Traversée de Dublin en bateau gonflable

Cette traversée de Dublin devait se faire en deux reprises, car au milieu du chemin, je devais rejoindre Tom et Barra dans un pub pour regarder le Clasico à la télévision. Tom était pour le Barca, moi pour le Real, car j’aime mon compatriote Benzéma et que j’en ai assez de voir toujours Barcelone gagner.

L’idée était donc de quitter la rivière à hauteur de la vieille église Christ Church et d’aller au pub Lord Edward. C’était intéressant comme lieu d’accostage, car c’est exactement l’endroit où les Vikings se sont arrêtés pour fonder la ville de Dublin, en 837. Avec mes origines nordiques (mon nom est proche de celui du chef Viking qui dirigeait les 120 drakkars conquérants de l’époque), et mon bateau en plastique, j’étais le normand nouveau qui allait fondre sur la ville comme une buse sur sa proie.

Dublin commence à Chapelizod (la chapelle d’Iseult), un coin de campagne intermédiaire entre la ville et la nature.

Chapelizod se démarque par un vieux barrage, datant du XVIIIe siècle, qui permet de domestiquer les eaux de la Liffey. Auparavant, pendant tout le moyen-âge, le centre-ville était inondé plusieurs fois par an, on vivait dans des marécages et organisait les jardins en fonction des crues.

Depuis que ce barrage existe, on peut dire que Dublin existe telle qu’on la connaît aujourd’hui. Je me suis donc rendu là-bas en bus, avec le bateau gonflable que j’avais acheté dans le magasin de jouets Smyth, rue Jervis. Une boîte assez peu volumineuse, au prix de 25 euros, contenant le bateau plié, une pompe, une corde et des rames en plastoque.

Je suis allé sur l’île de Chapelizod. Dans les peintures de XVIIIe, cette île est décrite comme un vrai havre de sauvagerie. Aujourd’hui, elle est le théâtre de développement immobilier. Des logements agréables y poussent, qui sont presque tous vacants.

Le bruit du barrage recouvre mes pas. Il pleut un peu. Je mets mes vêtement dans le sac et le carton d’emballage du bateau. J’enfile ma combinaison aquatique et je me jette à l’eau.

Les gens qui habitent là doivent payer une fortune, c’est un endroit ravissant.

Le premier pont est éminemment joycien. Dès le premier livre de James Joyce, Dubliners (1914), une nouvelle se déroule à Chapelizod. Le personnage d’ Un cas douloureux (A Painful Case) vit au bord du fleuve et voit le maigre courant figurer le flot banal de sa propre vie.

Plus tard, Joyce va redonner à ce pont de Chapelizod sa dimension mythique. Dans Finnegans Wake (1939), les lavendières lavent leur linge ici et se lancent dans des psalmodies rythmées sur la rivière et le personnage qui l’incarnent, Anna Livia Plurabelle. (Le nom latin de la Liffey était Anna Livia).

Après toutes les fois où je me suis promené là, à Chapelizod, mon émotion était immense à flotter sous le pont, qui s’appelle aujourd’hui Anna Livia Bridge, en hommage à James Joyce.

Passé ce pont, ma caméra tomba en panne de batterie. Je n’ai donc aucune image de mon petit périple au-delà de ce pont.

Je passe en frémissant près d’un couple de cygnes, craignant qu’ils mordent dans mon bateau. Leur indifférence à mon passage me blesse un peu. Je me dis surtout qu’un cygne doit être un animal bien stupide pour être aussi peu étonné de voir un tel attirail passer près de lui. C’est la première fois qu’il voit cela de toute sa misérable vie, et cela ne soulève en lui nulle réaction.

Près du club d’aviron, les gens me crient des injures sympathiques. Une course vient de se terminer, et les athlètes rient de me voir ramer lentement. On me prend en photo et me filme. On me fait des signes divers. Les gens hurlent aux rameurs de faire attention à cet idiot, au milieu du cours d’eau, qui leur bloque le passage.

