J’ai épousé une maçonne

Mon épouse en plein travail, hiver 2022

Dans la vie on épouse des gens sur des critères flous. Les précaires, souvent, ne jugent leur moitié que sur des qualités de beauté physique, de gentillesse d’âme et d’humour bien balancé. Les gens mieux établis songent à la fortune, aux héritages et au prestige de leur promis.es.

Les travaux que nous entreprenons dans notre appartement cévenol ont révélé des natures et des talents. Mon épouse, par exemple, s’avère une excellente maçonne. Je l’ai vue un jour s’amuser à faire une mosaïque de cailloux sur un mur extérieur avec des restes de ciment qui traînaient sur le chantier.

Mon premier mouvement fut de me moquer d’elle amoureusement. Regardez-là, elle et ses lubies. Comme elle est mignonne avec ses jeux d’enfant sérieux.

Puis en la regardant plus longtemps, je me suis aperçu qu’elle maniait la spatule avec une certaine expertise. Elle savait quelle force exercer pour faire tenir du mortier sur le mur. Je ne sais pas, elle avait l’intuition du bon geste de maçon.

Cela s’est poursuivi dans l’appartement, où elle boucha des trous et traita des murs pour les rendre aptes à être peints.

Elle ne s’arrêta pas en si bon chemin. Cela fait maintenant deux ou trois mois qu’elle dirige les travaux de carrelage et de faïence. Elle n’a peur de rien. Elle me dit que faire pour couper les carreaux et pour mélanger les enduits, et elle suit son inspiration guidée par le génie de ses mains.

Nous faisons des kilomètres pour acquérir des éléments de carrelage qui conviennent au goût de mon épouse et j’en porte des tonnes jusqu’à notre terrasse. Nous n’en achetons jamais dans les magasins. Nous nous débrouillons pour trouver des chutes, des restes, des trucs d’occasion ou abandonnés. Ou alors nous portons nos pas chez Emmaüs qui reçoit chaque semaine de nouveaux arrivages de carrelage et de faïence plus ou moins neuf qu’il brade pour presque rien.

Et c’est ainsi que nous devenons maçons, carreleurs et architectes d’intérieur sans avoir jamais rien appris en la matière.

Législatives 2022 deuxième tour. Appel à mes amis d’extrême-droite.

Mosaïque des années 1920 dans la Grande Mosquée de Paris.

Chers amis racistes, vous me connaissez. Vous savez combien j’aime la France, tout autant que vous. C’est depuis cet amour de la nation que je vous encourage à voter pour les candidats de l’union de la gauche, dite NUPES, dimanche prochain, même si vous ne vous sentez pas de gauche vous-mêmes. Moi non plus je ne suis pas de gauche mais il y a des moments dans la vie où on choisit d’élire nos adversaires. D’ailleurs, chers amis fachos, écoutez comment le parti au pouvoir qualifie l’union de la gauche NUPES : « conspirationniste », « antisémite », « nauséabond ». Exactement les mots employés pour vous désigner. Cela devrait vous rapprocher de cette gauche.

Mes amis nationalistes, vous pouvez voter comme moi car vous savez combien j’ai toujours oeuvré pour la protection et la diffusion de la culture française. Laissez-moi vous donner quelques exemples de mon engagement patriotique : de nombreuses personnes nous conseillent de publier en anglais car c’est la langue de la recherche internationale. Moi, je passe pour un étroit nationaliste car je tiens à publier fréquemment en français dans des revues françaises. Combien de fois ne m’a-t-on pas accusé d’être un franchouillard passé de mode, chauvin et rétif ? C’est que je refuse d’abdiquer. Je continue de croire que chaque langue devrait se développer dans la recherche aussi, pas seulement dans la sphère familiale. Comme vous, chers amis identitaires, je suis contre le grand remplacement qui voit la langue anglaise s’imposer, alors même que j’aime la langue anglaise et la pratique tous les jours.

Je vous écris pour vous demander de voter pour l’Union populaire dite NUPES dimanche prochain, au cas où vous auriez le choix entre la gauche et la droite. Si votre candidat de prédilection s’est fait éliminer au premier tour, le meilleur remplaçant serait un député du programme de gauche car il défendrait davantage l’éducation nationale et la culture française.

