Du déclin des librairies

Faut-il acheter ses livres sur internet ou faut-il soutenir les librairies indépendantes ? Fréquemment, les amoureux du livre disent préférer les vraies boutiques, où de vrais libraires rencontrent de vrais lecteurs.

Il est vrai que ça a son charme, tous ces « vrais » mis bout à bout, ça donne l’impression de vivre dans la réalité, la vérité, la concrétude.

Or, cela me paraît un peu court comme argument. Loin de moi l’idée de nier l’importance qu’ont les librairies indépendantes dans nos villes, et d’amoindrir ce qu’elles apportent de dynamisme ou de culture à nos rues. Mais compte tenu qu’elles ne peuvent rivaliser avec les stocks infinis des librairies en  ligne, les vraies boutiques et les vrais commerçants doivent apporter quelque chose de plus à leur service, un supplément d’humanité, d’échanges et de rencontres. Si elles se limitent à poser des bouquins sur des tables et à attendre le client, nul doute qu’elles vont fermer les unes après les autres.

Dans la petite ville du Vigan, la librairie du Pouzadou est une petite institution qui résiste. Elle joue crânement son rôle de commerce de proximité. Elle jouit donc d’une position assez privilégiée par rapport à celles qui sont mal placées, mal connues, mal desservies. Et pourtant elle incarne à sa façon le déclin inévitable de la librairie indépendante.

On se souvient que l’employé du Pouzadou avait refusé de commander des exemplaires de mon livre sur les Travellers irlandais, au motif qu’ils ne se vendraient pas. Finalement, il en a commandé, mais longtemps après le moment où un certain buzz entourait mon livre. Si bien qu’une dizaine d’exemplaires ont été vendus sur la ville, mais indépendamment de la librairie indépendante. Plusieurs personnes l’ont même acheté sur internet…

L’autre jour, je fais un tour à la librairie pour renifler un peu la rentrée littéraire. Je vois une pile de mes Voyage au pays des Travellers, invendus, embarrassants et encombrants. Je m’adresse à la dame qui tient la caisse et lui exprime ma confusion. Pour écouler ce stock, je fais offre de service. « Si je peux être utile à quelque chose… » Elle propose une séance de signatures. Bonne idée. À mon avis, tout le monde doit un peu mouiller sa chemise pour vendre cette marchandise fragile qu’est le livre. Les auteurs aussi. Alors, aller au mastic, faire le bonimenteur, vendre mes livres à la criée pour aider une petite librairie, je suis d’accord.

Il se trouve qu’en plus, la semaine suivante, un festival de littérature de voyage se tiendra dans le centre-ville. Nous pensons que cela pourrait être l’occasion d’attirer l’attention du lectorat sur cet ouvrage de voyage ethnographique en Irlande.

Ce matin, je viens aux nouvelles. Les employés s’en sont parlé et ont pris la décision de ne pas organiser cette séance de signatures. Ils préfèrent renvoyer les quatre livres chez le diffuseur, au motif qu’ « on en vendra peut-être aucun ».

Ils ont des livres à vendre, et un auteur sous la main qui est prêt à s’investir et ils font le choix de ne même pas essayer. Ils avaient l’opportunité de proposer à leur clientèle une rencontre, un événement humain, ils préfèrent s’en passer. Il paraît que la librairie indépendante apporte un supplément d’âme que ne peut fournir la librairie en ligne. Encore faudrait-il que les libraires eux-mêmes aient envie de jouer ce jeux-là.

Je n’insiste pas car j’avoue que cela me dispense de rester assis derrière un stand des heures durant. J’insiste d’autant moins que la libraire me dit d’un ton désolé que mon livre, désormais, « c’est de l’histoire ancienne ». Je déglutis comme je peux et tâche de garder le sourire. Un peu humilié, je réponds que même pour moi c’est de l’histoire ancienne, car je suis sur d’autres projets. Naturellement, je n’y crois pas une seconde. Pourquoi écrirait-on, et pourquoi lirait-on des livres, si nous pensions qu’ils se périmaient comme des yaourts ?