Quand je croise une rameuse qui s’entraîne sur sa barque affûtée, elle me regarde à peine et ne m’adresse pas la parole.

C’est alors que je me suis fait attaquer par un cygne. En me battant contre lui, j’ai perdu une chaussure. Je me jette à l’eau et me retrouve dans la vase. Je panique un peu mais je m’en sors en faisant fuir le cygne. Je passe un autre barrage, moins connu, et me laisse porter par le courant jusqu’à la gare Heuston Station.

Des gens sur le pont me demandent d’où je viens. « Wicklow Mountains », réponds-je. « On va appeler la police », lancent-ils.

Au bout de quelques heures de navigation, j’ai froid. Mes pieds, surtout celui qui n’a plus de chaussure, est violet et je n’arrive plus à le remuer. Il est temps de sortir. Arrivé à hauteur de Christchurch, j’avise une échelle en fer attachée au mur du quai. J’attache la corde du bateau à un barreau et porte mon sac en montant à l’échelle. Les gens passent près de moi sans faire de commentaire.

J’entre dans le Lord Edward pub en tenue aquatique, un pied nu. Je rejoins Tom et Barra, et pour éviter de leur faire honte, je me précipite aux toilettes où je me change. Trop tard, toute la compagnie m’a vu. Ils reverront sortir un fringant Frenchie qui boira trois ou quatre pintes de Guinness pour fêter cette jolie aventure.

Elections, festival et descente de fleuve

Ce week-end est chargé pour la sagesse précaire.

Il y a bien sûr les élections, et le sage précaire doit se rendre à Dublin pour voter.

Cela tombe bien, Dublin est le lieu du festival littéraire franco-irlandais. Cette année, c’est le thème du plaisir. Des écrivains francophones et irlandais, réunis autour d’une table pour parler du plaisir, cela promet d’être passablement chiant. Mais ce n’est pas de la faute des écrivains, et moi cela me plaît d’aller tendre une oreille, et de traîner mes guêtres, dans un tel événement. C’est toujours instructif, même si l’on n’apprend jamais rien sur le thème choisi. Il y cette année Colette Fellous, René de Ceccaty, Salim Bachy. Cécile Guilbert, qui a écrit un beau livre sur Debord.

Il y aura aussi un entretien avec Seamus Heaney. Enfin, c’est prévu, mais je ne serais pas étonné qu’il y ait des contretemps…

Jérôme Lindon et Chantal Thomas sont aussi au programme, donc du beau monde pour la partie française. C’est assez pour donner envie de se déplacer.

Mais ce week-end ne se limite pas à cela. Il ne faut pas oublier un autre événement, sportif celui-là : la descente de la Liffey en bateau gonflable par le sage précaire! L’objectif est de suivre le courant depuis le pont de Chapelizold jusqu’au phare de Poolbeg.

J’en ferai le récit plus tard.

Mais il est grandement temps d’aller sauter dans un car pour Dublin, muni de ma combinaison aquatique.

Deuxième récit sur la Liffey

Dans les années 2000, j’ai déjà écrit un récit de voyage le long de la Liffey. Je l’avais conçu comme une descente de la source à la bouche de ce fleuve. C’était l’époque où tout allait bien à Dublin. Aujourd’hui, dix ans plus tard, la crise est passée par là, et tout va beaucoup plus mal.

Il faut tout recommencer, et écrire un récit de voyage déprimant sur Dublin. Mais je dois faire, en quelque sorte, le contraire de ce que j’ai fait dans les années 2000. Ecrire Dublin depuis son fleuve, mais en commençant par la mer où le fleuve se jette, et en remontant le courant, jusqu’à sa source, éventuellement.

S’il est préférable d’aller contre le courant du fleuve, c’est donc parce que Dublin est aujourd’hui sens dessus dessous, que l’Irlande a la tête à l’envers.