Pourtant ce vote n’est pas dans mon intérêt. D’un strict point de vue égoïste, je suis beaucoup plus proche d’un banquier comme Emmanuel Macron que de ces « anarchistes d’extrême-gauche » que décrit judicieusement la ministre Amélie de Montchalin pour désigner les candidats NUPES. Comme Macron, je suis libéral ; comme lui je suis international et profite à fond de la mondialisation ; comme lui je suis en faveur de l’esclavage la réduction du coût du travail et je trouve détestable mais avantageuse l’idée de faire travailler gratuitement les pauvres, les sans-dents, les allocataires du RSA. Comme Macron, je suis un beau garçon qui cherche à dissimuler sa calvitie. Comme lui, j’ai été amoureux de ma prof de théâtre. Non, ça c’est une connerie, je n’ai jamais eu de prof de théâtre.

Bref, je suis un peu comme Macron, toute chose égale par ailleurs. À titre personnel, donc, je suis plutôt pour l’application du programme de la droite, car cela me permettrait d’obtenir des ouvriers presque gratuitement pour la rénovation de mon appartement. La retraite à 65 ans ne me poserait aucun problème puisque j’ai travaillé beaucoup d’années à l’étranger et ne serai jamais capable de faire valoir assez de cotisations pour bénéficier d’une quelconque retraite. Du coup, plus l’âge de la retraite augmente, plus les autres vont souffrir, mais pas moi qui dois me débrouiller. Or si le malheur des uns fait le bonheur des autres, alors la souffrance des travailleurs français devrait en toute logique participer au bonheur des sages précaires qui n’ont presque aucun droit aux avantages du système social français.

En dépit de tout cela, je vous le dis, chers amis qui avez voté pour Le Pen ou Zemmour : je voterai NUPES car c’est le vote le plus proche de l’intérêt du pays. Malheureusement pour moi, qui sacrifie mon intérêt personnel, c’est le bulletin NUPES qu’il vous faut glisser dans l’urne dimanche 19 juin 2022.

Législatives 2022 premier tour. Mes consignes de vote

Cette année le sage précaire votera pour l’union populaire dite NUPES. Voici les raisons de ce choix.

1. Les gouvernements sous Emmanuel Macron ont trop favorisé une minorité de gens fortunés qui thésaurisent au lieu d’investir. Il existe un risque de sécession. Le libéral que je suis ne peut cautionner les situations de monopole ni l’accaparement excessif des richesses de la nation.

2. L’union de la gauche n’a rien de révolutionnaire ni rien d’extrême. Elle propose un programme de gauche modérée.

3. Il ne faut pas avoir peur des individualités, ni leur faire spécialement confiance. La personnalité de Mélanchon, qui rebute des gens, m’est indifférente.

4. Il est bon que ceux qui ont commencé à travailler tôt, quand ils ont cotisé 40 annuités, ce qui n’est pas le cas des sages précaires, puissent prendre leur retraite à 60 ans et ne pas attendre des années de plus.

5. Il faut investir massivement sur des énergies qui nous rendront autonomes dans un futur proche. La gauche est la seule qui propose cela.

Coming out : le sage précaire est de droite

Image sans rapport direct avec le contenu du billet. Photo de Quang Nguyen Vinh sur Pexels.com

D’abord il faut reconnaître que le sage précaire est un individualiste qui ne croit pas aux bienfaits de l’État centralisé, qui méprise le salariat, qui accepte l’inégalité entre les hommes, qui trouve normal de perdre son emploi, qui apprécie de vivre dans un monde sans pitié. Le sage précaire vit dans un monde précaire, où chacun se débrouille.

Pour résumer ma position politique fondamentale en un mot : je suis anarchiste. Je l’ai toujours été et ne vois pas de modèle idéal plus proche de mes affects primitifs. Les hommes ne sont pas sur terre pour obéir à des supérieurs, pour compter leurs points de retraite, pour attendre des vacances, pour rembourser des emprunts, pour endurer le stress au travail, pour chercher un emploi ni pour se laisser enfermer dans un système social.

Si j’étais américain, je serais peut-être un libertarien. Peut-être.

