Les Wwoofers de Tullyquilly

Bloqué quelques jours ou quelques semaines en Irlande du nord, je profite de cette plage d’oisiveté pour retourner à Tullyquilly, le cottage de mon ami D.

Depuis quelques années, il fait appel à des volontaires qui travaillent bénévolement en échange du lit et du couvert. Ce système s’appelle le « Wwoofing ». Les wwoofers sont généralement jeunes, issus de nombreux pays, et peuvent être de bons fermiers sans être des foudres de guerre.

Mon ami, lui, a la particularité de n’accueillir que des wwoofers de sexe féminin, et si possible de belles plantes. Il se plaint d’elles mais il aime s’entourer de ces jeunes gens. Il dit qu’elles ne pensent qu’à manger, se balader et surfer sur la toile, qu’elles ne prennent pas d’initiative. Mais il persévère, car peut-être espère-t-il tomber sur la fermière idéale qui restera dans son cottage.

En attendant, il enrage tranquillement.

Certaines Américaines ne voulaient rien faire d’autre que peindre des signes, sur de vieilles tuiles d’ardoise plates. Elles étaient de vraies truies qui ne se lavaient pas et ne ramassaient rien derrière elles.

Son cottage est ainsi plein de vie, et lui se confectionne un rôle de patriarche sympa et cyclothymique. Il leur fait à manger et s’occupe de ses volontaires comme ses propres gamins. J’ai fait des courses en sa compagnie : il remplit des caddies énormes en aimant les faire passer pour des morfales. Il les gâte.

Jusqu’à l’arrivée de deux anges germaniques. Originaires de la région d’Hambourg, ces deux blondes de 18 ans viennent découvrir le monde dans la propriété de mon ami américain. Elles ne savent pas encore faire grand chose mais le patriarche les adore. Il est touché par leur propreté, par leurs attentions, et par le fait que, le soir venu, elles « chantent pour lui ».

En réalité, elles ne chantent pas pour lui, elles chantent pour elles-mêmes, pour maîtriser l’espace autour d’elles par leur voix. Elles font tourner leur répertoire de cinq ou six chansons dans des mini-concerts où tous les visiteurs se blotissent, un verre à la main. Les auditeurs planent au-dessus de la journée passée, portés par les chants cristallins des ces grands enfants à peine sortis de l’enfance.

Bizarrement, elles ne chantent jamais en allemand. Elles se limitent aussi à des chansons très récentes que personne ne connaît, des trucs du top 50 d’aujourd’hui. Mon ami se dit qu’elles pourraient s’ouvrir un peu aux années 60 ou 70, que l’on puisse chanter avec elles.

Moi, au contraire, je leur conseille de se tourner vers le grand répertoire allemand. Quitte à nous enchanter de leurs voix angéliques, autant qu’elles adaptent à la guitare les Lieder de Schubert. Winterreise chanté par un duo de femmes, alors que l’on ne le goûte qu’avec des barytons un peu trop suaves, je dis que ce pourrait constituer un résultat probant du système « Wwoofing ».

Mes camarades thésards

Il ne faut pas sous-estimer la qualité de son environnement humain quand on s’enfonce dans un chantier tel qu’une thèse de doctorat. Comme on est souvent guetté par le découragement, la déprime ou la déception, la personnalité des gens de son entourage compte beaucoup pour se remonter le moral.

Les miens, ceux qui m’ont accompagné pendant ces années de travail, furent de véritables anges.

Cette photo me touche pour une raison qui paraît terriblement superficielle : la beauté physique de ces jeunes gens qui ont travaillé avec moi pendant quelques années à l’université de Belfast. Leur sourire est lumineux, charmant et plein de gentillesse. C’est important pour moi d’être proche de gens beaux. J’ai besoin de voir de belles choses et des physiques avantageux. J’ai besoin de fleurs, de couleurs et de grâce. En ceci, je suis en effet superficiel : je ne me suffis pas de ce qui est à l’intérieur des gens, j’ai besoin que l’extérieur soit agréable. Tous mes amis sont beaux, par exemple, tous, depuis les années 90.

