qui ont commis des attentats en criant Allahu Akbar en France. Ce faisant, ils donnent la sensation aux simples gens que l’islam égale violence, intolérance, attentats.

Il faut donc absolument, pour pouvoir clarifier les choses, empêcher l’amalgame entre une idéologie, un régime politique, et un peuple. En l’occurrence donc, dans le contexte actuel donc, il faut réussir dans le même temps à critiquer Israël sans nuance, tout en chantant l’amour des juifs dans certains aspects de leur production culturelle.

Caroline Yadan, malheureusement, n’appartient pas à ceux que l’on peut louer, car toute son action montre un soutien actif à une action génocidaire. Donc Caroline Yadan fait plus pour alimenter la haine des juifs que tous les militants pro-palestiniens.

L’Entrepôt projette un film bouleversant sur l’avortement au Yémen

Les Lueurs d’Aden : un film d’Amr Gamal, sorti en 2023. Titre original : « المرهقون » (Al Murhaqoon), ce qui peut se traduire par « les Accablés ».

C’est grâce à Laurent Bonnefoy, directeur de recherche au CNRS et chercheur au CERI, spécialiste du Yémen et de l’Arabie Saoudite, que je suis allé au superbe cinéma L’Entrepôt, dans le 14ᵉ arrondissement de Paris. Ce soir-là, on y projetait Les Lueurs d’Aden, un film bouleversant d’Amr Gamal, dont le titre anglais, The Burdened, me semble d’ailleurs plus évocateur et plus fidèle à l’original arabe. « Burdened » signifie “chargé d’un fardeau”. Je ne sais pas si ce mot existe en anglais, mais en français, il faudrait dire “les gens alourdis d’un fardeau”.

Ce fardeau, c’est la quatrième grossesse d’Israa. Avec son mari Ahmed, ils ont déjà trois enfants. Ils ont perdu leur emploi, ou en tout cas, leurs salaires sont suspendus à cause de la guerre et des difficultés de l’État yéménite. Ils veulent donc avorter.

Tout le film repose sur cette décision. C’est un film extrêmement bien écrit, d’une efficacité narrative remarquable. Je n’y ai décelé aucune imperfection, ni esthétique ni dramatique. Franchement, c’est le meilleur film que j’ai vu au cinéma depuis le début de 2025. Chaque plan est utile, nécessaire à la narration, et en même temps d’une grande beauté. Amr Gamal est un cinéaste que je ne connaissais pas mais dont je veux tout voir désormais.

On apprend dans le film que, si l’avortement est interdit au Yémen, il fait néanmoins l’objet de débats au sein des autorités religieuses. Certains estiment que, sous certaines conditions, il ne serait pas forcément un péché. C’est sur cet espoir que repose toute la quête du couple.

Ce qui est bouleversant, c’est qu’il s’agit d’un couple fonctionnel. Ahmed et Israa s’aiment profondément, ils aiment leurs enfants. Ils ne sont pas égoïstes, ils ne cherchent pas à se “débarrasser” d’un enfant. Ils n’en peuvent juste plus. La vie est devenue trop dure. Le coût de la nourriture, du loyer, des écoles est trop élevé. On les voit changer d’appartement pour une maison décrépite. Leur décision n’a rien de léger : ils veulent cet avortement par nécessité absolue.

La tension est telle que le mari, à bout de nerfs, finit par lever la main sur sa femme. Mais il s’effondre immédiatement, en larmes, demandant pardon à trois reprises. C’est Israa qui porte la famille à bout de bras. C’est le cas dans ma vie, dans la tienne : la femme est le pilier d’une famille. Mais ici, l’homme, déchu de son rôle traditionnel de soutien financier, s’effondre peu à peu. Et ce sont les femmes qui vont lui sauver la vie ainsi que ses apparences.

C’est une famille qui a tout pour être heureuse mais qui, dans la modernité, se retrouve incapable d’assumer un enfant de plus.