Savez-vous pour qui mon livre n’est pas de l’histoire ancienne ?

Amazon.

Le sage précaire dans le Guide du Routard

Vous qui préparez votre voyage en Irlande, ce message vous est adressé.

Les pages de « Bibliographie » du Routard évoque un « petit ouvrage d’ethnologie précaire ». Comme quoi, la sagesse précaire gagne du terrain à une vitesse folle.

On en vient à se demander, dans les bureaux où l’équipe travaille, si on ne va pas monter un parti politique pour la présidentielle de 2017. C’est encore moi qui dois calmer les bénévoles et les salariés de La Précarité du sage. Non, mes chers amis, restons précaires, restons fragiles. Résistez à votre désir puérile de conquérir le monde.

Retour des violences en Irlande du Nord. Mon reportage sur Belfast

J’ai fait récemment un reportage radio sur Belfast. Il a été diffusé il y a quelques jours sur la chaîne suisse RTS, dans l’émission « Détours ». Le titre choisi par la chaîne : Ces drapeaux qui divisent encore Belfast.

J’avais déjà été invité dans cette émission pour parler de mon livre sur les Travellers irlandais, et la productrice, Madeleine Caboche, était demandeuse de reportages sur l’Irlande. Comme je suis un fervent auditeur de radio, j’ai pris la balle au bond pour aller me transformer moi-même en reporter indépendant. J’ai pris une décision très rapide et suis parti quatre jours à Belfast, non sans prendre des contacts sur place pour être entouré de professionnels du son.

Le jour de l’émission, le 11 avril 2013, j’étais en direct avec Madeleine Caboche dans un studio de France Bleu Hérault, à Montpellier. Tout s’est bien passée, sans plus. Mon reportage n’est pas extraordinaire, et de plus, nous n’avons pas pu diffuser tout ce qui avait été sélectionné par les Suisses. Sans doute avons-nous été trop bavards (surtout moi), et l’une des séquences est passée en pertes et profits.

L’important à mes yeux, en définitive, est d’avoir pu faire passer un message, mais qui a pris beaucoup de temps, des années, pour prendre forme. En effet, en Irlande du nord, la classe dirigeante impose un discours qui rend toute autre vue un peu difficile à émerger. Ce discours dominant veut faire croire que c’en est fini des guerrillas en Irlande du nord, et qu’on se dirige vers une stabilité pacifiée, C’est important pour le commerce et les investissements de donner de la région une image réconciliée.

Or, je ne crois pas que les violences vont s’estomper progressivement jusqu’à une paix réelle. Je ne crois pas en cette chimère que les bourgeois appellent la « réconciliation ». Et c’est peut-être cela qui est difficile à expliquer.

Tout un vocabulaire est utilisé abondamment par la classe dirigeante d’Irlande du nord, pour manipuler l’opinion : « accepter nos différences », « résolution du conflit », « réconciliation », « partage du pouvoir », « processus de paix », etc. Ce sont des mots qui cachent les vrais problèmes, et les vrais problèmes renvoient à des questions de colonisation, de domination, de nationalité et de souveraineté. Qui dirige qui ? Qui appartient à quoi ? Dans quel pays vivons-nous ? À quelle patrie appartenir ? Qui est le chef ? Quelle est ma nation ?

Voilà des questions qui travaillent la société nord-irlandaise, comme il arrive dans toutes les situations coloniales. Car l’Irlande du nord reste colonisée : le pouvoir est entre les mains du parlement de Westminster, à Londres. On peut augmenter l’autonomie de la province, créer un gouvernement local et une assemblée, il n’en demeure pas moins qu’en cas de crise grave, c’est Londres qui suspend les chambres et reprend les choses en mains directement.