Le jour où j’ai déposé ma thèse, fin avril, j’ai tâché de rester discret. Mes camarades restaient scotchés sur leur ordinateur et je rasais les murs. Jonny leva la tête et me demanda si c’était fait. C’est fait, dis-je. Les autres levèrent la tête, les yeux embués, et demandèrent confirmation. Ils explosèrent alors de joie! Tous ces jeunes amis m’applaudirent et me couvèrent d’un sourire incroyablement généreux. Ils étaient sincèrement heureux pour moi, et cette joie simple, ces effusions amicales, m’étonnèrent grandement. Je me souviendrai longtemps du regard ravi de telle ou telle, comme si mon soulagement était le leur.

J’ai malgré tout essayé de faire vite et de déguerpir pour ne pas gêner mes camarades.

Le lendemain matin, j’arrivai tard au bureau. J’avais encore du travail à faire, mais je m’étais donné du repos. A mon arrivée, je trouvais une bouteille de champagne et un gâteau au chocolat cuisiné par une de ces jolies fées. Je les embrassai tous, extrêmement touché, sincèrement ému par ces attentions, et l’affection qu’ils me témoignaient avec simplicité.

C’est dans cette atmosphère festive que nous fîmes cette photo. Moi les traits tirés, la chemise à fleurs, forcé de m’asseoir, et eux dans un sourire sans effort, derrière moi, comme des anges gardiens.

A la main, la plante que j’ai élevée depuis des mois, sous l’instruction de l’Irlandaise juste derrière moi. J’ai donné à cette plante le nom de cette camarade d’Erin.

Monastère et cabane

« C’est vrai ce que j’ai entendu Guillaume ? Tu vas te retirer dans un monastère ? »

Voilà comment un ami s’est adressé à moi, après avoir disparu pendant quelques mois. D’où vient cette histoire de monastère ? Je suppose qu’on lui a parlé de mon projet d’aller vivre dans la montagne.

L’Irlande du nord est la région d’Europe où la religion joue un rôle considérable. Il semble que tout soit traduit en termes religieux, d’une manière ou une autre.  Ici, on parle « nature », « montagne », « forêt », « vie au grand air », et l’information se transforme en « monastère », « couvent », « enfermement ».

Une amie, croisée à la bibliothèque, m’a d’ailleurs dit : « Après, donc, tu commences ta vie de « seclusion« , c’est ça ? » En anglais, « seclusion » veut dire « isolement ». Je n’avais jamais dit que je m’isolerais dans la montagne. Au contraire, je pense me mettre en quête d’une meilleure connaissance du monde cévenol. Dans mon esprit, le mot « Cévennes » renvoie à des gens, à beaucoup de gens, à des conflits de religion, à des protestants alternatifs, prêchant dans des « déserts ».

« Non, ma belle, ma vie sera le contraire d’une vie de « seclusion ». Je pense même qu’elle sera plus ouverte que bien des existences citadines. »

C’est ainsi, et c’est intéressant : on parle « soleil », les gens traduisent « austérité ».

On dit « arbres », « fleurs », « jardin », « source », « cabane » ; ils pensent « obscurité », « isolement », « rigorisme », « silence ».

Comment séduire un(e) Irlandais(e)

 

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Irish ladies, mère et fille. Vendeuses de bonbecs, Co.Kerry.

Lors du dernier cours de français que j’ai dispensé à Belfast, mes étudiants avaient apporté des denrées : de la Blanquette de Limoux, du fromage, des biscuits et des gâteaux. À la fin du cours, ils m’offrirent une superbe bouteille de Bourgogne blanc. Ils sont comme ça les gens de Belfast.

Il faut dire que j’enseignais à des adultes, la moyenne d’âge approchait la cinquantaine, ce qui rendait l’atmosphère plus détendue que celle que les étudiants du département de français faisaient régner.

Un peu pris par l’alcool, mes élèves parlaient français avec animation et commencèrent à s’interpeller sans mon aide. Un homme demanda à Frida, une Allemande, la raison pour laquelle elle vivait à Belfast. « À cause d’un homme », dit-elle. Cela fut assez pour allumer des regards, et notre Allemande raconta la rencontre avec son nord-Irlandais taciturne. C’était dans un aéroport, au Brésil. Un homme lui demanda s’il pouvait s’asseoir à sa table. Ce fut le coup de foudre. Comme il était plongé dans son journal, elle inventa le stratagème d’aller aux toilettes et de lui demander, au préalable, s’il pouvait garder ses bagages. Il dit oui, sans plus, et quand elle revint, c’est tout juste s’il leva les yeux sur elle.

Elle se demandait comment faire pour attirer l’attention de ce bel homme, aussi froid et rigide que Phileas Fogg avec Madame Aouda, dans Le Tour du monde en 80 jours.