Après la projection, Laurent Bonnefoy a repris le micro pour un éclairage passionnant. Il nous a révélé que le film avait été financé en partie par des fonds saoudiens. Ce qui est surprenant, car on pourrait penser que l’avortement est totalement tabou en Arabie Saoudite. Mais ce financement montre peut-être qu’au sein des pays du Golfe, en Arabie Saoudite comme au Yémen, certains pouvoirs souhaitent ouvrir le débat : jusqu’où peut-on discuter de l’avortement ? Dans quelles conditions peut-il être acceptable ? Le cinéma se fait ici porteur de débats trop sensibles pour être vraiment lancés sur la place publique, mais assez cachés dans les festivals et les plateformes de streaming pour nourrir des réflexions parmi une certaine élite culturelle.

Ce film était une expérience marquante pour moi, qui ai passé tant de temps dans des hôpitaux similaires avec la femme de ma vie pour des problématiques inverses de celles que connaissent les personnages du film. Et L’Entrepôt fut un cadre parfait pour cette dernière soirée à Paris. Ce type de cinéma, avec son café confortable et son ambiance accueillante, me manque souvent dans les pays où je m’expatrie parfois.

Qui est victorieux en Ukraine finalement ?

La guerre en Ukraine semble tirer à sa fin, si l’on en croit les commentaires. Trois ans que je ne sais que penser de cette guerre. Trois ans que je n’arrive pas à me faire une opinion claire. À chaque argument entendu, je me laisse convaincre. Je vacille, j’acquiesce, puis le doute revient.

Lire aussi : Guerre en Ukraine 2023, le doute face aux éternels récidivistes

La Précarité du sage, 2023

D’un côté, il est indéniable que cette guerre a pesé lourd sur l’Europe. Si Poutine avait envahi l’Ukraine sans résistance, l’économie européenne aurait moins souffert, c’est une évidence. Mais le simple fait de poser cette hypothèse – et d’en mesurer les conséquences économiques – ne suffit pas à légitimer cette guerre injuste. D’un autre côté, cette guerre a offert au peuple ukrainien une identité renouvelée, une fierté nationale qui pourrait bien être le ferment d’un futur inattendu. Une nation se construit souvent dans la douleur et l’avenir nous dira ce qu’il sortira de ce nouveau peuple.

Certains, encore aujourd’hui, soutiennent que l’Ukraine n’existe pas en tant que nation distincte, que son destin est de se fondre dans la Russie. Je ne peux pas souscrire à cette idée. Il me semble que l’Ukraine a sa propre histoire, sa propre trajectoire, perceptible au moins depuis le XIXe siècle. Mais l’histoire a souvent montré qu’une nation ne se résume pas à son identité culturelle. Il y a aussi la géographie, les rapports de force, la puissance du voisin. Quand on vit à côté d’un empire, il est difficile d’ignorer ses ordres.

Lire sur ce sujet : Rendez-vous à Kiev. Un roman de Philippe Videlier pour ancrer l’Ukraine dans une culture nationale propre.

La Précarité du sage, septembre 2023

Alors, qui a perdu cette guerre ? Et surtout, qui l’a gagnée ? L’Ukraine a perdu des milliers d’hommes, des villes entières, une partie de son avenir. Mais a-t-elle perdu la guerre ? Rien n’est moins sûr. L’Europe, elle, a perdu en stabilité économique et en illusion d’indépendance énergétique. Mais les États-Unis, eux, ont joué une partition bien différente.

Je ne crois pas en une « communauté d’intérêts » occidentale. Je n’emploie guère le mot d’Occident et ne donne pas cher d’expressions telles que « la défaite de l’occident ». L’Europe et les États-Unis n’ont pas vécu cette guerre de la même manière. Pour les Européens, ce conflit a été une saignée. Pour les Américains, il a été un investissement. Ils ont armé l’Ukraine avec du matériel souvent vieillissant, usé, tout en maintenant leur propre stock d’armes stratégiques. Ils ont dépensé des milliards, mais dans un système où la création monétaire est une arme plus redoutable que n’importe quel char. Et surtout, ils ont vendu leur gaz, leur pétrole, leurs armes aux Européens contraints de se détourner de la Russie. Pour les USA, ces trois dernières années furent glorieuses grâce à la présidence de Biden.