Dans ces conditions, il est important de garder en mémoire que les deux communautés en présence, les catholiques et les protestants, ne se réduisent pas à deux blocs égaux qui s’affrontent. Il s’agit d’une population irlandaise qui demande l’indépendance, sous la forme d’une réunification de l’Irlande, et d’une population britanique, descendante des colons anglais et écossais, qui veulent que la situation coloniale s’éternise. Toute chose égale par ailleurs, les unionistes ressemblent aux pieds-noirs d’Algérie qui voulaient que l’Algérie reste française, quitte à donner aux « musulmans » plus de droits et plus d’autonomie.

En l’espèce, donc, parler de réconciliation est un contresens car les protestants et les catholiques peuvent très bien « vivre ensemble ». Ce n’est pas un problème de « vivre ensemble ». On le voit bien en république d’Irlande et en Grande Bretagne. Partout, il y a des papistes et des parpaillots qui partagent sans problème le même espace social. En Angleterre, les catholiques disent : je suis un Anglais catholique, ma religion est minoritaire mais cela ne m’empêche pas d’être patriote. En Irlande, les protestants disent : je suis un Irlandais protestant, ma religion est minoritaire mais ça ne m’empêche pas d’être un patriote irlandais. En revanche, en Irlande du nord, à Belfast, les catholiques disent rarement qu’ils sont des sujets de la reine, et la plupart des protestants ne définissent pas comme irlandais.

Pour résumer ma position, l’Irlande est en train de se réunifier, c’est pourquoi les protestants les plus défavorisés sont nerveux. Ils sont en train de perdre leur territoire, c’est pourquoi les violences actuelles et futures viennent des extrémistes protestants alors que les violences passées étaient perpétrées par des extrémistes catholiques. La paix s’installera mais dans une Irlande unie, mais les protestants les plus pauvres ne se laisseront pas faire, et il y aura des soubresauts, une violence ira s’amplifiant, comme à l’époque de l’Algérie française, quand des groupes de pieds-noirs refusaient l’indépendance de l’Algérie à coup d’attentats et d’émeutes.

C’est pourquoi enfin il est urgent d’aller en Irlande du nord faire du tourisme. Non seulement c’est une belle région, aux paysages fantastiques, et aux habitants agréables, mais aussi c’est un lieu où l’histoire est en train de se faire et de s’accomplir : une colonisation vieille de 800 ans est en train d’arriver à son terme.

En direct sur RTS, en duplex depuis France Bleu Hérault

La Précarité du sage à Radio France

Pour la première fois depuis que La précarité du sage existe, j’écris un billet depuis les locaux mêmes d’une station de radio. Ici, à Montpellier, on m’a installé dans un studio de France Bleu Hérault, en attendant le début de l’émission, qui commence à 13h00.

« On attend les Suisses », entends-je dans le casque. Pourquoi « les Suisses » ? Parce que l’émission que je m’apprête à faire est diffusée sur la Radio Télévision Suisse, sise à Lausanne. Ne pouvant me déplacer jusqu’à ce beau pays, je ferai l’émission en duplex, depuis le réseau provincial du groupe Radio France.

Tout à l’heure, quand j’étais encore chez mon cousin Emmanuel, la productrice de l’émission « Détours » m’a téléphoné sur mon mobile pour prendre langue avec moi. La conversation fut très courte, et rien ne me dit que l’entretien soit très entièrement calibrée. La chose devrait plutôt se passer « à bâtons rompus », comme le dit Madeleine Caboche, la productrice helvète. Cela tombe très bien, on pourra improviser et parler un peu de tout.

Mon défi, c’est de parler de Nicolas Bouvier le plus possible, et des écrivains suisses en général. Jean-Jacques Rousseau, Ella Maillart… Robert Walser, il n’était pas suisse, à sa manière ? Pour rigoler, je vais essayer de parler de Bouvier au moins trois fois. Dans une émission sur l’Irlande et les Travellers, c’est une sorte de défi…

Cette émission avec la RTS me renvoie à mon propre voyage en Suisse l’année dernière. J’y avais fait des recherches dans le fonds Nicolas Bouvier, a Genève, j’y avais visité le superbe musée d’art brut à Lausanne, et j’y avais suivi le Rhône, le fleuve de ma naissance. La Suisse est plus proche de la sagesse précaire qu’on ne le pense habituellement.