« C’est intéressant ce que vous lisez ? » essaya Frida. Sa méthode ne s’avéra pas convaincante.

Elle décida de relancer la stratégie de l’absentement. Il accepta à nouveau de garder les bagages de la belle Allemande. Elle partit de l’autre côté de l’aéroport et fit du lèche-vitrine. Quand elle revint, l’homme était toujours aussi impassible.

« Vous n’avez pas peur de garder des bagages d’inconnus comme cela ? Il pourrait y avoir une bombe, vous savez », rigola-t-elle.

« Je viens de Belfast, chère madame. Si j’avais dû mourir par une bombe, ça fait longtemps que cela me serait arrivé. »

Ils rirent et purent enfin briser la glace. Ils communiquèrent par emails, se plurent dans leurs expressions et leur écriture, autant que par leur apparence physique. Pour finir, elle quitta son Allemagne natale pour s’installer en Irlande du nord, il y a déjà six ans.

J’ai remercié Frida pour cet intéressant cours de libertinage appliqué. Moi, ai-je expliqué, depuis bientôt quinze ans que je fréquente l’Irlande, je n’ai jamais réussi à séduire une Irlandaise. J’ai bien eu quelques aventures, mais on ne peut pas parler de séduction, pas vraiment. À chaque fois que j’ai eu un intérêt pour une fille d’Erin, il m’a semblé que je lui faisais peur et qu’elle se retranchait derrière une bonne éducation inaccessible.

Je tirai donc mon chapeau à Frida et lui dis qu’elle était clairement ma supérieure dans ce domaine, comme dans d’autres domaines. Tout le monde riait beaucoup, sauf quelques ladies qui ne voulaient surtout pas être prises à partie sur ce sujet brûlant : comment séduire une Irlandaise ?

Le lendemain, un des comparses de ce groupe m’écrivit pour me remercier de cette classe qui s’était déroulée dans une si bonne atmosphère (grâce à lui en grande partie d’ailleurs). Après les compliments de rigueur, il me donna ces quelques conseils pratiques pour séduire les femmes de son pays. Je l’en remercie publiquement, et je mets ses conseils à la disposition de mes lecteurs fidèles.

I don’t believe for one moment that you have problems wooing Irish ladies! If so however, use my old technique which involved drinking to excess, talking tripe and falling asleep. +

It wasn’t overly successful admitedly and cost a fortune but on one occasion at least it appears to have worked.

Le contrat d’éditeur

Intéressé par cette collection de récits de voyage ethnologiques, j’ai écrit aux directeurs pour leur proposer ma propre contribution, que je pensais axer sur l’Irlande du nord. J’avais en tête un récit sur des gens aussi fascinants que les Orangistes, ou le groupement que l’on appelle ici les « Ulster Scots », qui sont des sortes d’Ecossais de l’Ulster, revendiquant une langue et une culture à part.

J’imaginais pouvoir faire le portrait de cette province mal connue qu’est l’Irlande du nord en traçant le contour d’une de ses communautés.

Or, les éditeurs en question m’ont répondu en se montrant intéressés, non pas tant par les nord-Irlandais en eux-mêmes, mais par un bref paragraphe que j’ai intercalé dans mon courriel, au dernier moment, avant de l’envoyer. Parmi les habitants d’Irlande du nord, il fallait aussi parler des Travellers, ces nomades indigènes que l’on retrouve sur toute l’île et qui forment le peuple le plus secret de l’histoire des îles britanniques.

On les appelle « Travellers », mais ils sont connus aussi sous le nom de « Tinkers ». Cela vient de l’anglais « tin », qui signifie l’étain, car traditionnellement, ils travaillaient notamment comme rétameur (mais ils ont toujours fait de nombreux boulots, étant comme tous les nomades, allergiques aux spécialisations réductrices). Puis le mot « Tinker » est devenu péjoratif, alors on a trouvé autre chose. Eux-mêmes s’appellent, dans leur langue, des « Minceir » (prononcer Minkair). Langue qui est un mystère presque aussi épais que l’origine historique de ce peuple.

Les éditeurs parisiens ont eu le coup d’oeil : ils se sont dit qu’il y avait là un angle d’attaque sans pareil pour aborder l’Irlande. Un peuple nomade, ayant sa propre langue, son propre folklore, inspirant un racisme pire que celui que connaissent les Tsiganes. Cela ne manquait pas de piquant.