Beaucoup de gens qui s’autoproclament de gauche ont dit de moi que je n’étais pas de gauche. Dont acte. Si vous le pensez, c’est que c’est vrai. Je ne ferai rien pour essayer de prouver que je le suis et cela seul me distingue de ces personnalités qui continuent de se réclamer de la gauche sans avoir jamais la moindre pensée pour les plus humbles d’entre nous.

Lire sur le même thème : Gauche ou Droite, où se situe le sage précaire ?

La Précarité du sage, 10 janvier 2021

Ceci est la première raison de mon coming out : je suis de droite, car je ne veux pas faire les efforts qu’il faut pour être de gauche.

Deuxième argument.

De nombreuses personnes me paraissent toxiques et devraient faire leur coming out aussi, comme moi. Des gens qui disent être de gauche et qui rejettent toute espèce de progrès pour les plus pauvres, les plus discriminés, les plus fragiles de la société. Qui sont ces gens ? Vous voulez des exemples ? Ils ne manquent pas : dans le monde politique, Manuel Valls et tous les socialistes qui ne sont pas gênés par la parole de Manuel Valls ; dans le monde de la télévision Caroline Fourest et Éric Nauleau ; dans le monde de la presse Philippe Val.

Sur le même sujet, lire Philippe Val, ou la trahison de la satire

La Précarité du sage, 18 avril 2009.

Ils emploient des mots qui avaient un contenu progressiste depuis les Lumières, mais qui sont devenus suspects au tournant de ce siècle, puis carrément réactionnaires aujourd’hui. Écoutons-les : « Je suis pour une gauche républicaine, laïque et universaliste. »

« Républicaine » : avant, cela signifiait un régime contestant l’arbitraire de la monarchie et la tyrannie du monarque absolu. Aujourd’hui cela envoie un signe d’uniformité et de nationalisme.

Laïque : avant, c’était une arme contre la toute-puissance de l’église catholique, son emprise sur les consciences et son influence politique. Aujourd’hui, ‘laïc » s’emploie pour lutter contre la religion pratiquée par les plus pauvres du pays. Une religion qui ne peut et ne veut rien imposer à la population majoritaire. Une « gauche laïque », c’est donc une gauche qui méprise les plus humbles, non une gauche courageuse qui se dresse contre une puissance.

Universaliste : avant, cela voulait dire que les hommes étaient égaux et qu’on ne devait pas considérer différemment les hommes de la classe dirigeante et ceux du Tiers-État. Aujourd’hui, on se dit universaliste pour contrer les minorités dans leur volonté de s’émanciper.

Alors, me direz-vous, pourquoi ne pas faire ce que font les gens de gauche ? Ils passent leur temps à dénoncer ces faux-jetons en disant d’eux qu’ils ne sont pas de gauche. Je refuse d’entrer dans ce genre de discussion. Qu’en ai-je à faire, moi, si des réactionnaires tiennent à se voir en « hommes de gauche » ?

Ceci est donc mon deuxième argument. Je suis de droite pour m’éloigner de tous ces racistes qui se disent de gauche, mais d’une gauche républicaine et laïque. Quand ils se diront de droite ou, comme on le dit en Amérique, « néoconservateurs », alors je reviendrai sur ma parole.

Troisième argument.

Les intellectuels de gauche sont brillants et j’aime les écouter. La palme revient à François Bégaudeau qui se révèle depuis des années comme un incroyable orateur. S’il n’est pas bon romancier, il est un excellent essayiste. Il répète et démontre qu' »il n’y a de gauche que radicale », et qu’ils sont eux de la « vraie gauche ». Je ne veux pas mouiller la sagesse précaire dans des arguties de ce niveau. Le sage précaire est trop précaire pour se sentir appartenir à la « vraie » gauche.

Sur le même sujet, lire Contre François Bégaudeau

La Précarité du sage, 19 septembre 2008.

Voilà, je conclus de tout cela que se dire de droite est une bonne combine pour se désengager de débats interminables, se délier les mains, et annoncer ses préférences politiques sur chaque sujet sans aucun automatisme ni dogmatisme.