Conférence festive au Vigan

Notre soirée irlandaise du Vigan a été un franc succès, et je crois que tout le monde n’a eu qu’à s’en féliciter. Il y a eu un monde fou, la salle de la médiathèque était pleine à craquer.

Au-delà de la quantité, ce qui m’a beaucoup touché fut la diversité du public : des retraités et des lycéens, des familles bourgeoises et des collectifs de soutiens aux Gitans. Des jeunes nomades qui ont vécu à cheval et des amoureux de l’Irlande. Tout ce monde cohabitait et posait des questions à un sage précaire étonné de voir tant d’intérêt pour le petit peuple Traveller.

La bonne idée de la soirée fut de diversifier l’offre. Loin d’être une conférence, la rencontre se déployait en plusieurs directions, si bien qu’entre l’exposition des tableaux, mon intervention, les lectures et les plages musicales, le public a soutenu son attention pendant près de deux heures.

C’est énorme, deux heures d’attention.

Et c’est encore plus énorme de voir cinquante personnes, dans une ville de quatre mille habitants, remplir une salle de médiathèque pour un livre modeste écrit par un auteur inconnu. La proportion est impressionnante si on la rapporte à une grande ville : à Paris, ce serait l’équivalent d’une salle de plus de dix-mille personnes!

Même s’il s’est déplacé grâce au charme de la bibliothécaire, grâce au lobbying exercé par chacun des participants, ce public témoigne d’un intérêt réel pour le livre, et cela seul est une bonne nouvelle dans le monde d’aujourd’hui.

Adieu l’Irlande, adieu 2012

Ce n’est pas n’importe quel jour, celui où j’ai appris la réponse négative à ma candidature en Irlande. Le 21 décembre, outre les bêtises sur la fin du monde, c’est surtout le grand moment du solstice d’hiver, le jour le plus court de l’année, la fin réelle de l’année en cours.

C’est à ce moment symbolique que j’ai reçu le mail annonçant la mauvaise nouvelle ; ils avaient quelqu’un de meilleur pour le poste. Après tout ce que j’ai donné à l’Irlande, l’Irlande décide de me touner le dos. Après tout ce qu’elle m’a apporté, elle a décidé d’arrêter de porter à bout de bras cette sagesse précaire à bout de souffle. C’est la fin, entre elle et moi, le signe que ma vie se fera ailleurs, en Amérique peut-être.

Ce rejet de ma candidature signe aussi la véritable fin de 2012. Car ce fut pour moi une année très faste où tout me souriait : la sagesse précaire a été sur la crête tout le long du chemin, tous les feux étaient au vert. Cette année qui m’a vu devenir quarantenaire, a été l’une des plus belles de ma vie.

J’y ai gagné le dénouement heureux de ma thèse de doctorat, la publication de deux livres, la promesse de deux livres à venir, l’amour de la plus belle femme du monde, mes premières émissions de radio, un début de vie réussie dans la montagne, la construction d’une maison en pierre, des retrouvailles fraternelles, une solitude joyeuse et un célibat glorieux. Pas si mal pour quelques centaines de jours!

Tout cela s’est donc arrêté net vendredi dernier.  De là à dire que l’année suivante  sera funeste, je ne peux pas le prédire.

Commençons pas hiberner pendant ces fêtes de fin d’année, que je souhaite heureuses et paisibles à toutes les lectrices et tous les lecteurs fidèles de La Précarité du sage.

 

Entretien d’embauche

J’étais en visite chez un ami hier, le jour où mon entretien d’embauche était prévu.