Nous nous sommes mis d’accord pour nous voir à Paris, afin de parler de tout cela autour d’un verre. Moi, en attendant, je leur enverrais une vingtaine de pages pour qu’ils jaugent ma façon d’écrire et le potentiel d’un tel sujet.

A Paris, la chose fut entendue assez vite et nous avons décidé de nous lancer dans cette petite aventure. Nous nous mîmes d’accord sur une échéance, un tarif, un contrat. C’est ainsi qu’au mois d’avril ou mai 2011, j’ai signé mon premier contrat d’éditeur. Après avoir publié de nombreux textes courts, des essais ou des nouvelles, des articles universitaires, je passais à la dimension du livre.

L’ironie se cache dans le fait qu’après avoir écrit plusieurs manuscrits refusés par le monde de l’édition, celui que je plaçais enfin n’était pas encore écrit.

Théorie du soulèvement (3) méthode irlandaise vs méthode anglaise

Les Anglais se soulèvent massivement. Chez les Anglais, il y a cette vieille tradition de la prolétarisation du peuple, la massification des travailleurs.

Les Irlandais, au contraire, ont une tradition de la révolte qui s’apparente plutôt à la guérilla. Moins nombreux, moins prolétarisé, moins organisés parce que longtemps sous le joug d’un pouvoir étranger, l’art du soulèvement irlandais est plus lancinant, plus pervers, il consiste à construire des machines de guerre qui déroutent l’adversaire. Souvent, quand les Irlandais se battent, leur avantage est leur courage couplé à une stratégie que personne ne comprend. Pas même, certaines fois, les Irlandais eux-mêmes.

La sagesse pécaire doit se confronter au soulèvement populaire, c’est son défi, elle qui n’aspire à rien tant qu’à la sieste et à la flânerie. J’ai déjà fait https://gthouroude.com/2009/03/19/le-sage-precaire-en-manif/la critique de la sagesse précaire sous l’angle du soulèvement.

Puis j’ai dressé une grossière distinction entre réaction française et réaction britannique face aux injustices. Je disais un peu bêtement (et faussement, car j’avais en grande partie tort, comme souvent), que les Britanniques préféraient la charité individuelle alors que les Français restaient attachée à la manifestation de rue.

Mais en participant à la manifestation du 30 novembre à Belfast, j’ai eu une autre impression. Je voyais là le retour de la tradition du soulèvement anglais, le grand syndicalisme qui était si puissant outre-Manche depuis la deuxième guerre mondiale. Ce syndicalisme même qui fut fragilisé par les mandats de Margaret Thatcher, dans les années 80.

L’amie qui était à mes côtés y voyait plutôt l’espérance d’une manifestation où protestants et catholiques étaient côte-à-côte. C’est sa remarque qui m’a fait réfléchir sur des différences de méthodes, dans le domaine de la révolte populaire. Quand les Irlandais catholiques de Derry et de Belfast se sont soulevés, ils l’ont bien fait, j’ai l’impression, comme une guérilla, et le pouvoir britannique n’y a jamais rien compris. Les Irlandais eux-mêmes, ont-ils vraiment pris la mesure de ces étonnants « Troubles » ?

En revanche, notre belle manif du 30 novembre, elle était bel et bien britannique, si ma théorie portative est correcte (ce qui n’a rien de garanti). Organisée, massive, syndicalisée, disciplinée, propre sur elle, luthérienne, oui, c’était la marque de la  méthode impeccable des Anglais.

Les Congolais de Belfast

Dans le centre social et culturel de mon quartier, le Village, il y avait hier une réunion d’information concernant les prochaines élections en République Démocratique du Congo, anciennement Congo belge.

Le modérateur était un Congolais, ancien jésuite et dirigeant le « Congo Support Project« . Très éloquent, il venait de Londres, où il habite, et il était un expert en réunion publique. Il y avait aussi un universitaire local, qui enseignait je ne sais quoi dans ma propre fac (l’économie, peut-être), et qui connaissait le Congo surtout par rapport aux pays anglophones frontaliers.

Il ne saurait y avoir de telles réunions sans une représentante d’Amnesty International, qui avait noté son intervention dans un cahier d’écolière, et qui a dit, et répété, que « des enfants étaient battus, violés et torturés » au Congo. Toutes les mentions de violences et d’exactions étaient accompagnées de soupirs désapprobateurs dans l’assemblée. Il me semble que dans ce type de regroupements, les gens viennent surtout pour s’indigner et se repaître des paroles atroces qui ne manquent jamais d’être prononcées lorsqu’on parle d’une dictature.