Cela tombe bien, la rénovation des Docks est ce qui symbolise le plus la période de croissance économique des vingt dernières années, appelées souvent le Celtic Tiger (« Tigre celte »). On y a construit de nouveaux ponts et passerelles, rénové des entrepôts industriels et élevés des immeubles d’habitation au style international, pour attirer des jeunes familles et des employés de banque.

C’est sur les Docks, enfin, qu’on voit ces squelettes de béton qui forment l’image poignante d’une économie stoppée nette dans son élan.

A partir de là, mon récit pourra se développer comme une involution, jusqu’à la sortie de la ville côté ouest, où le fleuve est campagnard, provincial. Derrière Chapelizod, on se retrouve dans un Dublin presque identique à celui qu’a connu James Joyce.

Mon récit finira sur les rives d’un fleuve qui donnera l’impression que le Celtic Tiger n’a jamais rugi.

Casey vs Rigondeaux (2) The Big Fight

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Quand le grand combat était sur le point de commencer, la salle était surchauffée et le public chantait « Your Sex Is On Fire ». C’est la chanson officielle, semble-t-il, de « Big Bang ». Il est apparu sur des escaliers latéraux, comme une étoile tombée du ciel.

La stratégie était assez typiquement irlandaise : il était question d’intimider Rigondeaux par une foule incandescente.

Rigondeaux ne fut pas impressionné par nos efforts et assoma le pauvre Casey de sa toute puissance cubaine. Ses bras sont plus longs que ceux de Casey, de sept centimètres. Il apparut dès les premières secondes, que notre Irlandais n’avait aucune chance de s’en sortir.

Dès la première minute, il toucha le sol de la main, et faillit tomber, mais se reprit. Très vite, “El Chacal” décocha une droite de tous les diables dans le ventre de “Big Bang”, qui perdit alors toute contenance. Rigondeaux ne le laissa pas souffler et voulut tuer le match aussi vite que possible, sans aucune pitié pour le public irlandais, venu en masse de Limerick pour soutenir son rejeton.

Au bout d’une minute trente de combat, Casey tomba à terre, et nous tous, supporters au grand coeur et à la voix tonitruante, nous nous levâmes en poussant un cri d’horreur. Nous pensions tous qu’il était invincible, et le voilà à terre pour la première fois de toute sa carrière professionnelle. Carrière qui a commencé il y a moins d’un an, soit dit en passant.

L’arbitre le laissa se relever, et le spectacle était navrant, désolant. Casey était sonné, il divaguait sur le ring, le public ne savait comment réagir. Quand il eut repris ses esprits, Casey affirma qu’il voulait continuer.

Rigondeaux fondit sur Casey et l’acheva par une pluie de coups mats et silencieux. C’est l’arbitre qui s’interposa et déclara le combat terminé. Willie “Big Bang” Casey fut déclaré “technical knocked out”, KO technique.

J’avais dépensé 70 euros, prix du billet, pour 2 minutes 37 de boxe inégale. C’était excessif, mais la boxe est un passe-temps excessif. C’est un ancien boxeur, reconverti dans le journalisme sportif, que vous le dit.

Casey vs Rigondeaux (1) Un titre mondial en perspective

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Au début du mois de mars, pendant que des gitans irlandais s’entretuaient sur le marché aux chevaux de Dublin, je lisais le journal en sirotant mon thé.

L’Irish Times, annonçait dans un long article un grand combat de boxe à venir, fin mars, à Dublin. Un jeune Irlandais, issu d’une famille de 23 frères et sœurs, venu d’un quartier pauvre de Limerick, allait tâcher de prendre le titre de champion du monde poids plume au Cubain extraordinaire Guillermo « El Chacal » Rigondeaux. Ce dernier, au jeu de jambes étourdissant et au souffle inépuisable, était doté d’une frappe surpuissante capable d’allonger tous ses opposants. Il avait déjà gagné deux médailles d’or aux Jeux olympiques, avant de continuer sa carrière dans le champ professionnel.