Regarde la poutre dans ton oeil

Une histoire de poutres. Dans mon vieil appartement, elles datent du XIXe siècle. Quand je l’ai acheté, elles étaient cachées sous des couches de plâtres et un coffrage en bois qui donnait l’impression qu’elles étaient massive. Parmi tous les artisans qui venaient faire des devis, personne ne savait si c’était du bois, du métal ou autre chose.

On me disait de ne rien toucher et de tout recouvrir par un faux plafond en « placo ».

N’écoutant que mon instinct, et après avoir vu l’appartement de ma voisine, j’ai décidé de les déshabiller de leur gangue de bois et de plâtre. Je les décape, les ponce et les fais revivre.

Nous découvrons des poutres blessées, scarifiées, martyrisées. Elles ont subi des entailles profondes pour fixer le plâtre. Elles sont pleines de cicatrices qui, à mes yeux, ne les rendent pas laides mais touchantes et héroïques.

En les décapant, je vais essayer de réduire la profondeur des cicatrices et, si possible, les leur donner une patine qui les réduira au rang de nobles rides. Dans tous les cas de figure, mes poutres donneront un visage buriné à l’appartement, un visage de vieil acteur pris en photo dans les studios des années 1950, date à laquelle les entrepreneurs cachaient les structures de bois et de pierres sous des faux murs et des faux plafonds pour faire plus propre, plus moderne et plus américain.

Les poutres, ce n’est pas seulement de jolies longueurs de bois. C’est aussi un témoignage poignant sur la résistance à la masse, à la gravitation, au poids de la matière.

Mon appartement sera plus qu’un autre un chant à la difficulté de (se) tenir debout.

Voter Macron au deuxième tour de la présidentielle, c’est une question de pari pascalien

Professions de foi des candidats Macron et Le Pen reçues dans ma boîte aux lettres, posées sur les documents que j’utilise en ce moment pour mon travail et mes loisirs.

Je n’ai pas peur de Marine Le Pen et je lis avec amusement les tribunes de ceux qui veulent encore faire croire que la France est au bord d’un grand danger si l’extrême-droite devait être au pouvoir.

Moi je voterai pour Emmanuel Macron en faisant le pari suivant : si Le Pen devient présidente et qu’en effet cela cause une catastrophe, je ne voudrais pas en porter la moindre responsabilité. Inversement, si c’est Macron qui passe, eh bien c’est la continuité et je veux bien en porter la responsabilité.

Par ailleurs, le monde voulu par Macron est socialement injuste, mais il est économiquement favorable aux sages précaires. Dans le monde dérégulé rêvé par Macron, les universités se débarrassent de leurs enseignants-chercheurs les moins motivés. Or, un sage précaire, qu’est-ce que c’est ? C’est un mercenaire qui, rentrant de promenade, parle aux universités le langage suivant : « Vous avez besoin de profs aux diplômes rutilants et aux recherches haut de gamme, me voilà. Nous pouvons négocier mon salaire dès maintenant et je suis opérationnel dès demain si vous doublez les émoluments que je perçois aujourd’hui. » Jusqu’à présent, cette technique de négociation n’a pas porté ses fruits, mais il n’est pas interdit de rêver.

Alors vous allez me dire : bon mais quel rapport avec le pari pascalien ?

Je ne saurais répondre à cette question.

Les trois erreurs capitales de François Hollande.

Le gouvernement de la France était de gauche entre 2012 et 2017 mais il a profondément dégoûté les Français, au point de voir s’effondrer le Parti socialiste au profit du mouvement plus radical de La France insoumise. Pourquoi un tel détournement ? Selon moi, François Hollande est coupable.

Il est vrai que j’avais fait l’éloge du candidat Hollande en 2012, puis encore une fois l’éloge du président Hollande en 2014 car j’aimais son style débonnaire sans faste inutile. Mais ce n’était qu’un éloge d’apparence, une appréciation de style, de comportement médiatique. Je ne disais rien des décisions politiques prises par le président socialiste. Aujourd’hui, à l’aube des élections de 2022, je voudrais faire le bilan de son action politique qui me paraît globalement négative. Hollande aurait pu laisser une image positive et sauver au moins l’espoir à gauche s’il n’avait pas commis trois erreurs. Je vais les exposer par ordre croissant de gravité. La première n’est qu’une erreur de calendrier qui s’est transformée en erreur stratégique. La deuxième est une erreur de politique économique. La troisième est une faute morale qui a mené à la désolation d’une région entière et qui est à la base de l’effondrement actuel de la gauche française.