Comme les employeurs sont en Irlande, l’entretien s’est fait au téléphone. Cela tombait mal, je ne suis pas bon au téléphone. Je me suis malgré tout installé dans le bureau de mon ami, pour que le calme et les livres qui l’habitent m’inspirent une certaine sagesse, et j’ai fait ce que j’ai pu.

Les trois professeurs et conservateurs qui composaient le panel étaient parfaitement aimables et respectueux, ils ne posaient pas de questions pièges, et pourtant j’avais l’impression d’être à côté de la plaque tout le long de la discussion. C’est pendant cet entretien que je me suis rendu compte que je n’avais en fait aucune idée précise de ce en quoi le job consistait. Je n’avais pas mesuré l’obscurité dans laquelle je me trouvais.

Quand on m’a demandé de parler de l’aspect bibliothécaire de l’emploi, j’ai brodé autour de mon amour pour la National Library d’Irlande. C’est un lieu magique pour moi, j’y passais des jours, quand j’étais novice à Dublin, en 1998 ou 1999. J’y lisais des trucs sur Beckett, j’y écrivais des lettres à ma correspondante australienne rencontrée à Sligo. J’y communiquais avec James Joyce qui y a mis en scène une scène de Ulysses. Voilà qui a dû leur faire une belle jambe, à mes employeurs irlandais.

Je suis sorti de l’entretien passablement déprimé, mais dans le même temps, je ne suis pas sûr d’être capable d’une meilleure performance que celle-là au téléphone, en langue anglaise. J’ai fait passer une sorte d’enthousiasme, un enthousiasme d’amateur, et c’est là toute ma force. Au fond, pourquoi emploie-t-on un sage précaire ? Certes pas pour une adéquation parfaite de l’impétrant avec l’administration et l’université, mais plutôt pour la créativité présumée d’un enthousiaste généraliste.

Si j’échoue, et il n’y aurait rien d’injuste à cela, je n’aurai rien de fondamental à me reprocher, et c’est le principal. Si c’est un succès, par contre, j’irai vivre quelques mois à Galway, dans l’ouest de l’Irlande, et quelques mois à Dublin, à l’est. C’en serait fini des vacances cévenoles.

Réponse en fin de semaine.

Ma semaine parisienne : bilan et perspectives

Ce fut une semaine très riche, je n’en dirai que ce qui est publiquement acceptable, donc ce qui est le moins important. Malgré tout, ce qui s’est passé aura une certaine incidence sur l’avenir pour la sagesse précaire. Je résume.

Rendez-vous au Presses de l’université Paris-Sorbonne, rue Danton dans le 6ème arrondissement. La cause est entendue: ma thèse sera publiée dans la très bonne collection « Imago Mundi », dirigée par François Moureau, spécialisée dans la critique de la littérature des voyages. Je ne pouvais pas espérer un meilleur débouché pour les recherches qui m’ont coûté trois ans et demi de travail. Publication prévue fin 2013.

Rendez-vous avec un éditeur parisien, dans le 2ème arrondissement. La cause est entendue : je suis sous contrat pour un récit situé à Paris, un voyage à travers les classes sociales. Pas de date prévue pour la publication, mais remise du manuscrit prévue pour fin 2013.

Rendez-vous à Vitry-sur-Seine, dans le 9.4, pour le festival « Livres en liberté ». Deux surprises m’attendaient : d’abord, j’étais un des rares auteurs à avoir le privilège de parler en public, à bénéficier d’une telle tribune en compagnie d’un journaliste qui m’interviewait. Cette tribune a permis de vendre quelques exemplaires. Deuxième surprise : j’ai vu débouler le célèbre Cochonfucius lors de ma causerie.

Pour ceux qui ne le connaissent pas, Cochonfucius est un des grands commentateurs de ce blog, et nous ne nous étions jamais rencontrés. Il produit un fabuleux travail sur le net, sous forme de sites tentaculaires et rhizomatiques. Par ailleurs, il a un vrai boulot dans la vraie vie, il est linguiste au C.N.R.S., dans la région parisienne. Il a dû apprendre sur La Précarité du sage que je serais à Vitry ce jour là et il a pris le RER pour me serrer la pince. Preuve s’il en est que mon blog est un repaire de gentlemen.