L’Irlandais, lui, avait choisi un surnom délicieusement kitsch, comme le veut la tradition : Willie « Big Bang » Casey. Extrêmement populaire car fondamentalement un bon type, honnête et proche de sa famille. On ne lui connaît pas d’anicroche avec la police ni collusion avec la mafia de Limerick (mais comment échapper à ces deux institutions quand on vient de ce milieu, de cette ville, quand on boxe, qu’on a 22 frères et sœurs, dont Paddy, mort d’une overdose d’héroïne ?)

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Samedi 19 mars, je prenais donc la route de Dublin, et la banlieue lointaine de Saggart, dans le sud ouest. Constructions récentes, dues au Tigre celtique. L’hôtel CityWest est doté d’une salle capable d’accueillir quatre mille personnes. Au milieu de celle-ci, un ring comme dans les films, aux cordes colorées en vert, blanc et or (le drapeau irlandais où l’orange de l’Ulster est remplacé par l’or). Six ou sept combats sont prévus avant la grande confrontation.

Chaque combat met aux prises un Irlandais et un étranger, et à chaque fois, c’est l’Irlandais qui gagne.

Un Anglais de Birmingham  a mis KO un Latino, et les femmes du premier rang gloussaient de plaisir, prenaient en photo le joli Anglais, et le draguaient outrageusement. Elles étaient impressionnées par son style de boxe, propre et net comme une lame, et par son physique musclé et élancé.

Puis, ce fut le tour de deux Irlandais, plus lourds. Les coups portaient plus, mais le rythme ralentissait nettement. Le combat était un peu chiant, je me levai pour aller boire une pinte.

Le public était majoritairement masculin, mais il y avait quand même beaucoup de femmes aux couleurs chatoyantes, talons hauts et peau tatouée. Elles s’étaient mises sur leur trente et un, avec force maquillage et pédicure. La communauté des nomades, les Travellers irlandais, était fièrement représentée pour encourager l’un des leurs, le brave petit Casey. On les reconnaît, les Travellers, mais sans pouvoir vraiment dire comment. Les filles, encore, sont repérables par leurs couleurs et leur courte jupe, mais les hommes, à part la coupe de cheveux typique de ceux de Limerick, rasée sur les côtés, l’étranger les confond volontiers avec n’importe quel Irlandais de couche populaire.

Avec mon hot dog à cinq euros et ma pinte de Guinness dans un verre en plastique, j’attirais quelques regards. Il faut dire que j’avais soigné mon look. Pour m’accorder à l’atmosphère, j’avais décidé de me raser le crâne. Cependant, avec ma cravate couleur terre sienne, ma chemise blanche, mon chapeau de musicos et ma veste à carreaux verdâtre, je détonnais dans l’ambiance. J’étais presque le seul à boire de la Guinness, quand tous les autres buvaient une bière blonde, plus moderne et plus cool. Je me promenais l’air de rien, et j’espérais que mon léger embonpoint et mon journal plié sous le bras me donneraient l’air d’un ancien boxeur reconverti dans le journalisme sportif. Physiquement, je pouvais faire illusion.

Comme je ne comprenais rien à ce qui se passait autour de moi, j’affectais une concentration de connaisseur, en me confectionnant une mine pénétrée, agrémentée d’une expression du visage légèrement contrariée.

Mon accoutrement me paraissait bon an mal an réussi, car je pouvais aller n’importe où et les gens s’étaient habitués à ce journaliste sportif dont l’attitude et la cravate montraient le respect avec lequel il appréhendait l’événement. J’avais le déguisement idéal pour, sinon passer inaperçu, du moins être toléré et rendre ma présence plus ou moins plausible dans cette atmosphère surchargée de testostérones. De temps à autres, je sortais mon carnet et prenais quelques notes, en dardant ici et là des coups d’oeil suspicieux.