Heureusement, la présence de deux Congolais qui vivent ici, à Belfast, a donné une sorte de couleur locale à l’événement. Une femme, Mimi, dont la demande d’asile a été refusée récemment, et Emmanuel, un jeune diplômé des universités anglaises, qui travaille comme « programmateur Java » (c’est ce qu’il m’a dit) dans une banque, et qui a présenté la situation dans son pays d’origine avec une calme autorité.  

Mimi, tout le monde la connaissait car elle était à l’instigation de cette réunion. Elle avait réussi à toucher du monde, par l’intermédiaire de sa paroisse (le Ministry of Grace Christian Fellowship, dirigé par « Pastor Sam » qui était présent pour le Congo libre), et par celui du Friendship Club, un club où se réunissent tous les jeudis soirs des étrangers, des immigrés et des bonnes âmes, dans un café très agréable (et à tendance caritative naturellement) près de la fac.

Il y avait donc un mélange très intéressant et diablement séduisant dans cette salle polyvalente de mon quartier protestant : des Congolais et des religieux nord-irlandais, des Français et des européens de l’est. Quelques créatures de rêve, comme cette jeune femme qui parlait anglais et qui se trouvait être une Portugaise d’origine congolaise, ou angolaise. Des créatures de rêve, il y en avait des Caucasiennes aussi, les Africaines n’ont pas le monopole de la beauté. Mais en voyant la classe, la morgue et le déhanché des jeunes femmes noires, j’ai repensé aux lignes discutables qui ouvrent l’autobiographie de Grisélidis Réal :

« J’ai toujours aimé les Noirs.

Le noir, couleur du mystère, s’inscrit dans l’ombre de toutes choses et les pénètre comme un philtre, les ramenant à la grande nuit des origines. La race noire est bénie, elle exalte sur le poli de ses corps de basalte le renoncement à la lumière et la chaleur nocturne où toutes les souffrances viennent s’anéantir.

La couleur noire n’existe pas. » Le noir est une couleur, 1974.  

Pour ce qui est du Congo (RDC, mais je ne sais pas dans quelle mesure le Congo Brazzaville est mieux loti que le Congo Kinshasa dont il était question hier), les souffrances semblent loin de s’anéantir. Les élection prévues le 28 de ce mois ne sont pas vraiment en voie de se dérouler de la manière la plus transparente.

Professeur Noel Mbala, du parti d’opposition Congo-Pax, nous a parlé avec beaucoup d’élégance. Sa femme, Marie-Thérèse Nlandu Mpolo Nene, s’était présentée aux élections de 2006. Il disait que le Rwanda avait fait la une des journaux à cause de cent mille morts, alors que personne ne parle de la RDC alors qu’il y a eu six millions de morts. Soupirs et lamentations dans l’auditoire.

Quand le public a pris la parole, c’était pour clamer son émotion. La prégnance de la religion était palpable. Tout le monde appartenait à une chapelle et militait pour l’idée que si chacun fait un petit effort le monde en sera meilleur.

C’est donc dans un esprit de boy scout qu’arborant ma moustache de novembre, je suis allé me servir de petit biscuits et de café instantané. Une charmante vieille dame nous a dit que Mimi appartenait à la même congrégation qu’elle, et que le lendemain, dimanche, le pasteur Sam officiait dans ces mêmes locaux à 11h30. « Do you want a wee card ? » m’a demandé la dame. « I would love a wee card« , I said.

Sait-on jamais, il n’est pas impossible que je retourne voir les Congolais de Belfast, à deux pas de chez moi, pour chanter des bondieuseries et me sentir appartenir à quelque chose. Tous les mercredis à 19h00 et les dimanches à 11h30, Richview Regeneration Centre, 340 Donegal Road, Belfast BT12.

Le stage au vert du sage précaire

 

Angelo, le coq de la basse-cour

Retour à Tullyquilly pour respirer l’air frais du comté Down. Mon ami D. a maintenant une vingtaine de poules, et les omelettes que je me suis faites furent glorieuses.
Je n’aurais jamais pensé trouver des poules jolies, et pourtant, D. a choisi consciencieusement son cheptel, des races diverses et des plumages de toutes beauté. Certaines, que je n’ai pas photographiées, ou mal, faisaient penser à des animaux sauvages d’Amérique latine.
 