Après mon intervention, Cochonfucius s’est assis près de moi à mon stand, et il n’a pas ménagé ses efforts pour vendre mon livre. Il m’assistait pour converser avec les lectrices et les promeneurs. Il développait des arguments de vente basés sur une lecture consciencieuse du texte. A nous deux, nous avons décroché quelques signatures (de chèques). Cela valait bien une bière, dans un bistrot de Vitry, non loin de la magnifique église médiévale que nous avons visitée de conserve.

Cinéma : j’ai vu un film qui m’a bouleversé, mais je préfère ne pas en parler ici.

Exposition :  « Les Bohèmes » au Grand palais, mais j’en ai déjà parlé ici.

Perspective d’emploi : toujours à Paris, je reçois des courriels qui m’informent qu’un institut de recherche, basé à Galway en Irlande, cherche un postdoctorant pour  mener des recherches aux librairies nationales d’Irlande sur des récits de voyage illustrés depuis le XVIIIe siècle. En lisant la description du poste, j’avais l’impression qu’ils parlaient de moi. Jamais je n’ai eu cette impression de convenir aussi parfaitement à une offre d’emploi.

Le sage précaire repart donc à l’assaut de l’Irlande, comme il l’a déjà fait, en vain, à plusieurs reprises. C’mon, precarious wisemen, get up for the fight! Date limite des dépôts de candidature : demain lundi, à 17h00.

La vie difficile du livre

On parle toujours de la crise du livre, mais le livre est loin d’être mort. On dit que les librairies ferment les unes après les autres, c’est vrai mais on oublie celles qui ouvrent et qui tiennent. Pour la bonne santé du livre, l’une des solutions qui m’apparaît gît dans la distribution. Il s’agit d’être présent sur l’ensemble du territoire, ne pas oublier les petits coins perdus.

Qu’on me permette de prendre Le Vigan pour exemple : une petite ville de 4 000 habitants, sous-préfecture du Gard, inaccessible par le train, ville que le romancier André Chamson portait aux nues, dans les années 1930, sous le nom fictif de Saint-André.

Dans cette petite ville, le livre jouit encore d’une place de choix. D’abord il y a une belle librairie, dont j’ai déjà parlé ici, et puis la médiathèque est superbe.

Je reprends ma phrase, en donnant une autre hiérarchie, plus conforme à mes goûts : d’abord la médiathèque est formidable, et en plus, il se trouve qu’il y a aussi une librairie qui a pignon sur rue et qui ne désemplit pas.

La médiathèque est installée dans un grand hôtel particulier du XVIIIe siècle, à l’époque où les Cévennes étaient une région prospère. De véritables fortunes se sont faites grâce à la soie (la sériciculture en fait) et, plus tard, une activité miniaire de grande ampleur.

C’est dans un tel écrin que la ville a décidé de loger la bibliothèque, ce qui est un merveilleux signe de confiance dans le livre et la culture. Pour ne rien gâcher, la médiathèque a acheté mon livre d’ethnologie voyageuse sur les nomades irlandais. Après quelques furtives rencontres avec le conservateur, j’ai été invité à faire une présentation de ce livre en public. Ce sera l’occasion, si Dieu le veut, de vendre quelques exemplaires,car le sage précaire est un commerçant comme un autre. C’est ainsi qu’on vend des livres de nos jours : en se bougeant les fesses, en allant à la rencontre des lecteurs, en sensibilisant les acteurs de l’industrie du livre, bibliothèques, libraires, festivals en tous genres. Et surtout en n’oubliant pas les toute petites villes de nos régions, les sous-Préfecture de 4 000 âmes où les lecteurs se comptent quand même par centaines.