  1. Le mariage pour tous. Il fallait lancer le projet de loi pour la légalisation du mariage des homosexuels dès la victoire aux élections. La loi ayant été promulguée en mai 2013, elle a donné un an de discussions qui ont permis à la droite de se regrouper autour des valeurs de la famille et de se trouver un ennemi commun, en la figure de la « théorie du genre ». Un an plus tôt, les Français de droite étaient largement indifférents à cette question, du moins ceux qui se voulaient modernes et libéraux. Cette lenteur de la part de François Hollande était une erreur qui a redonné de la vigueur aux courants réactionnaires et pris en otage les gens de gauche pour qui le mariage homosexuel était un sujet secondaire. Il aurait fallu dire dès l’été 2012 : ce n’est pas un débat, on vote ce droit comme une évidence et on passe à autre chose.
  2. La loi Travail, dite « loi El Khomri ». Une loi d’inspiration néolibérale qui n’avait d’autre objectif que de déréguler le marché de l’emploi et de précariser les travailleurs français au profit des actionnaires. Il fallait laisser ce type de mesure à un gouvernement de droite. Quand vous êtes de gauche, vous avez l’occasion d’exercer le pouvoir une fois tous les dix ou vingt ans, il est absurde de gâcher ce moment avec des politiques que mèneront de toute façon les gouvernements soutenus par la finance internationale. Le mouvement social du printemps 2016, ainsi que le phénomène sous-estimé que fut Nuit debout, ont donné l’occasion à la gauche radicale de se refonder et de trouver en Jean-Luc Mélenchon un leader qui allait aspirer les socialistes déçus par le mandat de François Hollande. Résultat, une chute phénoménale du Parti socialiste lors des élections de 2017, chute dont il ne s’est pas relevé en 2022.
  3. L’abandon des haut fourneaux de la sidérurgie française. Selon moi, ce moment est d’un tragique qui continue de blesser le coeur des Français. C’est le péché capital de François Hollande qui ne pourra plus jamais se relever de cette mauvaise décision. La défense de ce patrimoine à la fois industriel, géographique et culturel était le marqueur absolu d’une politique patriotique. Rappelez-vous, les intérêts financiers d’un grand groupe décidaient de fermer les usines et haut fourneaux de Lorraine. Le scandale de cette décision n’est pas seulement le chômage de milliers de travailleurs. Le scandale profond est que cette industrie était compétitive, productive et autosuffisante. Selon les rapports de l’époque, et même les rapports internes d’Arcelor-Mittal, le site était « le plus rentable d’Europe ». Notre industrie produisait des métaux d’une qualité exceptionnelle et la France ne perdait pas un centime en laissant travailler ces gens et ces usines. Le gouvernement de François Hollande aurait dû se dresser contre les spéculations financières de certains et nationaliser temporairement ladite industrie comme les États-Unis venaient de le faire avec son industrie automobile. Cette option était viable, elle était défendue par toute la gauche, une bonne partie de la droite et de l’extrême-droite, et même par le ministre de ce gouvernement en charge du dossier. Ce n’était pas une rêverie d’utopiste, c’était le bon sens patriotique. Le président de la république a décidé d’arbitrer en faveur de l’abandon de la sidérurgie. Hollande a signé là son arrêt de mort politique.

François Hollande avait promis aux ouvriers de Lorraine que l’on pourrait nationaliser cette industrie si nécessaire. C’était devenu nécessaire et il a trahi ses engagements. Son ministre de l’époque affirme : « On aurait pu le faire, la solution était prête. On avait techniquement réglé le problème, on avait trouvé le financement. » (Voir cette vidéo à partir de 49:25). Il ne manquait que le courage politique, la volonté simple d’être pour les intérêts des Français. En lâchant l’affaire, Hollande a donné le grand Est aux partis d’extrême-droite. Si Marine Le Pen est si élevée dans les sondages d’opinion, c’est en grande partie à cause de ce qui s’est passé en 2012 dans cette grande région blessée, meurtrie, et finalement sacrifiée pour rien.