Car surtout, le coup de maître des Américains est visible sous nos yeux : ils ont su envoyer la Russie s’embourber dans un pays qu’elle croyait acquis, sans perdre aucun soldat yankee, en jouant admirablement des proxy que sont les soldats ukrainiens et les économies européennes. Aujourd’hui ils peuvent se retirer d’Ukraine sans avoir souffert et en laissant l’Eurasie panser ses plaies.

La Russie, elle, a-t-elle gagné quelque chose ? Après trois ans de guerre, l’armée russe est épuisée, ses pertes humaines sont colossales, son économie sous perfusion chinoise. Ils ont même fait appel à des forces de Corée du Nord… Poutine voulait une guerre éclair, il a obtenu un bourbier.

Aujourd’hui, l’image de Vladimir Poutine est profondément ternie. À cause de cette guerre en Ukraine, voici le portrait de lui-même qu’il nous laisse. Autocrate, sanguinaire, exprimant son amour de la Russie en massacrant les Russes. En 25 ans de pouvoir, il aura été l’homme qui a envoyé le plus de Russes à la mort. Que reste-t-il de la Russie de Dostoïevski, de Tolstoï, de Tchékhov ? Un régime qui enferme ses opposants, assassine ses contestataires, terrorise ses mères en envoyant leurs fils au front. Il n’y aura pas de grand artiste pour faire de lui un « résistant à l’empire de l’Occident » comme disent ses actuels thuriféraires. Il n’y aura pas de nouveau Chostakovitch pour faire de lui un nouveau Staline battant l’armée nazi. Il n’y aura surtout aucun Tolstoï pour faire de Poutine un Koutouzov génial, capable dans Guerre et Paix de battre la grande armée de Napoléon grâce un amour profond et métaphysique de la patrie. Poutine n’aura aucun grand artiste pour chanter sa légende car il les a tous tués, les grands artistes, ou les a fait fuir hors de Russie.

Je ne sais pas qui a gagné cette guerre, car les Etats-Unis, s’ils en sont les principaux bénéficiaires, n’en seront pas les vainqueurs stricto sensu. Mais je sais qui l’a perdue : les autocrates qui se font passer pour des hommes forts. Eux sont en train de tout perdre malgré les apparences. Le triomphe actuel des néo-fascistes concernant l’Ukraine ressemble à une victoire à la Pyrrhus.

Glyptothek, le rêve d’une renaissance ratée

C’est l’étrange nom de ce musée qui m’en avait toujours tenu éloigné. Glyptothèque. Quelle erreur de ma part. Au cœur du quartier des musées de Munich, ce bâtiment des années 1830 est rénové de manière ravissante et abrite une magnifique collection de sculptures de la Grèce antique et de Rome.

Le dimanche, le billet d’entrée coûte un euro.

C’est une drôle d’histoire de musée, presque un paradoxe à elle seule. On pourrait s’attendre à ce qu’un premier musée public soit dédié aux trésors locaux, à l’identité bavaroise, aux racines germaniques. Mais non, lorsque le roi Louis Ier de Bavière décide de fonder ce temple de la sculpture, il ne choisit pas de célébrer son propre passé, il préfère mettre en avant l’héritage grec et romain. Un geste qui en dit long sur la nature même du musée : bien plus qu’un coffre aux trésors nationaux, c’est une scène où l’on joue une certaine idée de la civilisation. Alors bien sûr, derrière cette admiration pour l’Antiquité méditerranéenne, il y a sans doute aussi une pointe d’ambition allemande. Une volonté d’inscrire la Bavière dans la lignée des grandes cultures classiques, de se poser en héritière légitime de cette pureté idéalisée. Une manière, peut-être, de revendiquer une certaine noblesse européenne, entre idéal esthétique, domination militaire et renouveau politique.

La deuxième guerre mondiale aura fait s’effondrer ce rêve allemand. La brutalité des nazis aura eu raison de la renaissance bavaroise qui essayait de se tremper dans les chefs d’œuvres antiques pour construire un nouvel âge d’or.