Je dis que si je pouvais être invité à de telles rencontres une fois par semaine sur l’ensemble de la France (plutôt qu’une fois par mois en moyenne, mon rythme actuel, trop limité aux régions parisiennes et lyonnnaises), je pourrais doubler, tripler, quadrupler mes ventes. La sagesse précaire doit en effet, pour survivre, bricoler aussi son propre modèle économique!

Fort de cette invitation, je vais voir le libraire du coin pour lui proposer de prendre en charge cette vente de mes livres. Je pourrais vendre mes propres exemplaires bien sûr, cela me ferait gagner beaucoup plus d’argent, mais il me paraît important de faire marcher le commerce de proximité. Dans les autres villes où je suis invité, les libraires eux-mêmes me demandent de passer par eux.

Or, la librairie du Vigan fonctionne d’autant mieux que l’employé du libraire est un homme grognon. Il parle à ses clients comme s’il n’avait pas besoin d’eux ( ce qui relève d’une sorte de dandysme commercial assez remarquable.) Il traite ses clients de haut : quand je lui ai montré mon petit livre sur les Travellers irlandais, il m’a dit l’avoir commandé pour lui-même mais ne pas vouloir le proposer à sa clientèle. Les gens d’ici n’achèterait jamais un tel livre : « Ici, les gens se foutent de l’Irlande, et ceux qui s’y intéressent, c’est du genre la chanson de Sardou sur le Connemara… »

Je lui demande à tout hasard s’il serait intéressé par cet événement à la médiathèque. Pas du tout, le libraire n’y voit aucune portée commerciale. « Si vous arrivez à en vendre trois, c’est le bout du monde. » Je suis tellement intimidé que je n’ose pas lui dire qu’à la minute où nous parlons, le double d’exemplaires ont été vendus, et ce uniquement par le bouche à oreille. J’ose encore moins insister sur le fait qu’il existe dans la population locale un intérêt marqué pour la musique irlandaise, pour la littérature des voyages et pour la culture gitane.

Un jour qu’il daigne m’adresser la parole, le libraire m’informe d’une autre chose intéressante : le diffuseur de ma maison d’édition lui ferait perdre de l’argent en frais de port, s’il devait commander quelques copies de mon bouquin, et qu’il lui restait des invendus. Donc il préfère ne même pas commander mon livre et se passer des éventuels acheteurs.

Finalement, il prend un exemplaire de Voyage au pays des Travellers, que je lui confie moi-même. S’il le vend, le libraire prendra ses 30%, mais si je l’en crois, il ne le vendra pas. Mon but, dans cette affaire, n’est pas tant de vendre cet unique objet, mais de faire en sorte que ce livre soit présent dans la seule librairie de la région, et que les lecteurs potentiels s’habituent à le voir, pour que le jour où ils en entendent parler, ils se sentent davantage portés à le lire.

Dans le même temps, je note que d’autres petits éditeurs, assez férus d’Irlande sont bien représentés sur les gondoles. Ce n’est pas un hasard, les éditeurs comme Sabine Wespieser expliquent que leur stratégie commerciale passe par le réseau des libraires. Et quand on voit la difficulté qu’il y a à rendre un livre présent dans une petite librairie d’une petite ville, on mesure le travail de longue haleine que représente le succès relatif des ouvrages obscurs. Et quand on parle de « réseaux des libraires », il faut penser à ceux qui vivent loin de Paris, dans les petits bourgs de quelques miliers d’habitants, les sous-préfectures inaccessibles par le train, où l’on ne trouve qu’une librairie, qui résiste en maugréant.

Les Travellers sur RFI

Pour information, je mets ici le lien de l’émission que j’ai faite sur RFI et qui a été diffusée samedi dernier :http://www.rfi.fr/emission/20121103-travellers

Le journaliste, Ludovic Dunod, avait extrêmement bien préparé son sujet, et il m’a mis dans de bonnes conditions pour exprimer simplement des choses parfois peu évidentes à dire en quelques mots.

S’il y avait une émission à écouter pour se faire une idée de mon livre d’ethnologie précaire, ce serait donc celle-là.