Voilà. François Hollande aurait pu être un bon président. Personne ne lui demandait d’être génial, ni de prévoir l’imprévisible, ni de régler des problèmes trop compliqués pour tout le monde. Il avait simplement à être logique, rationnel et conséquent dans ses actes.

Qu’est-ce qu’un riche, en France, en 2022 ?

Il y a toujours des polémiques quand l’Observatoire des inégalités publie ses rapports sur la fortune des Français. L’organisme avance qu’en France, à partir de 3500 euros net par mois, on est riche. Sur les plateaux de télévision, en général, cela est reçu avec mépris et écarté d’un revers de la main. Évidemment, disent-ils, qu’on n’est pas « riche » avec un salaire si bas. En effet, le mot « riche » continue de sonner à l’oreille comme un terme mystérieux, entouré de luxe et de puissance inaccessible. On ne se voit jamais soi-même comme riche car on sait que d’autres le sont infiniment plus que soi.

L’Observatoire des inégalités, lui, fait un travail sain en ceci qu’il élimine tout ressenti subjectif sur ces données et sur le mot « riche ». Il se borne à une simple arithmétique. Il considère le corps social dans son ensemble. Il détermine le salaire médian des Français : 50 % gagnent plus que ce salaire, 50 % gagnent moins. Il multiplie par deux ce salaire médian et cela lui donne le chiffre de 3470 net pour une personne seule.

Pour résumer, seuls 10 % des Français gagnent plus de 4000 euros net par mois. Les dix pour-cent les plus favorisés, on peut dire qu’ils sont riches, ce n’est pas un abus de langage. Or comme les médias nous parlent de gens qui brassent des millions, on finit par penser qu’il est banal de posséder ce qu’une fraction infime du peuple possède.

Alors admettons qu’ils aient raison, que ce soit exagéré de mettre dans le même panier un millionnaire et un cadre supérieur. En effet, si quelqu’un gagne 5000 euros par mois mais doit rembourser sa banque 2000 euros, payer 1000 euros d’impôts et subvenir aux besoins d’une famille, il ne lui reste pas grand chose à la fin et ne peut pas s’offrir les voitures de luxe que les « vrais riches » exhibent dans les médias.

Pour répondre à ces arguments, il suffit de compléter les chiffres du salaire pour décrire formellement ce que c’est qu’être riche du point de vue du capital.

Un riche, c’est quelqu’un qui possède un certain capital et qui perçoit un certain pécule. Voici le capital minimum : il possède au moins deux logements, sa résidence principale et une autre résidence qu’il utilise soit comme logement de vacances, soit comme location. J’ai bien écrit il possède ; ce n’est pas la banque qui est propriétaire. Donc il ne rembourse pas les traites pour ces deux logements. Soit il les a reçus en héritage, soit il les a payés comptant, soit encore il a terminé de rembourser ses prêts bancaires. Bref, ces deux logements sont à lui, il peut les vendre ou les léguer.

Sa résidence principale contient un nombre de chambres à coucher supérieur au nombre d’enfants que compte son foyer. Exemple, s’il y a trois enfants, sa résidence comprend quatre chambres à coucher. S’il n’a pas d’enfant, l’habitation comprend au moins une chambre à coucher. Cela élimine les studios, les trous à rat et autres cagibis que certains propriétaires prennent pour des résidences.

Il possède aussi au moins un véhicule motorisé par adulte. Son conjoint, qu’il ait une activité rémunérée ou non, a donc sa voiture, ainsi que les enfants devenus adultes.

Voilà le capital minimum que vous devez posséder si vous voulez qu’on dise de vous que vous êtes riche. Deux logements et une voiture par personne. Même si les logements sont vétustes, même si les voitures sont déglinguées, car le revenu mensuel permettra toujours de subvenir aux besoins causés par les défaillances du capital.

Pour ce qui est des revenus, je reprends les chiffres de l’Observatoire des inégalités : les riches sont ceux qui perçoivent le double du revenu médian des Français, soit 3500 euros net par mois et par adulte. S’il s’agit d’un couple, alors 7000 euros net par mois.