Le marché aux chevaux, ce que j’ai vu

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Rixe à Smithfield Horse Market

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Comme par hasard, moi qui étais présent sur les lieux toute la journée, pour faire un reportage circonstancié, j'étais en train de boire un thé et de lire l'Irish Times lorsque les coups de feu ont été tirés!

Le pire, c'est que je suis retourné au marché après les événements qui ont fait deux blessés, et que je n'ai rien remarqué. Les chevaux étaient toujours là, les marchands et les promeneurs, les forces de l'ordre aussi. Non seulement je n'ai rien vu, mais je n'ai rien su du conflit qui a opposé deux familles sur la place du marché.

Cette habitude, que j'ai, de rater les moments dramatiques, est-ce une chance ou une poisse ? Je ne suis jamais capable de témoigner que de petites fleurs, d'étoiles qui brillent et de chevaux qui hennissent.

Alors je laisse à d'autres le soin de montrer les images de l'échaufourée.

Derrière les docks de Dublin

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Au Ferryman de Dublin

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Je voulais un pub sur la Liffey, mais le plus proche possible de la mer. Idéalement, je voulais un pub duquel il était possible de voir la mer et de regarder le fleuve. Turns out it’s impossible : le plus proche de la mer, c’est le Ferryman, qui porte un nom évoquateur de docks, donc de mer, mais qui se situe près du Samuel Beckett bridge. Quand il fut construit, au XIXe peut-être, il était sans doute plus près de la mer que du centre ville, mais avec la transformation des docks en centre financier, le Ferryman est devenu le rendez-vous des banquiers et des avocats.

Le faux billet

Barra est passé me rendre visite l’autre jour. Nous sommes allés voir jouer Lyon contre le Real Madrid dans un pub d’Ormeau Road, qui acceptait de diffuser ce match sur une de leur télé. D’ordinaire, les pubs ne diffusent que les matchs auxquels participent des clubs britanniques. Jusqu’à présent, c’est le « Royal bar » qui me permettait de voir Lyon, Bordeaux ou Marseille. Mais Barra, avec son accent du sud, ne pouvait pas aller dans un pub aussi unioniste que le Royal.

L’Errigle, sur Ormeau road, a l’avantage d’être mixte, du point de vue communautaire.

A la fin du match (un partout), il pleuvait. Nous prîmes un taxi pour rentrer chez moi. Le chauffeur était un républicain de la première force. Un accent très fort, un maillot vert, clamant qu’il jouait au hurling (un des sports gaéliques, faisant partie des symboles nationalistes irlandais).

Barra s’autorisa alors à poser une brève question. « Qu’est-ce que c’est que cet accent de Dublin ? » dit le chauffeur. « Et qu’est-ce qui vous prend d’habiter Roden street ? Doit pas y avoir beaucoup de Dublinois, down there… » Nous rions. Non, il n’y a pas d’Irlandais dans mon quartier, c’est vrai. Je rappelle qu’une femme de ma connaissance vient de la république, et qu’elle ne se sent pas en sécurité. « La république, dit le chauffeur, pourquoi tu dis la république ? C’est l’Irlande, point final. » Il se lança dans un réquisitoire contre la république, qui avait abandonné le nord aux Anglais, qui avait volé le drapeau de l’Irlande unie pour se l’appliquer à elle, qui n’avait cure du sort des catholiques et des républicains de l’Ulster. Barra n’en menait pas large, et préférait ne rien répondre.

Arrivé chez moi, je lui donnai un billet de 10 livres. « Donne-moi deux livres, et je te rends un billet de 5. » Ce que je fis.

Le lendemain matin, dans la supérette du coin, je voulus acheter des œufs, des haricots, du pudding et des champignons pour faire le petit déjeuner. On me refusa le billet de 5 livres. « Forgery », me dit la caissière. Contrefaçon. Le chauffeur de taxi s’était vengé des Irlandais du sud, des Français qui habitent chez les protestants, et du monde entier.