Malgré l’automne et le froid récent, le cottage est très fleuri. Ce n’est pas la moindre des surprises, à l’arrivée.

Poulailler triangulaire sur Lady's view

 

Le grand poulailler de Tullyquilly

 
 
D. n’arrête jamais de construire de nouvelles choses, d’agrandir, d’investir et d’entreprendre. Dans mon imagination, c’est sans fin car c’est structurel à l’esprit de D. ; mais à la discussion, D. pense qu’il est en passe d’atteindre ses objectifs, et qu’il n’aura bientôt plus besoin d’agrandir. Pourtant, il n’avait pas de plan prédéterminé, et tout semblait suivre un cours hasardeux. Il semblerait que non, qu’il avait une sorte de plan virtuel, un modèle abstrait qu’il est en train d’imiter.
 
 
Je n’ai pas participé à la confection des épouvantails, mais j’ai participé à l’érection de la serre. A l’époque, cela me semblait démesuré et impossible à maîtriser pour un homme seul. Mais les photos témoignent que j’avais tort.
 
 

Des fraises fin octobre, en Irlande du nord

 
 

Dimanche à Derry, sur le Peace Bridge

 

Peace Bridge, Derry

 Le dimanche en Irlande du nord, le train coûte six livres sterling pour tous les trajets que l’on veut. C’est donc l’occasion d’aller faire un tour au bord de la mer, ou dans une cité voisine. C’est ce que j’ai fait en me rendant une petite journée à Derry, afin d’aller voir le nouveau pont en zigzag qui est censé symboliser la paix.

L’une des nombreuses supériorités du train sur le bus, c’est que l’on peut y emporter son vélo. Or, Derry est très agréable à visiter à vélo. Il y a des côte et des points de vue spectaculaires, tout ce que les cyclistes affectionnent.

 

Surtout il y a la Foyle, le fleuve qui sépare le centre ville catholique et le quartier protestant. Jusqu’à cette année, il n’y avait qu’un pont, d’aillleurs très chouette, à double étage et bleu. Aujourd’hui, avec cette passerelle en zigzag, financé par l’Union Européenne, la ville se tourne davantage vers son fleuve, ce qui est toujours une bonne nouvelle.

A la gare, les piétons attendent une navette pour le centre ville, alors que le cycliste part d’un air modeste, mais intérieurement il triomphe. Il prend la poudre d’escampouille et dirige vers le nouveau pont. Du côté protestant, il faut construire un nouveau quartier, car il n’y avait pas grand-chose, alors les urbanistes ont fait ce qu’ils font toujours, de Shanghai à Dublin : un quartier de verre, de pierre et de fer.

Une exposition de dessins d’enfants accompagne inévitablement le nouveau quartier du nouveau pont. Des enfants qui ont sagement répété ce que les adultes leur ont ânnoné : « I think the bridge should be called Hope. » Des dessins de bons élèves, ennuyeux, dont le talent suprême est de savoir plaire à leur maîtresse, à leurs parents, et par extension à tous ceux qui ont du pouvoir. « Derry-London Derry, the city that believes in you« . Quel enfant d’abrutis appellerait sa propre ville « Derry-London Derry » ?

Le pont est une belle construction, constitué de deux inflexions pour signifier que la paix prend des chemins tortueux, et aussi pour symboliser les compromis que l’on doit faire, les pas de côté, tout ça. Conçu par le cabinet anglais Wilkinson Eyre, il fait une belle courbe dans le paysage, et il est indéniablement photogénique.

Je me suis promené dans la jolie ville de Derry, roulé sur ses remparts, et j’ai sacrifié à mon péché mignon : lire le journal du dimanche dans un café, pendant des heures.

Quand je suis retourné sur le pont (c’est-à-dire quand les femmes du café ont fini par me virer, à force de passer la serpillère tout autour de moi), le soleil couchant illuminait les grands montants blancs qui soutiennent la table du pont, et les promeneurs continuaient d’emprunter ce nouveau chemin dont ils sont raisonnablement fiers.

Un homme s’est arrêté près de moi pour me demander ce que j’en pensais. Nous sommes convenus que c’était très beau, il m’a dit que c’était « well engineered« . J’ai demandé qui était l’architecte, il m’a dit qu’il n’en savait rien, mais qu’il était satisfait de la manière dont les travaux se sont déroulés. J’ai voulu lui demander s’il était lui-même dans le bâtiment, mais le vent et le froid les ont poussés, lui et sa femme, à me laisser à ma photo.