Voilà. Une famille qui est propriétaire de deux logements, deux voitures, et qui perçoit chaque mois 7000 euros net, quel que soit le nombre d’enfants à charge, et quelle que soit la commune où elle habite, est une famille de gens riches. Elle est à l’abri du besoin, elle peut investir de l’argent, elle peut spéculer et perdre en bourse sans que cela affecte la vie quotidienne.

Travaux. La mémoire de la suie

J’ai acheté cet appartement l’été dernier, en 2021. Je vivais loin de France quand j’ai pris la décision d’acquérir ce bien. Mon frère m’en avait parlé, il avait visité les lieux, pris des photos et des vidéos pour que je me fasse une idée. Ma femme et moi avions envie d’un logement en France alors j’ai fait une offre à l’agence immobilière. Je suis donc devenu propriétaire sans même visiter l’appartement. J’ai fait confiance à mon frère.

Depuis août 2021, date de notre arrivée en France, nous vivons dans les travaux de rénovation de ce logement. Si Dieu le veut, il sera habitable en juin. Nous avons eu la chance de tomber sur des artisans très sympathiques et compétents, mais qui travaillent en moyenne un jour par semaine pour nous.

J’enrage de ne pas savoir et ne pas pouvoir faire ces travaux moi-même. Je ne parle pas de l’électricité ni du gaz, mais enfin, pour des choses aussi élémentaires que l’isolation, les plaques de plâtre, les dalles des béton, je suis déprimé de devoir être dépendant de camarades professionnels. Il me reste les choses encore plus élémentaires où je suis enfin à la hauteur : abattre des cloisons, casser des choses, dégager les gravats, faire des aller-retour à la déchèterie.

Récemment, j’ai démoli des cloisons qui couvraient une cheminée. La suie s’est accumulée pendant des dizaines d’années, vous n’imaginez pas la saleté de ce que j’ai respiré malgré les masques spéciaux acheté chez Weldom. Mes mains ne retrouvent plus la blancheur intellectuelle d’antan.

Je retrouve les odeurs et les couleurs de ma jeunesse de ramoneur. Même mon véhicule utilitaire est imprégné de l’odeur distincte de la suie. Une odeur fine, entêtante, un peu organique, qui s’insinue dans les plis les plus infimes de la mémoire. Il me suffit de m’assoir sur le siège conducteur pour repenser à mon père, aux trajets que nous faisions avant l’aube pour nous rendre sur les chantiers de Tarare. En général, j’étais le plus petit de l’équipe et je finissais mes nuits allongés à l’arrière des véhicules, allongé sur un matelas de chiffons, les pieds posés sur les immenses aspirateurs.

Les travaux avancent lentement. Avec l’aide de Dieu, il sera habitable en juin.

Le sage précaire jamais à sa place

Le sage précaire est un amateur, dans toutes ses entreprises. D’ailleurs, tous ses collègues lui disent qu’il n’est pas un vrai professionnel, et que ses bons résultats sont dûs à la « réussite du débutant ».

Les ouvriers me décrivent comme un intellectuel incapable de travailler de ses mains, tandis que les intellectuels me trouvent un peu trop physique et manuel pour être un des leurs.

Les professeurs, au lycée français d’Irlande, disaient que je n’étais pas un « vrai prof ». Les serveurs de restaurant non plus n’étaient pas convaincus de mes capacités. Où que je me tourne je sens bien que je ne suis pas à ma place car on m’affirme que je serais mieux adapté à une autre tâche.

Les fonctionnaires me voient comme un écrivain, les universitaires comme un aventurier, les écrivains comme un prof, les journalistes comme un chercheur, les producteurs comme un artiste, les artistes comme un universitaire, les chercheurs comme un ouvrier.

Chaque fois que je prétends à un poste ou une activité, il se trouve quelqu’un pour m’expliquer que ce n’est pas pour moi, ou que je ne suis pas fait pour le job. La dernière fois qu’on m’a fait ce triste coup, c’était pour un emploi dans la diplomatie. Pourtant, la diplomatie, représenter la France dans de superbes costumes bleu nuit, susurrer des compliments et serrer des mains délicates, j’étais persuadé que c’était mon truc.

Il me reste la sagesse précaire. Jusqu’à présent, personne ne m’a contesté le titre convoité de sage précaire.