Au bout du pont, sur le côté protestant, un homme jouait de la cornemuse. Face au soleil, il se mesurait au vent, et il remportait la victoire, car on l’entend depuis le milieu du pont.

Des candidats controversés aux présidentielles d’Irlande

L’Irlande est une république à la tête de laquelle se trouve un président.

Sans véritable pouvoir, le président limite son rôle à inaugurer les chrysantèmes.

Les élections pour élire le prochain président auront lieu dans quelques semaines, le 27 octobre prochain. Deux candidats attirent mon attention.

D’abord David Norris, qui  est un spécialiste de James Joyce. Je vais essayer de décrocher un entretien avec lui avant les élections, afin qu’il me parle du grand écrivain. Il est controversé parce qu’il est le premier politicien à être ouvertement homosexuel, et que son élection ferait grand bruit dans un pays encore très catholique. De plus, son nom a traîné dans des scandales, sur lesquels je ne m’étendrai pas.

Ensuite, et surtout, la candidature de Martin MacGuinness. Jusqu’à la semaine dernière, MacGuinness était un des hommes les plus puissants d’Irlande du nord. Il était l’une des deux têtes du gouvernement de la province (Deputy First Minister of Northern Ireland), « job » qu’il a décidé de laisser tomber pour aller se battre de l’autre côté de la frontière.

Dans le nord, membre du Sinn Fein, ex-dirigeant de l’IRA, il est honnis par les loyalistes, et par de très nombreux britanniques, qui l’accusent de meurtre. Le journal le plus modéré dans la tendance protestante/unioniste, parle toujours de lui comme un ancien terroriste reconverti dans la politique. Des universitaires de gauche (mais protestants) m’ont clairement dit que c’était un assassin.

Le Belfast Telegraph « informe » que la candidature de MacGuinness est indécente, que c’est une insulte faite aux victimes de l’IRA, que les Irlandais ne l’aiment pas de toute façon. Pourtant, un sondage très récent le crédite de 16% d’intention de vote, en troisième position derrière Norris-le-Joycien (21%) et Michael Higgins (Labour party, 18%).

Mon ami Barra me dit que c’est bizarre de la part de MacGuinness. Qu’il risque de perdre tout son crédit dans le nord, et de ne rien gagner dans le sud.

Pour moi, c’est plutôt la marque d’un grand stratège. Après avoir incarné la lutte des Irlandais, puis leur accès aux postes à responsabilité, après avoir été un des plus grands artisans du processus de paix, et être devenu un personnage historique, il se lance dans une bataille extraordinaire, car inattendue. Il prend tout le monde par surprise. 

Originaire du nord, de Derry, il croit tellement que l’Irlande est son pays qu’il se sent légitime pour en prendre la tête.

Ce qui est brillant, dans ce geste, c’est qu’il oblige les Irlandais « du sud » à ne pas oublier la question de la réunification de l’Irlande. Même s’il perd, il aura remis l’Irlande du nord au centre des débats.

Les journaux anglais, et mêmes ceux de gauche, sont très inconfortables avec cette candidature, et continuent d’appeler MacGuinness le « boucher du nord », et ne peuvent oublier le fait qu’il a été dirigeant d’une organisation qui a tué. En temps de guerre, c’est vrai que l’on tue. Mais les Britanniques, très prompts à traiter les Français de colonialistes dès que l’on touche à des foulards islamiques, ont toutes les difficultés à percevoir du colonialisme dans la situation de l’Irlande du nord. Donc ils ne perçoivent pas les conflits des dernières décennies comme une guerre.

 Beaucoup de gens aimeraient que l’on arrête de parler de tout cela, des Troubles, des conflits, des tensions communautaires. Beaucoup disent qu’il faut « tourner la page », mais sans jamais oser dire nettement à quel pays ils veulent que l’île appartienne. La candidature de MacGuinness est là pour rappeler une chose simple et têtue : il est anormal que le nord de l’Irlande soit britannique (c’est lui qui pense cela, pas moi! Moi je n’ai pas d’opinion, tout cela est bien trop compliqué!) De même qu’il est anormal que les Antilles soient françaises (ça c’est moi qui le rajoute, et qui le pense).